AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3

sur 202 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Chronique vidéo https://www.youtube.com/watch?v=gIQdx9t665s

Quel plaisir de retrouver cette autrice ! Au début, je me méfie un peu parce que je trouve le style moins travaillé que dans La maison, elle a des tics de petite bourgeoise un peu agaçants, comme le fait de rabâcher le fait que son grand-père était chirurgien, ou les surnoms un peu lénifiants qu'elle utilise pour parler de sa famille (ça m'a fait penser à la fille de Brigitte Macron avec son « ma maman », « mon papa », si vous trouvez une vidéo, c'est assez marrant). Mais au bout de quoi, quinze minutes de lecture, je suis happée, happée. Elle a vraiment quelque chose Emma Becker, une manière de raconter à la fois très fine, très ironique, mais avec le souci de décortiquer les affects, parfois les plus inavouables. Je sais pas, je trouve qu'elle est beaucoup plus punk dans sa démarche que Despentes par exemple. La scène où elle taille une pipe à l'ami de son grand-père alors que celui-ci est en train d'agoniser, c'est à la fois vachement pathétique, mais en même temps, y a quelque chose de tellement vrai, cette pulsion de vie qu'il peut y avoir dans ce genre de moment. Et donc voilà, au niveau du style, rien à dire, j'ai été trop vite en besogne, elle sait écrire, décrire toutes les nuances de ses pensées, c'est très vivant, je sais pas moi, ça me fait comme de l'ASMR, un massage de cerveau, c'est pas juste stimulant de lire ses phrases, c'est aussi étonnamment satisfaisant. Ça c'est un style limpide, pour reprendre l'expression de Elle pour Amélie Nothomb (ou bien d'autres…). L'adjectif, trop utilisé, a perdu sa force, mais c'est vraiment celui que je vois pour qualifier sa plume.

L'inconduite, c'est la scène d'ouverture, celle dont j'ai parlé. Mais c'est aussi l'éconduite on a envie de dire, celle qui étouffe l'autre avec son désir. Et je trouve qu'elle va loin dans le féminisme. C'est-à-dire que c'est l'histoire d'une femme libre, si libre que sa liberté peut nous choquer, nous mettre mal à l'aise.

Bon, et je le dis direct, si certains sont gênés par les passages explicites, passez votre chemin, ce n'est pas un livre pour vous. Parce que ça y va, et ça y va sans se retrousser les manches.

Et si certains veulent lui reprocher la circularité du récit, j'ai envie de rappeler que c'est une autofiction, et que je doute pas que cette quête sans nom, cette soif sans objet, ça doit bien la faire tourner en rond. Je trouve que c'est réaliste comment les petites scénettes s'enchainent sans logique, on pioche, on sent que c'est un peu foutraque comme dans sa tête, moi j'aime bien.

