Eckhart von Hochheim, dit tout simplement
Maître Eckhart, est un théologien mystique de la fin du Moyen-Âge. C'était un de ces libre-penseurs qui se préoccupaient vraiment au sort des pauvres gens, des laissés-pour-compte et des persécutés, mais son érudition l'a amené à s'intéresser aux questions religieuses et à vouloir réformer le dogme. Et les questions scientifiques ne lui étaient pas étrangères non plus. Bref, c'était un touche-à-tout.
En même temps, c'était un mystique, un individu déclaré hérétique et censuré. Si
Maître Eckhart se souciait de monsieur-et-madame-tout-le-monde, au point d'adresser ses sermons en langue vernaculaire - quel sacrilège! -, aujourd'hui, il est assez inconnu du grand public. Et encore plus en Amérique. Pourtant,
Jean Bédard en a fait le sujet de son premier roman – pas une monographie, non – en racontant un épisode de sa vie. Assez audacieux. Je me demande pourquoi ce choix, même pour un romancier-essayiste ayant une formation en philosophie. Il me semble que ça ne serait pas la première idée à me venir en tête...
Comme je l'ai écrit plus haut, le théologien s'occupait de tout, en plus de prêcher et d'enseigner, il expérimentait et discutait de l'identité métaphysique de Dieu – par moment, je me sentais un peu perdu. Il chercha même à en trouver des traces visibles. C'était un homme à part. Mais, ce qui est une qualité peut également se transformer en défaut. Certains grands esprits sont tellement absorbés par leurs recherches qu'ils semblent refermés sur eux-mêmes, peu conscients du monde qui les entoure. Ou pas du tout. Ainsi, souvent,
Maître Eckhart m'a paru distant, froid, voire inaccessible. Un peu comme les personnages cérébraux, intellectuels de
Hermann Hesse (
Le jeu des perles de verre ou bien Siddartha). Avec un pareil sujet, était-il impossible de faire autrement ?
J'écris ces lignes et je sens que je devrai me raviser. C'est un peu injuste.
Maître Eckhart savait se montrer attentif à son entourage. du moins, aux gens qu'il respectait. Ne sauve-t-il pas des griffes de l'Inquisition (et d'une mort certaine) Katrei, une de ces femmes appartenant à des communautés religieuses laïques ? Indépendante, cultivée, intelligente… suspecte. Mieux, cette Katrei serait devenue sa fille spirituelle, l'aidant dans ses travaux. Il n'en fallait pas plus pour que beaucoup de persécutés le rallient et gravitent autour de lui. Heureusement qu'elles étaient là, ces femmes libres, sinon le récit du savant homme eut été probablement un peu moins captivant.
Incidemment, il n'en fallaut pas plus non plus pour que les autorités religieuses s'en inquiètent également. À trop vouloir secourir son prochain, à commencer par ceux et celles suspectés d'hérésie,
Eckhart ne pouvait que s'attirer les foudres de l'Inquisition. Mais son influence chez d'autres penseurs persistera.
L'auteur
Jean Bédard s'est attelé à un défi de taille et l'a remporté. Lui aussi, il a fait preuve de beaucoup d'érudition en reconstituant les fragments de sa vie (le mystique n'a pas laissé d'autobiographie et la censure dont il a fait l'objet a fait en sorte que, pendant très longtemps, personne n'osait écrire sur lui). L'époque a été bien rendue, pareillement pour tout l'aspect religieux. Les ouvrages sur lesquels Bédard s'est appuyé sont cités à la fin. On y retrouve également un bref lexique qui définit certains mots se rapportant à des réalités du Moyen-Âge. J'aurais souhaité qu'il y en ait un peu plus, surtout en ce qui touche à la théologie.