Dark Eden

- D'accord. John, tu as deux minutes.
Et elle s'est tourné vers Secret-Air, qui a hoché la tête et a posé l'écorce sur laquelle elle écrivait pour mettre le doigt sur son poignet et compter cent vingt pulsations.

- T'as pas fait gaffe, hein, John ? Trop de cocherie, si tu veux mon avis. Cocher avec Martha Londres, cocher avec Tina Picarbre, cocher avec cette foutue Bella Lampionrouge en personne … Ce gamin doit croire qu'il est là pour ça, fabriquer du jus pour les femmes. John le Juteux, voilà comment on devrait l'appeler. Le jus, c'est tout ce qu'il sait faire.

En plus de nous avoir tous sauvés, Jeff avait un autre avantage sur moi, qui venait du fait que ça ne l'intéressait pas de commander. Il pouvait donc se permettre d'être lui-même sans que quiconque doute qu'il disait ce qu'il pensait vraiment.

Comme un mauvais rêve. Soit ça, soit tout le reste était devenu un rêve, et la seule chose réelle au monde était ça : Famille, notre misérable, amère, solitaire Famille, pleine de gens stupides, de gens haineux et déçus, de gens jaloux, de gens ignorants qui ne réfléchissaient jamais vraiment par eux-mêmes.

Je commençais à comprendre que les gens ont du mal à voir ce à quoi ils ne s'attendent pas, même quand ça se trouve juste sous leur nez. C'était bon à savoir. Ça signifiait qu'une situation avait toujours plus de solutions qu'on croyait.

J'avais chassé tous les sentiments de mon esprit, comme j'avais fait avec le léopard, mais là, l'espace d'un instant, ils sont revenus d'un coup. J'ai pensé à ce que ressentait le vieux Mitch pour cet endroit spécial, construit par sa grand-mère et son grand-père, cet endroit qui avait toujours été là pendant sa longue-longue vie, et j'ai compris que j'avais tout gâché. J'avais détruit le paisible centre de Famille. Même si j'arrêtais maintenant, c'était fichu. Tout était en morceaux, pour toujours.

C'était un travail très dur, de garder Famille unie. Il y avait toujours quelqu'un pour se plaindre, toujours quelqu'un qui avait besoin d'être apaisé. C'est ce que cet idiot de John Lampionrouge ne comprenait pas. N'importe quel crétin peut détruire.

Je ne voulais pas qu'ils me prennent pour un idiot qui ne fait pas attention pendant la chasse : ce n'était pas l'idée que je voulais qu'on ait de moi, parce que ce n'était pas vrai. Mais il faut penser à ce qu'on veut faire dans le futur, c'était ma règle, la règle du léopard. Il ne faut pas se satisfaire de ce que tout aille bien maintenant.

C'était la manière de faire de Gerry avec les gens. « Je suis juste un peu bête, je ne vous ferai pas de mal », voilà son message. Moi, je n'étais pas comme ça. Le mien, de message, c'était plutôt : « Je suis tout sauf bête, et rien ne garantit que je ne vais pas vous faire de mal. »

(John Lampionrouge).

Row, row, row the boat, gently down the stream, merrily, merrily, merrily, life is but a dream… (comptine américaine)