Mais on va sortir de la critique littéraire pour parler de certains messages politiques. J'ai trouvé dans ce texte qu'elle essayait parfois de camoufler des affects bourgeois derrière le féminisme. C'est un truc qu'on retrouve souvent, je pense au dernier Annie Ernaux, je pense aux magasines féminin où on revient souvent aux questions de « qui doit payer l'addition » ou « je sors avec quelqu'un qui gagne moins, comment faire », ce genre de débat. C'est une manière de ne plus réfléchir en termes de domination (elles pensent que leur indépendance financière est question de mérite, pas de la chance d'être bien née, de privilégier d'un système complaisant envers elles — « j'ai fait tant d'études, je me suis battue par arriver là où j'en suis » etc, sans mentionner que papa ou maman dine chez le PDG une fois tous les 3 mois. Et aussi, que c'est une manière de renverser le patriarcat, sans s'apercevoir que c'est juste jouer sur les mêmes notes, celles qui vont dans le sens du capitalisme). Et donc, la domination, là, avec Jon, n'est pas du tout une domination de genre, mais bien sociale. On a carrément l'impression de voir La vie d'Adèle inversée (par exemple, la manière dont elle parle de lui avec ses amis Alexandre ou Gaspard, ça a quelque chose d'hyperviolent, de déshumanisant). Elle se permet de le ramener toujours à son statut de chômeur, de mec qui bande pas et s'étonne que ça améliore pas la situation. Et bon sang, qu'est ce que ça aurait été dérangeant si ça avait été le contraire : un mec qui entretient une nana et le lui ramène toujours à la gueule. Y a une mesquinerie de petit commerçant là-dedans qui me sortait par les yeux. Mais je trouve parallèlement que c'est super intéressant de l'écrire tel quel, sans fausse pudeur de gazelle (et certainement de ne pas s'en rendre pleinement compte, car même si elle dit un moment qu'elle ne veut pas réfléchir de la même manière que son père, elle ne peut pas s'en empêcher, elle nous prend à partie pour qu'on pense comme elle, mais ça ne marche pas, on peut pas, enfin moi je peux pas, l'empathie était entièrement du côté de Jon). Ça montre vachement bien la difficulté de sortir entre personnes de classes différentes (et bien mieux que le jeune homme). Et comment les différences de classes empoisonnent toute relation humaine : elle le trompe avec un trader, c'est pas anodin, et elle le dit elle-même, même si elle ramène encore ça à une question de bander dur ou pas. (d'ailleurs, je trouve ça intéressant le parallèle entre le statut social et l'érection, les deux ont un rapport avec une vision masculine idéalisée, le bloc qui ne ploie pas, qui ne pleure pas). Après, sur le fait que c'est une bourgeoise, je dois clarifier, parce qu'elle se voit elle-même comme déclassée. Mais ça n'empêche pas qu'elle a, à mes yeux, des préoccupations bourgeoises, et la première, c'est celle de la jouissance. J'ai été étonnée à la fin, quand elle parle de sa position sociale, je trouvais que ça faisait presque dans le middle-class-washing (ouais, ça existe pas, je viens d'inventer le concept) : « C'est de là que je viens, de cet univers parallèle, la banlieue. Même pas la classe ouvrière, non la classe un petit peu au-dessus « (On sent l'euphémisation) « qui envoie ses gosses à l'école privée et aime faire semblant de s'en être sortie en dépit des heures supplémentaires pour payer les leçons de tennis de la petite […] Je suis de cette classe qui a une maison de vacances, oui, mais une maison héritée, passée de génération en génération […] » Pauvre petite fille pas assez riche…

Et d'ailleurs, quand elle dit que la première injustice est une injustice de genre et pas de classe, je pense qu'elle se trompe, (et que c'est encore un reste de bourgeoisie qui parle) : « Ce n'est pas tant la classe sociale qu'il faut transcender, que ce double regard qui rend les gens intéressants ou inquiétants, cruciaux ou anecdotiques, selon le genre avec lequel ils traversent cette existence ».

Il y aussi la question du consentement, avec une phrase terrible qu'elle dit à Jon « En gros, il faudrait que je me force à te voir, mais il est hors de question que tu te forces à me baiser ? »
Et on comprend ce qu'elle veut dire, et on veut ne pas comprendre. On comprend ce que c'est de faire des concessions, des compromis, et en même temps, c'est pas la même chose, on ne marchande pas le sexe comme si c'était vider le lave-linge. Elle l'accule, et plus elle l'accule, plus ça devient malaisant, et plus c'est malaisant, plus c'est intéressant à lire. Cette question de consentement est intéressante parce qu'elle évoque aussi la violence que ça peut être, de ne pas être sur la même longueur d'onde, de se sentir privé de quelque chose. Mais ça ne marche pas comme ça, et alors qu'on a l'impression que la communication devrait aider, plus ils parlent, plus ils s'embrouillent.

