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Critique de beatriceferon


Ada a disparu ! C'est Frank Logan qu'on charge de l'enquête au sein de Turing Corp. Logique. C'est le spécialiste des disparitions. Sauf que... Ada n'est pas humaine. C'est une intelligence artificielle programmée pour écrire des romans à l'eau de rose.
Frank, un type intègre, totalement étranger aux merveilles de l'informatique, se trouve emberlificoté dans une vaste machination.
J'ai lu « Enquête sur la disparition d'Émilie Brunet » qui m'avait beaucoup plu et beaucoup fait réfléchir. Je me réjouissais donc de découvrir le nouveau roman d'Antoine Bello en avant-première grâce à l'opération Masse Critique. Dans « Ada », l'auteur parodie à la fois les romans policiers et d'anticipation. Quand j'ai vu le titre j'ai immédiatement pensé à un langage informatique, bien que je n'y connaisse absolument rien.Mais quand on vit avec un informaticien, on entend certains termes revenir dans la conversation.
D'entrée de jeu, on est tenté de s'identifier à Frank Logan, qui, tout comme le lecteur lambda, est totalement ignorant des progrès et subtilités des mondes virtuels. Réveillé en sursaut par sa chef tyrannique, qui l'envoie se renseigner sur cette employée de Turing Corp., il tombe des nues quand on lui annonce qu'il s'agit d'une intelligence artificielle. « Vous voulez dire un androïde ? » Parker Dunn, le président de la firme, lui répond, d'un air condescendant, ainsi qu'à un inculte, (comme la plupart d'entre nous), nourri de films, tels « Blade Runner », auquel, d'ailleurs, « il n'avait rien compris », ou de littérature. Ethan Weiss, le concepteur d'Ada, lui explique patiemment tout ce qu'il ne comprend pas. Il précise qu'Ada doit respecter certaines règles, celles qui apparaissent dans l'oeuvre d'Isaac Asimov. Difficile, donc, de situer la frontière entre ce qui est possible, ce qui existe et ce qui relève de la pure invention (sauf, sans doute, pour les connaisseurs, ce que je ne suis pas.)
L'histoire se déroule en une semaine : du mercredi au mercredi. Et pourtant, on a l'impression qu'elle dure bien plus longtemps. Elle se passe aux États-Unis, où vit l'auteur, à Palo Alto, une ville considérée comme le berceau d'Hewlett-Packard et dans laquelle a vécu Steve Jobs. Ce choix est donc mûrement réfléchi. L'époque n'est pas précisée (si ce n'est à la fin), mais on pourrait penser que c'est la nôtre.
Frank Logan, le détective, est très typé, comme le sont des Sherlock Holmes ou autre Hercule Poirot. Il est marié à une Française, rebelle dans l'âme , qui enseigne la littérature. Ses enfants sont aux antipodes l'un de l'autre. Rosa est surdouée et travaille dans le domaine de l'informatique, alors que Leon est un bon à rien qui se contente de petits boulots pas trop fatigants. Les Logan vivent dans une jolie maison entourée de verdure, que guigne un entrepreneur rapace qui leur en offre des sommes astronomiques. Ce qui rappelle la chanson de Jacques Dutronc (« Le petit jardin »). Frank roule dans une vieille Camaro, comme Columbo dans sa Peugeot 403, déteste la technologie et les ordinateurs et consacre ses loisirs à composer des haïkus, qu'il peaufine inlassablement, jusqu'au moment où il les juge suffisamment aboutis pour mériter d'être calligraphiés « sur un parchemin hors de prix qu'il rangeait dans un classeur ».
En face de lui, Ada, dont on oublie qu'elle n'est pas humaine, est programmée pour composer des romans d'amour et a un but : en vendre 100 000 exemplaires. Si elle n'a pas de corps, elle est dotée d'une voix féminine, sensuelle et charmeuse, qui lui permet de discuter avec ses concepteurs, Carmela Suarez, la femme de ménage, qui la considère carrément comme une amie et Frank, qui se demande si elle est capable d'éprouver des sentiments.
C'est donc le principal problème abordé par Antoine Bello : les ordinateurs pourront-ils un jour remplacer totalement les humains ? le lecteur est projeté dans la situation de Frank et se retrouve face à ses questions et dilemmes.
Antoine Bello est vraiment un virtuose qui n'a rien laissé au hasard. J'admire la maîtrise dont il fait preuve dans tous les domaines qu'il aborde. On pourrait donc penser qu'un tel esprit est à mille lieues des romances auxquelles « Ada » fait référence. Il n'en est rien ! On m'en avait prêté une pile en me demandant mon avis. J'ai donc été bien obligée de les ingurgiter. Ces romans sont tellement stéréotypés qu'ils pourraient, en effet, être l'oeuvre d'une machine (du moins ceux que j'ai lus), à tel point que je pouvais prédire à coup sûr, dès les premières pages, le déroulement de l'intrigue et son dénouement. Antoine Bello nous en cite une quantité invraisemblable, les classant par genre ou soulignant tel ou tel aspect. Ahurissant ! C'est comme s'il les avait tous lus ! (Ada en digère plus de quatre-vingt mille.)
L'auteur parle avec la même aisance des haïkus ou des tournois d'échecs. Il jongle avec les statistiques, les références cinématographiques ou littéraires, les romances pour midinettes aussi bien que les chefs d'oeuvre des maîtres de l'écriture.
Ada fait attention à tout ce qui peut appâter le lecteur. A commencer par le titre ou la couverture. Antoine Bello nous en dresse une nomenclature qui laisse pantois.
Elle publie sous le pseudonyme de JLB, ce qui m'a intriguée. L'auteur ferait-il référence à un personnage qui apparaît dans « La vie comme elle va », un roman d'Alexander McCall Smith, qui pourrait tout aussi bien être Ada. Il a créé les personnages récurrents de Ma Ramotswe ou Isabel Dalhousie et les couvertures de ses livres répondent à toutes les caractéristiques listées par Ada. (Pour ma part, je n'en ai lu aucun.)
Frank apparaît au premier abord comme le héros, mais le titre est « Ada », ce qui fait réfléchir à d'autres thèmes : la créature qui échappe à son créateur, comme dans « Frankenstein », la sottise humaine, qui s'obstine à croire que, si les extraterrestres existent, ils seront forcément bienveillants, ce que réfutent pourtant des écrivains tels Michel Faber dans « Sous la peau » ou Vincent Message dans « Défaite des maîtres et possesseurs », la frontière entre humains et humanoïdes, abordée par Asimov ou Jean Molla dans « Felicidad », l'amour véritable, la manipulation, la politique, bref, une vraie mine.
Si tout ceci vous fait penser qu'Antoine Bello étale sa science sur un ton pédant, vous vous trompez. Son roman se dévore. Il est passionnant, mais aussi plein d'humour. J'ai souvent souri, j'ai même ri. Par exemple, lorsque Frank donne à Ada une leçon d'écriture. Il lui reproche son goût pour les descriptions trop directes et crues : « Henry ne « vrillerait pas sa langue dans la bouche de Margareth », il lui caresserait timidement la joue. » A quoi Ada, curieuse, rétorque : « Pas de sodomie ? de cunnilingus ? de gang bang ? - Grands dieux, rien de tout ça ! » s'exclame Frank, scandalisé.
J'ai adoré ce livre qui captive son lecteur, mais aussi le perturbe, l'effraye et le fait réfléchir.
Je suis bien reconnaissante à Masse Critique et aux éditions Gallimard qui me l'ont offert.
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