Ne comptez pas les jours. Ne comptez pas les kilomètres. Comptez seulement les Allemands que vous avez tués. Tuez les Allemands – c'est le cri de votre terre russe. Ne flanchez pas, ne cédez pas. Tuez.
Noël n'aura pas lieu cette année pour les raisons suivantes : Joseph a été mobilisé, Marie s'est engagée dans la Croix-Rouge, L'Enfant Jésus a été évacué à la campagne avec son école, les Rois Mages n'ont pu obtenir de visas faute d'un certificat d'aryanité, l'étoile a été interdite par la Défense passive les bergers sont de garde et les anges sont devenus standardistes. Il ne reste que l'âne, et qui donc voudrait passer Noël avec un âne ?
Le risque constant de se faire tuer les incitait à ne plus tant craindre les commissaires politiques et les indicateurs du service spécial. Quelle différence y avait-il entre une balle allemande et l'ultime ration fournie par l’État soviétique : les « neuf grammes de plomb » du NKVD ?
Les tankistes allemands furent horrifiés lorsqu'ils s'aperçurent qu'ils avaient tiré sur des femmes. Les Russes, eux persistent à juger ces scrupules étrangement illogiques, alors que, le même jour, les bombardiers de Richthofen avaient massacré des milliers de femmes et d'enfants.
Un flot constant de nouvelles recrues avait redonné à la plupart des divisions leur effectif normal. Pour un « bleu », se joindre à une unité de combattants éprouvés avait une meilleure chance de survie en profitant de l'expérience de ces vétérans qu'en se retrouvant parmi des soldats n'ayant pas encore connu le baptême du feu. Et lorsque la nouvelle recrue avait accepté l'idée que la survie était une notion relative plutôt qu'absolue et avait appris à vivre pour l'instant présent, la tension nerveuse initiale se dissipait.
Écrite l’hiver précédent par Alexei Sourkov, elle avait été initialement condamnée pour “pessimisme excessif”, mais s’était révélée si populaire parmi les combattants que les commissaires politiques avaient dû fermer les yeux - ou plutôt les oreilles.
Le feu crépite dans le petit poêle
La résine coule comme une larme
Et la musique dans la casemate
Me parle de ton sourire et de tes yeux.
Les buissons m’ont parlé de toi
Dans un champ de neige près de Moscou
Je veux que tu saches par dessus-tout
La tristesse qui étreint ma voix
Tu es très loin de moi, toi et ton sourire
D’infinis champs de neige nous séparent
Ça m’est si difficile d’aller te rejoindre
Alors qu’ici il n’y a que quatre pas à faire pour mourir.
Chantez, camarades, pour défier la tempête de neige
Appelez le bonheur qui s’est enfui
J’ai chaud dans la casemate glaciale
Grâce à ton amour qui sera éternel.
Les combats prirent des proportions monstrueuses, incommensurables, écrivit l’un des officiers de l’état-major de Tchoukov. Les hommes , dans les tranchées de liaison, trébuchaient et tombaient, comme sur le pont d’un navire pris dans la tempête. Les commissaires politiques eux-memes se prenaient à être lyriques. “Ceux qui ont vu le ciel sombre de Stalingrad à ce moment, écrivait Dobronine à Chtcherbakov à Moscou, ne l’oublieront jamais. Il est sévère et menaçant, d’un noir que viennent lécher des flammes pourpres.”
Des voleurs dépouillaient à la fois les cadavres et les patients les plus faibles, leur arrachant dans l’obscurité montres, bijoux et même alliances. Mais la nature se vengeait en exerçant une sorte de justice immanente. La vermine infestant leur butin transmettait rapidement le typhus aux voleurs. Ainsi, l’on trouva sur le cadavre d’un interprète connu comme détrousseur de cadavres et de malades un sac plein de bagues et d’alliances en or.
Le monde retiendra son souffle !
Nous avions froid jusqu'au fond de l'âme...