Et puis le désir, le désir qui file entre ses doigts — dès le départ, y a la question du regard de l'autre. Elle n'agit que pour faire plaisir, (enfin, presque que pour faire plaisir), même si elle en prend, on a l'impression que c'est collatéral. Les scènes, c'est toujours un don de soi, elle parle d'abandon, elle parle de possession. Si le plaisir d'offrir est systématique, on repasse pour la joie de recevoir. Et c'est ce qui grippe dans la relation, cette question de performance, d'en faire toujours plus ou toujours différemment, de se réinventer — le sexe comme une élaboration toujours plus complexe et sophistiquée, qui enlève la spontanéité. — un peu comme la lente agonie de Solal et Ariane dans Belle du Seigneur : chercher à retrouver les frissons du début et toujours s'en éloigner davantage. L'impression que j'ai eue, c'est que ce n'était pas tant une question de sexe que d'incomplétude, on le voit quand elle et Jon ne le font plus, elle ne sait pas comment remplir les heures, fumer quelques joints peut-être, mais le sexe en arrière-fond comme une litanie qu'on arrive pas à se sortir de la tête. (comme Michael Fassbender, dans le film Shame).

Jusqu'à atteindre le point de non-retour avec Vincent, le réalisateur. Ils sont dans un marivaudage maniéré et codifié qui fait penser à un film de Haneke(Happy end, je crois) — une sorte d'érotisme un peu poussiéreux et décadent….qui n'aboutit à rien. Et ce rien, c'est le début de la prise de conscience. Et je veux pas faire la moraliste, et le livre ne le fait pas non plus, c'est une prise de conscience douce, gaie : vers l'amour de soi, ce n'est pas une histoire américanisée de grandeurs et de chute, non, juste l'histoire d'Emma qui découvre Emma.


La fin est franchement très belle, ça m'a foutu une claque, je pense que c'est le genre de roman qui arrive à faire évoluer sa pensée sur le féminisme, sans sacrifier le style, sans sacrifier le plaisir esthétique. Il nous fait nous demander, et toi, tu en es où avec le regard de l'autre, tu en es où avec ce que tu veux toi ? Je sais que j'en ai pas beaucoup parlé, mais je ne veux pas gâcher le livre non plus, mais y a beaucoup d'humour, beaucoup de scènes franchement marrantes — et oui, beaucoup de scènes de sexe, mais je pense qu'elles sont importantes pour le pacte d'authenticité fait avec le lecteur. Elle veut parler de ça, elle va parler de ça, sans omettre le parfois-glauque, sans omettre le parfois-sublime. Une autrice à retenir dont je vous recommande le livre.



Lien : https://www.youtube.com/watc..
Commenter  J’apprécie          316
On parle beaucoup du roman de Despentes en cette rentrée. Et pendant ce temps là, on ne lit pas l'un des grands romans féministes de cette année. Pas besoin d'afficher un connard de bon aloi en couverture, il est bien plus subtil de tisser sur 360 pages un état des lieux des rapports amoureux entre une femme (Emma Becker) et des hommes.

Si La Maison était le roman de la sororité exacerbée (et mon coup de coeur ultime de 2019), L'Inconduite est le roman du masculin (et peut-être mon coup de coeur ultime de 2022.) Livre du corps des hommes, beaucoup, de leurs regards sur les femmes, de leurs parades amoureuses, de leurs limites. Et il y a quelque chose de neuf dans cette capacité d'une jeune femme à dire sans filtres ce qu'elle connaît d'eux, du désir qu'elle leur porte, de leurs prouesses à leurs bassesses, dire qu'elle a besoin, envie d'eux et qu'elle sait pourtant qu'aucun ne sera à la hauteur de son attente. Lenny, Jon, Gaspard, Vincent et les autres, ont une place prépondérante dans sa vie. Ils alimentent son texte, ses pensées et sa réflexion. Évidemment, à la lecture de ce roman, on peut voir exclusivement une succession de bites et de chattes. Comme chez Nicolas Rey, on peut rester en surface et ne voir que l'autofiction avec de vrais morceaux de sexe dedans. Ici, comme là-bas, c'est nier la portée sociale du texte.
Emma Becker porte son regard plus loin. Sur le fait de ne pas avoir les codes des bonnes classes sociales (le passage sur Goldman est d'une grande intelligence), le fait d'être une trentenaire cultivée regardée avec condescendance par des hommes plus âgés (là c'est le passage avec Balavoine que je souligne).

