«
L'asile de pierre » (1988) tient à la fois du récit d'enfance et de la genèse d'une vocation littéraire. Hamel, le personnage principal, affiche des traits qui le font ressembler à l'auteur avant la cécité racontée dans «
Regard blessé » ( prix France culture 1987). Aussi n'est-il pas anodin que Hamel intitule son manuscrit, « le livre des yeux et de la mémoire » .
Au début, c'est une visite mortuaire puisque « l'ange de la mort a frappé à la porte du palais des fous ». Les dernières pages expliqueront le lien entre Hamel et Marie, pensionnaire de cet asile.
Pour l'instant on suit un enfant dans différents épisodes, attentif à des
paysages, à des conversations surprises, à des légendes locales et à différents conteurs. Son imaginaire se développe au contact de silences pesants, de scènes familiales vécues, et de fantasmes divers, alimentés par les rumeurs du « village de la source rouge ».
Auprès des femmes chez qui il trouve refuge quand saisi par des peurs et des angoisses, il devine les tabous et les conflits secrets de la maison.
Plus tard, le cercle s'élargit, l'indépendance algérienne bouleverse les moeurs, modifie les rapports traditionnels. Des drames familiaux complètent l'expérience de la vie d'Hamel : ils auront une répercussion sur ses thèmes littéraires, ainsi le destin de sa soeur Meriem et sa rencontre avec le poète
Jean Sénac.
- « L'enfance, c'est l'encrier » aime à dire
Jean Rouaud. L'enfant qui écoute et qui imagine, soucieux des autres, attentif aux légendes locales et aux pratiques magiques, deviendra romancier et conteur. Il sera aussi poète, comme la pleureuse qui, dans
l'asile de pierre, récite un thrène reconstitué :
« Dans la chambre la mort est entrée. Elle a touché le petit orteil de Marie, et le froid a coulé dans le pied. O pied petit et lisse ! Elle a touché le deuxième orteil, et le froid est monté dans le mollet. O mollet ferme et arrondi ! Tu réveilles l'envie ! Elle a touché le troisième orteil, et le froid a coulé dans la cuisse. O cuisse pleine de chair et de et de vie qui réveille l'envie ! Elle a touché le quatrième orteil et le froid a coulé dans le ventre. O ventre blanc et tendre ! Elle a touché le cinquième orteil de ma soeur, et le froid a inondé le coeur. O ton coeur fleuri de lumière ! ».
- « le livre des yeux… »
« D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange montant comme la mer sur le roc noir et nu ? ». L'exergue empruntée à
Baudelaire place le récit sous le signe de la fin des yeux ouverts. (1962)
Rabah-Hamel y note à plusieurs reprises l'originalité de ses yeux « qui changent tout le temps »
- « ne regarde pas ses yeux, ma soeur. Ils te donneront le vertige. » dit Mohamed le dénudé à la prostituée.
A plusieurs reprises, son regard dissuade aussi d'agir qui a de mauvaises intentions.
Ce que Hamel a observé, il le garde maintenant sous formes d'images dans sa mémoire, nourrissant ainsi sa palette d'écrivain.
Aveugle, il développe alors un regard intérieur et il suffit d'une phrase simple pour planter un décor, souvent en noir et blanc, car la lumière se fixe sur l'essentiel :
la maison ? « une cour spacieuse, entourée de pièces sombres »,
« une maison de pierre, imposante, sur les contreforts d'une montagne sombre », « une aire de battage au bord d'un oued sec, entourée de pierres noires. »
- « … et de la mémoire. »
Les images, récurrentes, comme la reproduction jaunie de Bourak, le cheval ailé du Prophète, prennent leur essor et engendrent une suite ininterrompue de rêves ou de cauchemars. le terreau, c'est la période d'avant la cécité, que la fiction réagence, réinvente ou crée. le passé est revécu « comme une oasis, au coeur d'une immensité muette ». L'écriture, éclairée par la mémoire, devient aisée : « les mots, les phrases les images semblaient trouver d'eux-mêmes leur place sur le papier. Ils étaient entreposées dans sa mémoire depuis toujours, ciselés, ordonnés, chevillés. »
Il faut lire
Rabah Belamri à voix haute. Sa prose, des phrases courtes dénuée d'adjectifs faciles, ouvre la porte d'un univers intérieur où circulent des ombres et des souffrances. On y trouvera aussi, via son attachement à des mères différentes (Mouma, Zaina, et la roumia Marie) l'origine de sa double appartenance :
Rabah Belamri, écrivain algérien de langue française.