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sur 199 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Il y a quelques années, l'un des sujets de l'agrégation d'histoire (le sujet de géographie) était "Géographie des conflits". Parmi les thématiques explorées par ce sujet figuraient précisément les conflits liés à l'aménagement du territoire : de nombreux chercheurs démontraient dans les manuels que cette question de l'aménagement suscitait de vives oppositions entre les décideurs (pouvoirs publics, entreprises privées chargées des travaux) et les citoyens qui voyaient leurs modes de vie bouleversés qui par une voie de chemin de fer, qui par une autoroute, qui par un aéroport ou par l'apparition d'un centre commercial. Aurélien Bellanger fait de cette question, essentielle dans l'histoire contemporaine de la France, un roman foisonnant, encyclopédique, presque un roman noir dont la narration, hélas, connaît un aboutissement un peu décevant.

Toute l'action se passe dans le département de la Mayenne, dans la petite ville d'Argel. Ancien bourg rural rattaché à l'agglomération de Laval par la progression urbaine, Argel est le noyau familial de trois familles qui vont s'affronter : la famille Taulpin, à la tête d'un groupe international de BTP auquel on trouverait des ressemblances avec le groupe Bouygues ; la famille d'Ardoigne, aristocrates désargentés détenant le titre de marquis et reconvertis dans l'esotérisme ou la politique ; la famille Piau, anciens paysans qui ont connu la transformation de l'agriculture en industrie agroalimentaire, et dont les rejetons seront chacun les pions manipulés au coeur de la partie. A côté de cela, d'autres personnages joueront un rôle essentiel, sans être affiliés à l'une ou l'autre de ces familles : Roland Peltier, ancien Préfet de la Loire-Atlantique et grand penseur de l'aménagement du territoire à l'échelle de la France et Clément, un jeune archéologue qui apportera un éclairage essentiel à l'énigme posée par l'existence d'une mystérieuse grotte sous le château d'Ardoigne. La structure du roman repose sur l'enchaînement, chapitre après chapitre, de l'évocation de ces ces personnage ou de leurs actions ; ainsi Bellanger ménage-t-il le suspense et parvient-il à construire, peu à peu, un livre résolument ambitieux.

Ce qui met le feu aux poudres, c'est l'arrivée prochaine de la LGV au coeur du territoire mayennais. En réalité, la LGV ne fait que passer : il s'agit de raccorder Rennes, et donc la Bretagne, à Paris, selon le bon vieux système radial qui fait de la capitale l'origine et la destination de tous les grands axes de circulation en France, et ce malgré le timide effort opéré depuis quelques années pour établir des lignes qui font communiquer les provinces entre elles. Cette vision parisiano-centrée ne doit rien au hasard : ici apparaît concrètement, éventrant les forêts et perçant les montagnes, le jacobinisme de l'Etat français. Au nom du progrès, c'est la Mayenne, ici, que l'on dépèce. La Mayenne, département aujourd'hui loin des préoccupations économiques ou touristiques des Français, forme pourtant avec la Sarthe l'ancienne province du Maine. Entre la Normandie, la Bretagne, l'Anjou et l'Orléanais, cette province est ce que l'on appelait, du temps de Charlemagne, une Marche, c'est-à-dire une zone tampon, ligne frontière s'étalant sur des dizaines ou des centaines de kilomètres, séparant un Etat d'un autre jugé dangereux, sauvage : c'est ici la Bretagne, dont la Mayenne serait le verrou et la porte d'entrée. C'est sur ce point que vient se jouer l'un des grands thèmes du roman : l'indépendance ou le rattachement de la Bretagne à la France, officiel depuis 1532, se joue sur cette terre mayennaise et la LGV, symbole du progrès à la française, fleuron de la technologie nationale et orgueil de technocrates y voyant le transport 100% sécurisé, devient alors un monument à détruire, une cible d'attentat, un tremplin pour l'indépendance de la péninsule bretonne.

