Croque-morts
ROMAN AMERICAIN –
Antoine BELLO (Gallimard)
Roman américain d'
Antoine Bello n'est pas un roman cynique. C'est un roman sur le cynisme de notre époque.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir, sans oser l'étudier sur la nouvelle génération d'assurances-vie (plutôt assurances viagères), qui sont indexées sur la très probable mort d'une personne âgée ou malade (surtout du sida ou du cancer) dans un délai donné, vous est grandement expliqué dans cette oeuvre littéraire. Comment ne pas penser à « Mort à Crédit » de Céline à qui l'auteur fait référence dès la première page de ce roman ? Eh oui, ce mélange des genres rondement construit propose aussi une discussion sur la littérature comparée. Quand il parle de
Hermann Broch et son «
Les Somnambules », comment ne pas penser au premier livre à être publié d'
Antoine Bello lui-même «
Les Funambules » et puis un livre d'histoire récemment publié «
Les Somnambules - Eté 1914 : Comment l'Europe a marché vers la guerre » : « Sleepwalkers : How Europe Went to War in 1914 » de
Christopher Clark ?
Étant une inconditionnelle de cet auteur, j'attendais impatiemment son dernier livre avec un plaisir mélangé de curiosité : Quels pièges allait-il nous tendre cette fois-ci ? Car il y a un thème cher à A . Bello qui revient régulièrement dans ses oeuvres : Qu'est-ce que la vérité ? Qui, comment et où il le dit ? Comment la modifie-t-on ? Pourquoi ? Pour le plaisir ? Pour pouvoir nuire ? Ou bien tout simplement pour nous aider à mieux vivre le présent avec un passé modifié ? Aujourd'hui avec Wikipédia, Facebook, etc. la tentation pour tordre le cou à la vérité devient presque un jeu d'enfant.
Dans ce livre, il est surtout question du Commerce de la Mort. Les nouveaux commerçants, statistiques à l'appui, calculent la probabilité sur le temps restant à vivre des personnes malades. Ils gagnent plutôt malhonnêtement leur vie tout en créant des emplois ici et là ! (Ne doit-on pas autoriser l'extraction du gaz de schiste pour créer des emplois tout en sachant que c'est du poison qui coule des robinets, surtout pour des pauvres gens ?). Il est aussi question de la bataille que les assureurs classiques livrent à ces nouveaux commerçants de la mort. Encore une fois A. Bello observe et analyse son temps et le restitue sous une forme littéraire comme le faisait les grands écrivains,
Balzac par exemple. Il nous donne également quelques leçons de journalisme avec beaucoup d'élégance. Sans oublier une petite leçon sur les failles de nos démocraties actuelles.
Comment écrire et comprendre son époque si nos ignorons les mécanismes économiques qui sévissent en souterrain ? Comment parler du capitalisme aujourd'hui sans passer par un manuel d'économie, sans parler de ces croque-morts ? Pour eux, créer des conditions dans lesquelles un salarié rapporte plus à son employeur mort que vivant rabaisse la personne humaine à l'état de simple objet. La valeur de l'employé ne réside plus dans son savoir-faire mais dans son espérance de vie…
A bon Entendeur, Bonne Lecture !
PS Tomber sur des mots rares comme « souquer», «en loucedé » dans le texte nous donne encore une autre raison d'apprécier ce livre. Sans oublier un nouveau mot « lapser » que nous vous laissons découvrir lors de votre lecture. Nous vous laissons également découvrir les démêlés d'un homme avec un logiciel !!!
http://www.antoinebello.com/
le 9 juin 2014