Et puis, Emma Becker est une grande autrice, de celles dont j'admire le ton, le drôlerie, la capacité à jouer d'elle-même. Il y a des citations de choix, des chapitres que j'ai lu, relu (Jane, Serge et l'Anamour, oui, j'ai une obsession pour la chanson). Je lis de plus en plus d'autrices nées à la fin des années 80. Moi qui pensait stupide de parler de voix d'une génération, je m'y retrouve pourtant. Et je suis heureuse de voir émerger cette parole on ne peut plus libératrice et portée de si belle manière.

Lâchez Despentes, lisez Becker.
Commenter  J’apprécie          260
Ce qui est beau chez Emma Becker, c'est son honnêteté à toute épreuve. Sa langue est fluide, licencieuse, sans filtres, spontanée tout en restant sophistiquée, lettrée, intelligente. Ce roman pas tout à fait autobiographique est un geyser de pensées sincères sur le mystère encore tabou qu'est la sexualité féminine et c'est bon de ne plus se sentir si seule !

Roman utile donc, s'il en est, "L'inconduite" provoque, appelle, déclenche, bouillonne. Et on sent que l'autrice en a encore sous le pied, tant sur le fond que dans la forme ! Loin d'un bouquin érotique de bas étage, la dernière production d'Emma Becker est avant tout un hymne à la Liberté, une ode à la Femme, un chant pour la Passion. Mention spéciale à sa réflexion si juste sur le mépris de classe des hommes de l'élite économique et culturelle de la nation, qui déchire et fait jouir à la fois tant sa vérité est éclatante.

Plus efficace encore qu'un essai sur les relations hétéronormées, elle ose remettre en question la toute puissante thèse de l'Homme assoiffé de sexe qui subit les baisses de libido de sa partenaire féminine, si classique dans son déclinement qu'elle lasse très franchement, et rappelle qu'il n'existe pas un modèle de sexualité, une seule Femme qui suivrait en cycles infinis la même trajectoire.

Et ça, ça m'a très profondément touchée et sans doute libérée, aussi. Merci Emma Becker.
Commenter  J’apprécie          40
Très gros coup de coeur !

Il s'agit, selon moi, d'un roman majeur de cette année, qu'il faudrait mettre entre les mains du plus grand nombre afin de faire connaître, d'enseigner et peut-être même pourrais-je aller jusqu'à éduquer. Emma Becker a encore frappé et une fois de plus en plein dans le mille. Je ne pense pas que L'Inconduite puisse véritablement se résumer. Ce que je peux vous dire, c'est que l'on suit un personnage féminin -à peu de choses près Emma Becker elle-même, la même que dans sa précédente auto-fiction La Maison- qui a eu un enfant il y a peu avec son mari qu'elle ne désire plus.

L'Inconduite, c'est un roman sur cette femme, tout simplement. Mais aussi simple que cela puisse paraître, c'est en fait beaucoup de choses, car c'est un roman sur ce qu'elle a été, sur ce qu'elle pense être aujourd'hui, ce qu'elle voudrait être et ce qu'elle sera demain. Plus encore, c'est un récit sur ce qu'elle pense, sur ce qu'elle est fondamentalement. Sur ses désirs, ses aspirations, mais aussi, ses travers et ses mauvais penchants.

L'Inconduite, c'est le livre d'une femme, d'une vraie, pour une fois. Une femme qui ne fait pas semblant, qui ne triche pas, qui ne se déguise pas. Alors oui, ça a tendance à choquer encore aujourd'hui malheureusement parce qu'Emma c'est une femme pleine de désirs, et plus particulièrement sexuels (beurk beurk comment ose-t-elle ?). Emma, c'est une femme infidèle qui enchaîne les conquêtes et cherche l'amour le vrai à travers le corps des hommes et de leurs désirs. En fait Emma, c'est ni plus ni moins une femme qui se cherche, qui ne veut qu'une chose ; exister et être aimé. [Eh oui messieurs, ça n'est pas toujours pour vos beaux yeux que les femmes finissent dans vos lits, bien souvent, ça n'a même rien à voir avec vous, mais seulement avec elle.] L'Inconduite, c'est aussi une manière de remettre les pendules à l'heure et de faire un point quant à l'égo et la place des hommes. Bien-sûr ils sont là partout, à travers chaque page, mais pourtant, ils sont souvent rien qu'un témoin (un objet ? Tiens, tiens, les rôles ne s'inverseraient-ils pas ?)

