Faire plusieurs centaines de mètres par jour dans la rue en frappant le bord du trottoir avec une canne blanche, se cogner volontairement aux réverbères, ne
pas avoir de réaction quand les médecins vous mettent un projecteur dans les yeux, ce n’est pas à la portée de tout le monde.
- Cela ne t'ennuie pas d'avoir tué tous ces gens ?
Le garçon ne marque pas une seconde d'hésitation :
- Bien sûr que non. Je ne les connais pas ; pourquoi veux-tu que j'éprouve du chagrin ?
Il n'y a que René qui ne soit pas comme les autres. Il faut dire qu'il n'est pas de la famille. C'est le mari de Germaine, le gendre. Il n'est même pas de Puysac, il est de Saint-Albin, à 15 kilomètres de là... Autant dire que c'est un étranger.
Quand il s’agit d’un crime passionnel commis par une femme, les juges
turcs sont impitoyables. Toutes les accusées ont été condamnées à mort et pendues.
Sa mère est une effroyable machine à tuer ses filles dès qu’elles arrivent à l’âge de femme. Elle y parvient d’une manière insidieuse, à force d’humiliations, en les habillant d’une façon ridicule comme des petites filles, en surveillant leur vie amoureuse et en étouffant impitoyablement dans l’œuf toutes leurs aventures…
Quand on est cinq familles à vivre ensemble toute l’année au milieu d’un village quasi abandonné, on ne va quand même pas se dénoncer les uns les autres.
Il faut se méfier à tout instant des serpents venimeux qu’il suffit de déranger dans leur assoupissement pour qu’ils attaquent avec une précision mortelle.
Vous savez, les bêtes, je les connais bien. Elles sont comme les hommes, elles ont quelquefois un instant de folie meurtrière.
La surdité, c’est un autre problème. C’est une question de vigilance. À tout
instant, il faut se répéter : « Je suis sourde. Je suis sourde. » Sinon, on finit par se trahir. Sursauter quand on vous appelle dans la rue, aller ouvrir machinalement quand on sonne à la porte, c’est plus vite arrivé qu’on ne le pense. Je ne parle pas, évidemment, des bruits assourdissants qu’on vous envoie dans le casque à l’examen médical. Cela demande un entraînement long et assez pénible…
Et il continue à parler avec son collègue et ami. Il parle par bravade, mais aussi pour ne pas penser. Car il sait parfaitement, comme les autres, de quelle manière horrible il va être mis à mort. Les Papous mangent leurs victimes vivantes. Ils les maintiennent en vie à l'aide de garrots pendant plusieurs heures, parfois une journée, et ils les dévorent membre par membre.