Un livre puissant, oui, mais dont la puissance est de dire l'impuissance, quand elle nous tient. M. Bellet déploie une pensée tournoyante, qui demeure auprès de ce qui rend la vie impossible, qui ne s'enfuit jamais loin de ce thème difficile, comme font tant d'autres ouvrages. Un livre tout prêt de la vie.
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Les maîtres et seigneurs n'ont aucun pouvoir sur l'en-bas. Les maîtres du savoir n'y descendent pas; ou ils s'y perdent, ils s'égarent; ils deviennent fous.
Ô qui peut descendre là, être parmi eux, parmi nous, celui qui n'est pas complice de ce qui nous tue ? Celui dont la tristesse même est vierge de la ténébreuse tristesse où s'anéantit notre naissance ?
Quelle prière pourrait monter de l'en-bas vers quel Dieu, vers quel visage de quel Dieu, pour que nous soyons consolés ? Comme par une mère qui n'a pas peur du mal de son enfant, comme par un père qui préfère la vie du fils à toute gloire et à tout bonheur ?
Nous n'appellerons personne, père ou maître. Car personne, en bas, ne peut porter une charge si terrible.
Les êtres humains ne sont pas cohérents: premier principe de notre connaissance d'humanité.
C'est pourquoi vous pouvez être en haut et en bas. Vous pouvez être d'assez belle allure (morale, j'entends), et intelligent, et efficace, et reconnu tel, avec de belles aspirations, de grands sentiments, le tout sincère et honnête - et pourtant avec, dans votre vie, l'inavouable, le ver dans le fruit.
Mais comment serait-ce possible ?
Qui peut s'en aller par là sans se perdre ? Et le cœur de l'affaire est peut -être ceci : l'en-bas, il faut le traverser. Pas d'évasion, pas de sortie par en haut.
Où donc est l'issue ? Où est le je-ne-sais- quoi, le changement, la mutation, qui n'enlève rien mais qui change tout ?
Tout, ou très grande part des discours, des exposés, sert simplement à masquer, refouler l'en-bas, y compris et surtout quand on en parle.
L'en-bas est - par nature ! - en dessous de toutes les interprétations et explications. Dès qu'on explique et interprète, on est hors de lui.
Car ce n'est pas une chose, un état, un définissable. Il est tout entier dans le rapport que l'être humain a avec lui : c'est le rapport à l'obscur, à la ténèbre, au nœud meurtrier. Du dehors, après, quand vous voudrez, c'est ceci ou cela. Dedans c'est l'imprononçable, l'innommable.
Et l'innommable fuit et s'enfonce derrière tous les discours, tous les savoirs.
Il hante l'arrière-pays de la psychanalyse elle-même.
Compulsion. : le président Kennedy court les filles. «Voyons, monsieur le Président ? - Je ne peux pas m'en empêcher.»
L'obsession sexuelle, l'alcool, la drogue, la fugue, les accès de violence, et, pour le pire, viol ou meurtre. «Je ne peux pas m'en empêcher. »
Du dehors, l'inadmissible. Du dedans, une culpabilité épouvantable.
On traîne ça comme un boulet. Quelquefois, souvent, c'est invisible – avec le risque d'apparaître un beau jour en pleine lumière. La vie bascule.
Ou bien, perversion : on considère le pire comme normal, ou plutôt on se refuse à toute norme. On n'en est même plus à la douleur. On est dévoré par l'abîme.
Infernale nécessité.
https://www.laprocure.com/product/1034297/bellet-maurice-sapere-savoirs-et-saveurs-d-un-monde-qui-nous-parle
Sapere : savoirs et saveurs d'un monde qui nous parle
Maurice Bellet (Personne interviewée), Nathanaël Wallenhorst (Interviewer)
Éditions le Pommier
Dialogues entre M. Bellet et un jeune chercheur, dans lesquels le théologien, philosophe et psychanalyste partage ses questionnements anthropologiques et sa sensibilité aux souffrances humaines. ©Electre