Il y a quelque chose d'extrêmement stimulant, intellectuellement parlant, à lire Aurélien Bellanger. On éprouve régulièrement l'envie d'ouvrir une encyclopédie, son navigateur internet ou une carte routière pour constater la véracité de ses propos. Car Bellanger, pour donner une densité et une profondeur peu commune à ses réflexions, emprunte ici autant à la préhistoire (la révolution du Néolithique), à l'histoire (notamment celle de Roland, préfet de la Marche, ou celle de la France rurale ou celle, bien-sûr, des grandes politiques nationales d'aménagement), à la géographie (physique, humaine ou politique), à la sociologie ou même à la mécanique. Loin d'être une simple liste de connaissances, le roman ouvre des pistes de réflexion qui mènent à interroger des notions telles que le progrès (le TGV, symbole d'une certaine fin de l'histoire, trace en vérité une nouvelle géographie en même temps qu'il défigure les paysages qu'il traverse et les rend, en un sens, stériles : en fabriquant un paysage entièrement artificiel, le TGV enterre définitivement les traces du passé, renonce à la nature et détruit des écosystèmes), le rapport à la nature (au fur et à mesure, les hommes se détachent de la terre qui les a enrichis, et la dissimulent même sous le béton ou le macadam), le sens de l'histoire (y en a-t-il un ? l'histoire est-elle seulement cyclique ? tout peut-il être, en ce sens, prévu ?) ou encore sur le remplacement final de Dieu par l'Homme lui-même, qui décide, crée, légifère, autorise, détruit et tue aussi dans une expansion presque sans limites. Tout cela est confronté aux thèses complotistes et à celles de l'extrême-droite, qui interrogent, malgré parfois leur absurdité, notre rapport à l'histoire qui, rappelle Bellanger, ne se veut une science objective, et non plus un appareil de propagande pour le(s) vainqueur(s) que depuis le milieu du 19ème siècle.

Ce qui est sûr, néanmoins, c'est qu'à travers ses romans Aurélien Bellanger apparaît comme un décrypteur. Il traque ainsi, page après page, les signes, les signes invisibles de la destinée et du sens, les signes qui nous donnent à comprendre ce qu'est vraiment la France. Signes invisibles parce qu'ils dépassent l'homme, limité géographiquement et temporellement : il s'agit ici de détricoter, pour mieux l'exposer au regard du lecteur, le canevas de l'histoire et d'étaler une carte si grande qu'elle se confond avec le territoire physique. En d'autres termes, Aurélien Bellanger nous donne, plus que des clés, des possibilités de réflexion quant à notre place. A défaut de parler au coeur, car la trame narrative devient laborieuse dans la dernière partie, Aurélien Bellanger parle à notre intelligence : on serait fou de regretter qu'il le fît.
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Il est assez difficile de résumer ce roman qui parait être un labyrinthe...on s'y perd presque et on peut abandonner rien que pour le titre et la couverture mais c'est vraiment une histoire française ou des histoires françaises juxtaposées que l'auteur a tissées dans une trame historique assez complète et très original même si il y a des ressemblances assez frappantes avec Houellebecq sur des bien des passages et des faits romanesques...l'aménagement du territoire a bel et bien une histoire et l'auteur nous emmène dans ce récit très bien construit sur les chemins de la politique et du pouvoir, de l'entreprise, la haine entre deux familles, l'histoire de la Bretagne et la construction des lignes de TGV...on est très bien servi avec les références historiques et scientifiques ce qui peut être assez lourd et inaccessible mais qu'importe...c'est un style choisi et assumé qui finalement apporte une grande bouffée d'oxygène
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Revenons à cette rentrée littéraire, un titre a retenu toute notre attention. il s'agit du roman d'Aurélien Bellanger : L'Aménagement du territoire.

Après son épopée géniale de l'histoire du minitel dans La Théorie de l'information, la sensation littéraire de 2012 fait son retour ...
Lien : http://livretvous.blogspot.f..
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J'en avais rêvé, Aurélien Bellanger l'a fait. Un livre qui soit autant une ode à la beauté et à la diversité des paysages français, qu'une description savante et soignée des processus organisationnels qui encadrent leur transformation. L'auteur semble se fasciner pour les hommes de pouvoir, la grande histoire et les belles réussites. Tant mieux moi aussi. C'est donc avec un réel plaisir que j'ai découvert ce livre, qui ne laisse pas la place aux temps morts, ni aux losers.
Il n'est pourtant pas facile de captiver et d'insuffler une caution littéraire, à un livre traitant essentiellement de technique. Soit on tombe dans l'excès scientifique et l'on rédige une thèse non-fictionnelle, soit on manipule des concepts vides et décontextualisés, en essayant de les rattacher à une narration laborieuse. Aurélien Bellanger arrive à trouver un équilibre entre des préoccupations savantes et ses aspirations artistiques.
J'ai relevé malgré tout qu'il n'évoquait pas l'effet tunnel produit par les LGV, qui desservent quelques gares, en excluant la totalité des territoires qu'elles traversent à 300 km/h, mais ce n'est qu'une oeuvre littéraire. Ou plutôt, c'est déjà ça.