J'ai découvert il y a peu que ce roman était parfois, par certains, catégorisé de roman pornographique. C'est drôle comme, chaque fois qu'une oeuvre bouleverse un peu les moeurs, elle est tout de suite répudiée et catégorisée. Je comprends que ce roman ne fasse pas mouche. Je comprends qu'il puisse choquer ou encore mettre mal à l'aise, moi là première je l'ai été parfois. Moi la première également, je n'ai toujours pas été d'accord avec le personnage d'Emma qui m'a parfois contrarié, voire même énervé. Pour tout vous dire, je ne suis pas Emma, je suis peut-être son exact opposé. Mais je comprends tellement cette femme. Je la ressens tellement.

L'Inconduite, c'est un roman miroir. Plus encore, c'est un roman vérité et c'est exactement cela qui m'a touché. J'ai rarement lu un roman aussi transparent, aussi vrai. Emma, ce sont un peu toutes les femmes. Quelle chance à travers ces pages d'avoir pu accéder à cette intériorité, à ses pensées, à sa psychologique. C'est si rare de pouvoir, à travers un récit, rentrer dans la tête d'une femme d'aujourd'hui.

Ce qui m'a encore plus touché, c'est que ce roman est une introspection. On pense avec Emma et on grandit avec elle, car on a beau avoir 30 ans 40 ans ou que sais-je, on ne cesse jamais de grandir. La fin du récit m'a particulièrement touché pour cela puisqu'Emma fini par trouver une réponse à la question qui la taraudait depuis si longtemps au sujet des raisons de sa sexualité débridée et de sa personnalité débridée. Elle a fini par se trouver et comme son roman, trouver avec elle la vérité.

