Oh la belle édition de poche que voilà ! Son petit 400 pages agréable en main, un patchwork joliment coloré et représentatif (mais je sèche pour le quadra en haut à droite… Quelqu'un a une idée ?). Sauf que… C'est quoi cette pastille que j'essaie de décoller depuis une minute ? Ah, ça ne s'enlève pas en fait ! Il y a donc une collection « Les étoiles montantes de l'Imaginaire » chez Pocket ! Et là c'est la douche froide. La consternation. Et moi qui pensais qu'il était acquis que
Yann Bécu était une étoile…
Deuxième roman, deuxième pépite en ce qui me concerne !
De quoi ça parle cette fois ?
Des milliers de Ruches disséminées dans la galaxie aux ordres d'une puissante Maison-Mère, façon multinationale. Les humains de la planète Terre ? L'une des innombrables créations de cette organisation, cet « arrière monde ». Nous suivons de près un petit groupe de Boueux (agents de maintenance), bombardé de l'une des Ruches vers la Terre, année 2030, pour y effectuer quelques ajustements sur le cours des évènements, en toute discrétion. Nous ne sommes pas les seuls, puisqu'un brigadier particulièrement chevronné (Jean-Philippe Jaouen) repère rapidement nos Boueux et en fait une affaire personnelle.
Le thème m'a fait penser au Cycle des Dieux, de
Bernard Werber, mais la comparaison s'arrête au simple concept d'arrière-monde plus ou moins divin où se tirent les ficelles.
Par rapport à son premier roman (
Les bras de Morphée), le thème est certainement moins original, et on ne trouvera pas d'univers sur mesure et fouillé, puisque l'action prend place dans notre monde et notre époque.
La structure est simple et classique avec trois phases par lesquelles vont passer nos Boueux : état de grâce, déconfiture, remontada. L'intrigue, qui n'a rien d'exceptionnel, est relevée de manière très sympathique par la trame en pointillés du brigadier Jaouen.
Yann Bécu nous livre une fois de plus une aventure hilarante, une comédie populaire jouissive ! Ce qui m'amène à cette question : existe-t-il actuellement un auteur de SF français aussi doué pour faire rire ?
Le roman n'est pas une succession de sketches, mais quand ça part, il est prudent de lire précautionneusement chaque réplique car, à l'image d'un technicien du ring, chaque coup de la combinaison fait son effet qu'il serait dommage de sous-estimer ! Je pense par exemple à la scène anthologique du PMU, dans la première partie ! Une vraie scène de film, on voit la gueule des protagonistes comme si on y était…
Et puis, l'auteur possède cet art de pousser le bouchon, de revenir à la charge : comme les ricochets dans l'eau, ses coups frappent une, deux fois, trois fois. Tel un serpent dans l'eau, ils resurgissent toutes les cent pages. Bref, la force de l'humour de répétition.
Enfin, l'auteur exploite parfaitement l'opposition des caractères entre ses personnages principaux (notamment l'insupportable et pas très futé Mitraillette face à ses deux camarades qui ne peuvent s'opposer frontalement à lui). de ce savant contraste nait presque naturellement un nombre incroyable de séquences mémorables, à l'image de celles du duo mythique Depardieu -
Pierre Richard.
Ils sont bien rares, les auteurs français de SF qui me font ressentir de façon aussi nette la plus-value de la langue originale.
Yann Bécu est de ceux-là. Avec son style économe, précis, familier et exigeant à la fois, il fait la démonstration de la puissance de feu qu'offre une langue à qui parvient à la manier avec brio. Sa façon élégante d'introduire le discourt direct ou de l'intégrer à la narration, sa science de la scène, les niveaux de langage, l'abondance des expressions idiomatiques : rarement vu une telle technicité, et lorsqu'elle se met entièrement au service de la finalité (divertir), c'est un régal ! Mon intuition est que pour arriver à un tel résultat, l'auteur n'est pas seulement bon, il se fait avant tout plaisir. On le sent à sa manière d'inclure des éléments personnels (références aux Bretons, à la ville de son lycée – Prague – où il place une bonne partie de l'intrigue, à son premier roman – oui oui !). Sans oublier les très nombreux clins d'oeil à son métier de prof de français (littérature, culture, niveau général…).
Ensuite, faut apprécier le style bien sûr. Pour donner une petite idée du type d'humour, ce à quoi s'attendre, je dirais que c'est très proche de ce qu'on trouve dans un Kaamelott : du décalé, de l'absurde, beaucoup de travail sur le langage (jeux de mots, références culturelles). On retrouve bien sûr les classiques comique de situation et de répétition. Dans la première partie, un beau clin d'oeil au film Les Rois mages, avec les Inconnus.
En dehors des sketches qui forcent le rire, peut-être moins nombreux que dans le précédent roman, on suit en souriant les tribulations de ce trio de Boueux attachants. Et l'auteur d'en profiter pour égratigner habilement un peu tout et un peu tout le monde. du tartinage ? Non. du saupoudrage de sel ! Et à travers cette critique des moeurs, on sent un profond humanisme de par les thèmes abordés (richesse et pauvreté, guerre et religion, racisme et tolérance) et l'ancrage populaire.
Il y a aussi cet appel à la relativisation (pas qu'un seul dieu, pas que trois religions, pas que la France, pas que l'Europe…)
Enfin, fort de son expérience humaine d'expatrié, l'auteur montre une vision cosmopolite de Prague. J'y vois une saine invitation à l'ouverture d'esprit, à admettre une situation plus complexe qu'il n'y parait, faite de brassage culturel et d'intrication des peuples slaves et de leurs voisins. Une invitation à s'émanciper d'une pensée otanienne binaire et polarisée pour se forger sa propre opinion, si possible avec ses propres yeux.
Bon, à quand le prochain roman ?