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L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE – Aurélien BELLANGR – Ed. Gallimard

Enfin ce livre très intéressant se trouve dans la sélection du Prix Medicis 2014 !

Aurélien Bellanger qui aimerait « écrire le roman complet de l'histoire des hommes » nous parle de ce que nous vivons aujourd'hui, il nous parle de « notre temps ».

Un romancier a à sa disposition plusieurs façons d'aborder ce qu'il observe dans une société donnée. Il peut partir de l'individu ou à l'inverse peut partir de grands courants économiques qui vont guider les décisions politiques, qui elles auront des conséquences, des répercussions sur la vie des individus. Aurélien Bellanger a choisi la deuxième option.

Le libéralisme qui veut éradiquer l'état ; la libre entreprise contre le collectivisme. La volonté de tout privatiser. Ce sont ces sujets qui sont abordés sur un ton moqueur et ironique à travers l'histoire du TGV ! et par conséquent sur « l'aménagement du territoire ».

Le livre est peuplé d'individus qui nous accompagnent pendant notre lecture. « Tout était parfait jusque dans les moindres détails, sa cuisine était en chêne, sa femme était blanche .. » Voilà en quelques mots le portrait de l'un des personnages….

Les Liens … Les Liens

De la rencontre de l'auteur avec Les Inrocks on peut lire :

« Dans La Théorie de l'information, il retraçait l'épopée du Minitel, à travers la figure de Pascal Ertanger, double fictionnel de Xavier Niel, le patron de Free. Irrémédiable solitude des hommes, sexe triste et tableau désenchanté de la société libérale, le jeune auteur marchait dans les pas de Michel Houellebecq, auquel il a d'ailleurs consacré un essai : « Houellebecq, écrivain romantique » . C'est avec un roman au titre résolument houellebecquien, « L'Aménagement du territoire » qu'il revient.
« J'ai réalisé un peu tard à quel point cela pouvait faire écho à « La Carte et le Territoire » (de M. Houellebecq) s'amuse A. Bellanger lorsqu'on le rencontre chez son éditeur. Mais le clin d'oeil est tellement appuyé que je préfère jouer le mec innocent ».

Pendant ce temps qu'est ce qu'on voit arriver sur les étales de votre librairie ? - Un livre écrit par l'économiste Bernard Maris : « Houellebecq Economiste ».

« Dans ce livre B. Maris cherche à montrer que l'oeuvre de Houellebecq s'attaque à la démesure du libéralisme économique » dit Marianne avant de conclure « Antilibéralisme, antimodernité, romantisme. de quoi placer Houellebecq, en effet, dans une glorieuse tradition d'écrivains français ».

La boucle est bouclée.

À vous, à nous de jongler avec ces lectures maintenant.



le 15 septembre 2014
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J'avais été enchantée par "La théorie de l'information" d'Aurélien Bellanger, alors quand j'ai vu son second roman, "L'aménagement du territoire", sur une des tables d'Ombres Blanches pendant les vacances de Noël, je n'ai pas hésité une seconde !

Et je me suis régalée avec ce roman / documentaire "fictionné" qui traite de l'économie de l'Aménagement du territoire en prenant pour sujet une commune du Maine, deux familles rivales, et le projet de construction d'une ligne TGV.

Dans cette fresque épique on découvre les dessous fort peu honorables de certains choix technologiques (l'aérotrain vs le TGV), des fuseaux de passage des grands projets comme le TGV, les liaisons entre politiques et grands groupes de BTP ... et les vrais raisons de certaines décisions

Un roman passionnant, qui mêle réalité et fiction, qui rapproche certains événements pour en dévoiler leurs connexions, pas forcément visibles, les coups multi-ba,des de certains accords 2tat-Entreprises ... où le perdant est toujours le payeur / le contribuable ...