Merci pour tout cela.
Commenter  J’apprécie          20
Dans "L'inconduite" Emma raconte l'histoire d'Emma, une femme insatiable qui ne trouve son bonheur ni à Berlin, ni à Paris, ni à Toulon. Ce roman est une véritable claque. Je ne pouvais pas le quitter. Je ne cessais d'y penser. le personnage d'Emma m'obsédait.
C'est que Emma, l'écrivain, écrit 'foutrement' bien. Mieux que ça encore. Un style emporté, tour à tour fluide puis percutant, qui ondule selon les états d'âme de son héroïne. Un livre hypnotisant comme une boule à facettes dans un troquet berlinois.
Le sujet est à la fois classique et contemporain. Une femme de notre temps, chargée de courage et de liberté, accompagne des hommes, véritable collier d'amants, sur le carrousel des sentiments. Emma recherche la satiété. Pas seulement l'amour physique ou spirituel, mais, peut-être, la sensation d'être enfin comblée. Repue. Béate de contentement.
Évidemment, c'est impossible pour Emma qui, ouverte à tous, dissèque les hommes de sa vie comme autant de gros scarabées. Ils sont nombreux les bougres. Au début, juste des noms, des êtres suspects ou mignards, qui vont s'étoffer au fur et à mesure des tours de manège. Emma ne libère pas sa pensée en une seule fois. Elle papillonne d'un sujet à l'autre, leur trouvant, tour à tour, les plus immenses qualités ou les pires défauts.
Pour le lecteur masculin que je suis, c'est fascinant. Sous la plume d'Emma, j'avais la sensation de lire un manuel d'éducation. La femme moderne en dix leçons. Les secrets, enfin révélés, de la communication intersexes. Mais, dans les aventures péripatétiques d'Emma, l'apprentissage se fait par l'échec. Un négatif pour en tirer un positif.
Attention, Emma n'est pas une déesse pour autant. Elle s'examine à la loupe pour déchiffrer son âme inadaptée. Pour approfondir son incapacité à satisfaire un bonheur qui lui semble pourtant évident. Elle va loin dans la franchise de ses rapports. Aujourd'hui, la femme se raconte à nue et ce pouvoir est absolument fascinant. Autant de pages radioactives qui enflamment votre philosophie du mec. Qui mettent à mal votre morale pédante. D'où la claque bien reçue. Mais, revenons à nos moutons…
La variété des spécimens masculins est riche. de Cecil à Cody, en passant par Lenny et Jon. Sans compter, Vincent qui déclenche en Emma ses observations les plus pointues. Tous, qu'ils remplissent quelques pages ou reviennent à la charge, ne comprendront jamais la femme dans leurs bras. Pourquoi? C'est peut-être le thème du roman. La difficulté des hommes à lire le code féminin. La complexité du mouvement. Il ne s'agit pas d'une simple ronde à la Schnitzler. Passer d'un amant à l'autre. Prendre son pied. Emma, je pense, nous le dit bien. Dans chaque aventure, se cache un absolu. Ce code secret demande une savante introspection et ces hommes, gros patauds, ne s'en tracassent pas. Ils se rafraichissent à la fontaine d'Emma sans penser à la source de son moi. C'est frustrant et, à la lire, nous sommes aussi frustrés qu'elle. On voudrait lui trouver mieux. Lui souffler un 'happy end' à l'américaine. Un 'Frühstück bei Wempe' sur un Ku'Damm ensoleillé où Lenny se déclare enfin. 'No matter where you run you just end up running into yourself'.
Heureusement, Emma n'en démord pas. Elle relève la tête. Elle poursuit sa farandole et danse au rythme de sa propre liberté. Pour peu que votre existence vous pèse, c'est cela qui vous séduira dans ce roman. Cette évasion par le sexe, par l'étreinte et la passion. Et puis, tous ces grands moments d'insatisfaction. Camping avec 'loser Jon'. 'Rap with Cody'. Sans oublier, l'illusoire tapis de Vincent.
Le cheval de bois monte et descend… Monte et descend…
Phénomène rare, un passage du livre, absolument brillant, m'a insufflé une euphorie rare. Après lecture, j'étais baigné d'un bonheur inexpliqué, provoqué par le sentiment allemand du 'Schadenfreude' lorsque le malheur de l'autre, rend heureux. Un tel sentiment ne pouvait venir que de l'acuité extraordinaire du texte lu. La grande prose d'Emma m'avait transmué en elle. Je la vivais pleinement. Dans la littérature, c'est plutôt rare. Un grand moment.
Patrick Orly - patrickorly.com

Lien : https://patrickorly.com
Commenter  J’apprécie          10
Whaouh, quel style! J'adore! de la profondeur, de la poésie et du cul explicite, ce qui peut expliquer les mauvaises notes Babélio car cette liberté n'est pas encore accordée aux femmes. Je crois que c'est ça qui coince Emma, pas votre appartenance sociale... En tout cas moi j'aime votre livre et Vincent est un idiot fini, c'est certain! Bonne route à votre livre.
Commenter  J’apprécie          10
Plonger dans cet ouvrage, c'est s'engager pour une quête concernant la liberté sexuelle et une interrogation profonde sur la féminité. Autant le dire d'emblée, cette histoire ne plaira pas à tout le monde et je pense qu'il ne faut pas la mettre entre toutes les mains.

Emma Becker a cette faculté à n'avoir aucun tabou, à coucher sur le papier des choses intimes, très intimes. Mais cette sincérité et cette ouverture d'esprit vis-à-vis des rapports entre hommes et femmes et également sur la sexualité, font tellement de bien ! Il y a des passages qui frappent au coeur et qui font écho.

Simplicité et légèreté sont pour moi les maîtres mots qui résument ma lecture. J'ai parfois beaucoup ri, parfois frôlé la stupéfaction de voir avec quelle facilité l'auteure nous livre des parties de sa vie si intime… Cette lecture est particulièrement frappante et je me souviens avoir fermé l'ouvrage et avoir murmuré du bout des lèvres « wahou… » !

Certes les avis sont dithyrambiques sur ce livre, mais moi, je pense qu'il fera partie de mes plus belles lectures de 2023. Merci Emma Becker pour cette lecture coup de poing !
Lien : https://ogrimoire.com/2023/0..
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (571) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1709 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}