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Critique de SZRAMOWO


A l'instar de Marc Dugain devenu écrivain après avoir dirigé une compagnie aérienne, Antoine Bello fait partie de ces écrivains qui passés par la case business puisent dans leur propre expérience pour écrire.
Pari réussi par L'homme qui s'envola. le sujet en est simple. Un manager hors pair à qui la vie sourit et réussit, décide d'aller voir ailleurs.
Il y a du Simenon dans la distanciation que Walker, le héros, met entre lui et sa vie. Comme s'il regardait vivre un étranger.
Dans une interview au monde du 16 juin 2011,Antoine Bello se disait «fasciné» par l'auteur de romans policiers et déclarait : « Je suis frappé par sa précocité, sa manière de brûler les étapes. J'aime la cohabitation entre ses aspirations bourgeoises et la facilité avec laquelle il prend des décisions radicales, comme le fait d'aller vivre à l'étranger. Mais le plus étonnant, chez lui, aux yeux d'un écrivain, c'est sa prolixité. L'acte d'écrire a quelque chose d'anodin pour lui, comme si les mots lui sortaient par tous les pores. Je crois qu'il ferait un très bon personnage de roman. J'ai toujours eu envie d'écrire sur un écrivain, je pourrais attribuer son trop-plein de mots à un de mes héros.»

Antoine Bello nous fait comprendre que Walker n'est pas un manager comme un autre.
« Il était le premier à reconnaître qu'une partie de ses déboires venait de son inaptitude à déléguer. Il préférait s'acquitter de tâches indignes de lui plutôt que de les voir traitées moins bien ou moins vite par ses collaborateurs. A force de faire la travail des autres, il avait accumulé une somme impressionnante de compétences dans les domaines les plus variés.»
Ces phrases pourraient sortir de la bouche d'un cadre soumis au feu roulant des questions d'un consultant mandaté par son employeur pour examiner la structure des tâches «parasites» qu'il effectue et ainsi lui apprendre à mieux travailler en se concentrant sur sa mission.
C'est l'une des forces du roman, sa description réaliste du monde du travail. de la logique morbide de développement des entreprises, de la concurrence qu'elles se livrent, de leur logique absurde et contraire à toute éthique humaine.
Le malaise de Walker est là. « le nombre de sujets requérant son attention suivait la courbe de ses ventes. »
Il prétend continuer à diriger son entreprise en étant partout à la fois et se heurte à une réalité du monde du travail, la spécialisation proportionnelle au volume de l'activité.
De même sa famille, Sarah et leurs trois enfants, Jess Andy et Joey, ses parents âgés...
Et lui dans tout ça ? « Il aurait aimé discuter cinéma, intelligence artificielle ou conquête spatiale, mais c'est à croire que personne ne partageait ses hobbies. »
C'est à mon sens la raison qui le pousse à fuir son monde, à «s'envoler».
«Un indicateur mesurait impitoyablement la progression du mal : son calendrier se remplissait désormais tout seul.» (...) «La nuit, Walker contemplait le plafond en se disant qu'il était booké jusqu'en 2040.»
La première partie du roman décrit le lent processus conduisant à l'enfermement du manager dans sa tour d'ivoire. à mesure que cet enfermement l'isole, son envie de fuir grandit. Grandit aussi son envie de démontrer qu'il n'est pas ce à quoi tout le monde le réduit.
«Walker voulait plus de temps pour lui sans avoir de compte à rendre ; il en faisait une question de principe. (...) Il désirait un espace de liberté, une indépendance que sa vie actuelle ne pouvait plus lui offrir.»
Ce qui est d'abord un rêve...
«Même si Walker n'envisageait pas sérieusement de tout plaquer, y penser lui faisait du bien. C'était un dérivatif, un exutoire dans lequel il se réfugiait chaque fois qu'il sentait l'étau du quotidien se resserrer sur lui.»
...va prendre corps, « Walker profitait de ses trajets en voiture pour dresser la liste de ce dont il aurait besoin.», puis devenir réalité : « Chaque fois qu'il menaçait d'exploser, Walker faisait un pas supplémentaire vers la réalisation de son plan.», lorsque par un concours de circonstance, en l'occurrence le marché de renouvellement de la flotte aérienne de son entreprise, lui fait miroiter les opportunités offertes par le côté obscur des affaires, celui qu'il n'a jamais voulu explorer... « Il avait brûlé ses vaisseaux. Il rêvait jusqu'alors de partir ; il n'avait désormais plus le choix.»

La première partie du roman décrit la réalité exclusivement vue par Walker. Une fois qu'il a quitté cette réalité, Antoine Bello donne la parole à son épouse Sarah, ses enfants ou son assistante Libby.
Dans la deuxième partie, construction, vocabulaire, style d'écriture, tout change. le roman donne désormais alternativement la parole à Sarah et à Walker. Antoine Bello nous montre que Walker est Walker et Sarah est Sarah. Il le fait avec humour, par exemple lorsque Sarah se réfugie dans les détails du quotidien pour cacher son chagrin :
« Mes pneus crissent au démarrage, j'ignorais que c'était possible avec une Prius.»
Le lecteur comprend l'impossibilité de couple peut-être trop heureux, peut-être trop égoïste, peut-être en dehors des réalités, en entendant Sarah dire « qu'il n'y avait pas d'heure pour parler du quotidien avec lui. le matin, c'était trop tôt, le soir c'était trop tard, et entre les deux, il travaillait.»

Dans L'homme qui s'envola, Antoine Bello revisite le thème de Faust. Là où Faust rêve de puissance, Walker rêve d'évasion avec ce que cela comporte de regret et de remords lorsqu'il constate que le retour arrière n'est pas une option.
Chez Walker, comme chez le jeune Faust ou le peintre de la peau de chagrin, on retrouve la même détermination à sacrifier l'essentiel pour faire du rêve une réalité.
«Il préférait vivre avec le remord d'être parti plutôt qu'avec le regret d'être resté.»
Mais une fois passé de l'autre côté du miroir impossible de regarder en arrière et encore moins d'y revenir. « Il inspira un bon coup et s'élança dans l'inconnu.»

Ce roman palpitant, qui se lit d'une seule traite, aux rebondissements multiples, aux surprises nombreuses, nous entraîne vers ce voyage dans l'inconnu, avec tous ses impondérables.

Antoine Bello pose de façon originale et contemporaine, puisant les exemples dans la réalité économique, la question essentielle et existentielle du pourquoi et pour qui vivons-nous ? Question à réponse forcément multiple. A vous de lire L'homme qui s'envola. Vous ne le regretterez pas...

Fin mai, Babelio et les éditions Gallimard organisent une rencontre avec Antoine Bello, je les en remercie sincèrement ainsi que pour l'envoi du roman L'homme qui s'envola.
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