Je pense craquer très prochainement pour le troisième opus d'Aurélien Bellanger qui vient tout juste de sortir !

Lien : http://les.lectures.de.bill...
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A Argel, petite ville de Mayenne, l'avenir de l'ouest de la France se joue. le projet de passage de la future ligne TGV en direction de la Bretagne fait rêver certains, grincer les dents d'autres. Dans ce petit patelin, l'affrontement feutré de deux familles. Les d'Ardoigne, nobles désargentés, avec la fille Isabelle engagée dans la lutte contre la violence routière depuis le fauchage mortel de sa mère par une voiture. Evidemment, elle soutient la ligne TGV. Les Taulpin, avec André, le riche industriel stratège et féroce. Il veut à tout prix l'échec de l'Etat-Nation, et ce projet public d'aménagement du territoire le hérisse. Il y a aussi le neveu Pierre, séduit par les thèses de l'extrême-droite, Sébastien, son cousin, activiste écologique. Et l'ombre de Jacques Foccart qui avait pour secrétaire particulier l'actuel préfet Roland Peltier...

"L'aménagement du territoire" est autant un roman qu'un recueil de digressions scientifiques, politiques, archéologiques, historiques. Si les paragraphes techniques m'ont beaucoup intéressée, les références historiques ont moins retenu mon attention. Et de l'attention, il en faut pour assurer la lecture de cet imposant roman. Un roman qui souvent résonne comme une enquête documentaire lorsque prennent place des personnages réels comme Jacques Foccart (qui connaît toutes les ficelles des partitions et aménagements de territoires par son expérience africaine), des lieux véritables (la réalité Mayennaise, le cul entre deux chaises, l'absurdité du projet de Notre-Dame-des-Landes), des situations objectives (comment expliquer jusqu'ici l'éloignement territorial de la Bretagne, l'absence d'autoroutes...).

Le style littéraire laisse une large place au vocabulaire technique et industriel, traitant du changement des sociétés par le biais des métamorphoses géographiques, urbaines, physiques, par la mutation des territoires, évolution d'une enveloppe corporelle décidée par les grandes instances.

(..........)
Lien : http://chezlorraine.blogspot..
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"Dans une langue puissante mais poétique Aurélien Bellanger réussi à recréer l'histoire d'une région a priori plutôt tranquille et en marge des grands mouvements de l'histoire.
On y apprend plein de choses - sont-elles toutes vraies ? j'en doute ! - et on prend un vrai plaisir à suivre les théories les plus échevelées sur l'histoire des peuples de la marche de Bretagne."
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Quand un territoire devient un personnage à part entière. Cette région du Maine, décrite comme l'auteur comme un trait d'union entre la Bretagne et le reste de la France, voit se croiser plusieurs destins dans lesquels les petites histoires croisent la grande.
Une écrite très riche et très contemporaine. On a parfois l'impression (très agréable pour moi) de lire du Houellebecq sans les inutiles digressions pornographiques. Très réussi.
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Un roman de réflexion sur l'aménagement rationnel du territoire, ou comment l'impérialisme intérieur façonne et intègre les territoires, influençant nos modes de vie, nos visions du temps et de l'histoire. Un village oublié de Mayenne se voit traverser par une Ligne à Grande Vitesse. le chantier va raviver les tensions, et exacerber les conflits entre visions industrielles, culturelles, archéologiques et écologiques.

Un roman multiple et varié. Son style est à la fois encyclopédique, remplit d'éléments historiques et de descriptions technico-scientifiques (très Houellebecquien), mais également aventureux, alliant théories du complot et sociétés secrètes. La diversité du livre est accentuée par les profils très hétérogènes des personnages (l'auteur prend le temps de les structurer pleinement). On y passe de la préhistoire aux déchets nucléaires, de l'activisme écologique dans un arbre à l'activisme industriel à coup de béton, de l'aérotrain à de l'escalade à main nue. Bref, un livre intéressant pour les fans de digressions, mais qui ne sont pas pressés d'arriver au bout de l'intrigue de départ : l'important est le chemin.
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