L'âme romantique et le rêve. essai sur le romantisme allemand et la poésie française, tome1

il faut que l'homme descende en lui, et y trouve tous les vestiges divers qui, dans l'amour, le langage, la poésie, dans toutes les images de l'inconscient, peuvent lui rappeler encore ses origines; il faut qu'il redécouvre, dans la Nature elle-même, tout ce qui, obscurément, éveille au fond de son âme l'émotion d'une ressemblance sacrée; il faut qu'il s'empare de ces germes sommeillants et qu'il les cultive.
Et, parmi eux, ceux dont le rêve nous révèle la présence mystérieuse ne sont pas les moins précieux. Car notre apparente lucidité actuelle est une nuit profonde, et la véritable clarté ne nous est accessible que dans les aspects nocturnes de notre existence.

Mais le plus étrange et le plus inquiétant des "physiciens romantiques" est sans doute Ritter, ce jeune savant mystqiue, qui fut l'intime de Novalis et autour duquel s'était formée une véritable secte. Nature profondément déséquilibrée, en proie à de singuliers phénomènes nerveux, obéissant à un démon intérieur qui lui dictait, dans un demi-sommeil, des cocasseries et des phrases saugrenues, il représente un peu, dans les sciences et la philosophie romantiques, ce que Novalis représente dans la poésie: il n'est pas jusqu'à leur mort précoce et à la légende que l'un et l'autre laissèrent qui ne les rapprochent. Mais le "jeune physicien" était un être infiniment plus trouble que Novalis et incapable de cette transfiguration de soi et du monde par où l'auteur des Hymnes à la Nuit s'est dépassée, échappant à sa propre érudtion.

Si les explications générales du rêve, que nous avons trouvées sous la plume des rationalistes du XVIIIe diècle, restent bien insuffisantes, il ne faut pas négliger certaines remarques de détail, où ces mêmes savants se montrent bons observateurs. Sans doute les romantiques nous ont-ils laissé des notes d'une bien plus grande portée: leur vision poétique du monde les rendait plus capables d'apprécier la qualité particulière des songes; sensibles aux atmosphères et aux paysages intérieurs, autant qu'aux couleurs de la terre et des saisons d'ici-bas, ils ont pu évoquer ce que leurs aînés ne savaient que nommer; et, attachés à leur expérience la plus personnelle, indifférents aux aspects mécaniques et abstraits, ils ont devancé de loin les explorations de la science.

(...), les romantiques admettent tous que la vie obscure est en incessante communication avec une autre réalité, plus vaste, antérieure et supérieure à la vie individuelle. - Il en va de même pour la fin que se propose la psychanalyse et qui vise à rendre l'homme atteint de névrose, à un honnête comportement social. Le romantisme, indifférent à cette forme de la santé, cherchera dans les images, même morbides, le chemin qui conduit aux régions ignorées de l'âme: non pas par curiosité, non pas pour les nettoyer et les rendre plus fécondes en vue de la vie terrestre, mais pour y trouver le secret de tout ce qui, dans le temps et dans l'espace, nous prolonge au delà de nous-mêmes et fait de notre existence actuelle un simple point sur la ligne d'une destinée infinie.

"Un souffle puissant entraîne l'âme jusqu'à la rive du monde de l'Esprit: jusqu'au pays des songes..." (...)
L'un des thèmes permanents de la vie intérieure de Schubert fut la très intense perception d'une double appartenance de l'âme, d'une vie psychique constamment partagée entre deux plans, et, en même temps, il n'a cessé de ressentir l'espèce de contradiction ironique qui existe entre ces deux réalités. La vie humaine consciente est un rêve lorsque nous la prenons pour seule réelle, et le rêve est peut-être le seul état de veille, le seul instant où nous ne soyons pas les jouets d'une illusion, où nous nous souvenions de notre nature profonde."