Le velours pourpre lui couvre l'épaule. D'une main délicate il en écarte un des pans lourds. Ce n'est pas le cardinal qui retient son souffle, mais l'ancien enfant de choeur d'un probable « prêtre défroqué », qui tente de plonger son regard dans la salle bondée. le public est en apnée. Seul le geste de l'artiste ose monter sur les fils de lumières et y pianoter une portée de mots qui vont embraser la salle. le théâtre, seul endroit où l'homme-acteur peut s'adresser à la cité, afin de poser un acte civique mais aussi métaphysique, en ce qu'il peut aussi s'interroger sur le destin… de son propre destin.
Si Avignon est à l'évidence l'endroit où l'on débat,
Marc Bélit observe et constate : mais qui débat ? Les mêmes, éternellement les mêmes : ceux qui tiennent la queue de la casserole et ceux que l'on cuit dedans. Avignon est de ce point de vue incontournable et bien des programmateurs de villes ou de communes en France, venus faire là leur marché, répercuteront l'écho de ce qui a été dit et feront partager les découvertes et les coups de coeurs qu'ils ont pu y ressentir.
Marc Bélit appartient à cette génération qui a osé bousculer la nomenclature et faire sortir le spectacle hors des murs de la cité et le produire là où la masse de gens en soif de découvertes et de nouveautés attendent ce qui sera le baume adoucissant une vie de labeur. Même si l'humour parfois très noir d'un
Pierre Desproges clamait, mais qu'on en juge : « L'intelligence, c'est le seul outil qui permette à l'homme de mesurer l'étendue de son malheur », l'heure était aussi à d'autres découvertes très divertissantes.
Il y a parfois des choses étranges qui procurent des rencontres inattendues. le fait de se retrouver avec Maria Casarès lors d'un été dans un petit village des Pyrénées procurera à
Marc Bélit plus qu'un émouvant souvenir. « La grande tragédienne, alors âgée de soixante-dix ans, avait l'apparence d'une très vielle dame. Elle était assise sans façon sous les arbres, et nous bavardions avec elle comme avec une grand'mère qu'on vient voir à la campagne. Mais, le soir venu, elle avait revêtu l'habit de la comédienne et son visage métamorphosé était devenu un masque. Elle était Médée. Après le spectacle, nous dinâmes à la table commune comme des comédiens en tournée. Je n'osai évoquer sa carrière, tant il y avait de passé à repasser. »
Tout le monde connaît, sans le connaître vraiment, le comédien
Alain Cuny. Il semblait tellement appartenir au siècle passé qu'on se demande à qu'elle époque il a vécu. « Un soir de récital », raconte Bélit, « je ne dirais pas qu'il suscita l'enthousiasme, au mieux, le malentendu entre un titre accrocheur et les grandes odes de Claudel. Je me souviens qu'après ce concert, nous étions allés manger chez moi à la campagne. Je l'entends encore, marchant dans le noir et dissertant sur le parfum des roses de France, longtemps. Soudain, le spectacle était là, non plus sous la nef où il nous avait assommés, mais dans l'improvisation touchante et poétique de l'instant. Malheureusement, ce soir-là, nous ne fûmes que quelques-uns à l'entendre. »
Existe-t-il quelque chose de plus triste qu'un rendez-vous manqué ? Un rendez-vous avec quelqu'un qu'on admire, qu'on espère et dont on caresse l'espoir que l'on saura peut-être gagner un petit moment d'intimité avec lui (avec elle), qui donnera à la vie une saveur particulière quelques temps, peut-être toujours. Ce rendez-vous,
Marc Bélit l'avait attendu … avec la chanteuse Barbara qui devait passer au Parvis en cet automne 1977. « Lorsqu'on vint me prévenir qu'elle était arrivée dans les loges, le régisseur me glissa : ‘‘Elle est de mauvais poil et a demandé qu'on aille chercher le directeur !'' Diable, c'était bien la première fois que je me retrouvais interpellé comme tel » raconte l'auteur. Mais à trente ans, on ne doute de rien et surtout pas d'inviter les artiste qu'on aime. S'étant préparé un discours fait de compliments qui devaient traduire son admiration, il se présent devant elle, cherchant quels seraient les mots sur lesquels il pourrait les ajuster. « Où sont les toilettes ? » lui demanda la chanteuse d'un ton sans réplique. « A l'évidence, j'étais une ombre, un factotum, un fonctionnaire de service, une utilité du monde du spectacle, un fonctionnaire de service… » confie Bélit, le trémolo dans la voix.
Le soir venu, l'oiseau noir chanta merveilleusement. Elle était là où je l'avais souhaitée…
Tout au long de ses trente-cinq années de carrière,
Marc Bélit aura joie de porter le fruit de son labeur aux marches des «Art & Essai » du cinéma, à la « Scène Nationale », sans oublier la reconnaissance de « Centre d'Art contemporain ». ‘‘Le Parvis'' à Tarbes dont il a assumé la direction, est un véritable lieu pluridisciplinaire, un lieu de culture et d'accueil, des grands classiques en passant par les groupes musicaux locaux.
Seul, dans le noir, se battant contre ses ombres, l'artiste tout auréolé d'une couronne de lumière, déchirant avec sa voix de baryton dont le vibrato presque désespéré touchait au coeur quand ses mots, eux, touchaient à l'âme… Il remporta ce soir-là encore un véritable triomphe.
La lourde tenture de velours pourpre retombe.
« Lorsque je raccompagnai
Serge Reggiani dans sa loge, il avait déjà disparu dans l'ombre de lui-même… J'avais vu passer l'Italien et son souvenir en restait à jamais gravé ».
Lien :
http://lesplaisirsdemarcpage..