AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de TerrainsVagues


Ennemi lepeniste, lis ce livre et aie honte.
Un peu violent comme entame, oui c'est vrai mais beaucoup moins que certains discours haineux des adeptes de la blonde à 20% (moins 20% de matière grise pour les rasés de l'intérieur).

J'ai eu du mal au départ avec cette lecture. J'ai même arrêté après quelques pages, posé le livre en me disant que je le reprendrai un jour, peut être.
Misère sociale, psychologique et sexuelle qu'ils disaient en 4e de couverture. Ca m'a gavé de lire à toutes les pages que le narrateur avait la verge molle, puis dure (ce sont des choses qui arrive pour le bonheur de tous en principe) puis re molle pis qu'il se la touche pis qu'il se la frotte. Bon la misère sexuelle, il y a peut être d'autres manières de l'exprimer que de raconter des branlettes (j'exagère à peine). En fait ce qui m'a gavé le plus je crois que c'est le mot « verge ». Queue bite ou autre, oui, mais verge… trop « médicalisé ». Bref, j'ai laissé tomber rapidement.
Quelle erreur !!!
Je l'ai repris avant-hier pour aller à la plage (oui il fait toujours beau en Bretagne sud même si l'eau est encore un peu fraîche). Je me suis retapé les verges (c'est une image hein^^) et, prévenu à l'avance, elles sont mieux passées (si je puis dire).
Tahar Ben Jelloun raconte la vie d'un de ces déracinés « importés » comme du bétail, comme de la marchandise à bas cout, dans les années 70 pour construire nos citées, nos routes, nos conforts…
Parqués dans des hôtels miteux, dans des foyers, la notion de regroupement familial n'était pas à l'ordre du jour (et n'y est plus aujourd'hui pour tant de monde…).
Boulot, solitude, exclusion, désoeuvrement, une journée type bien remplie qui recommencera le lendemain. Entre souvenirs et fantasmes le narrateur nous fait vivre ses angoisses et ses espoirs…

« Toi, la larme que le nuage bleu déposa sur l'horizon, où es tu ? Je t'ai vu naître et grandir dans le champ de mes pensées. Tu chantais joliment faux l'aube entre mes mains. J'oubliais l'usine, la fatigue. le regard des autres touchait à peine ma peau. J'étais devenu tout petit. Je marchais sur la tête pour te dire la folie ; nous avons ri. Les miroirs ont dansé sur nos corps. L'oeil mouillé descend sur la joue, enroulé dans un ruban mauve. Ce fût là mon sanglot, lourd et entier. Ce sanglot séparé de mon corps est une boule de larmes solidaires qui emportent l'oeil et la peine. Pierres taillées par le temps. L'orbite lavée se remplit de rires qui se bousculent pour me donner la joie qui manque ; l'herbe douce pousse sur les bras.
Écoute-moi encore un soleil ou un quartier de lune. Ecoute ma hantise, tissu de la nuit ; écoute la peine qui éclate en petits morceaux de rire et de chants. le travail me sépare de la vie ; la nuit m'exclut du songe. »

Et puis ces lettres bouleversantes à « l'image », fille sur papier glacé placardée sur le mur, ce mur qui se fissure au fil des pages, comme se fissure la résistance à la résignation de l'homme « invisible ».
Lettres aussi peut être parfois aux espoirs de vie meilleure, aux délires, aux souvenirs…

D'une vie triste et de situations sordides, Tahar Ben Jelloun a su ne pas sombrer dans le glauque.
Il en a fait une sorte d'introspection sans concessions servie par une poésie fiévreuse, une poésie présente à chaque page, à chaque ligne. du grand art.

Je m'étais dit que ce serait mon premier et mon dernier Ben Jelloun, j'ai changé d'avis. J'ai du retard à rattraper et je compte bien m'y mettre rapidement car il y a dans cette écriture magnifique, l'émotion que je recherche dans un texte, la profondeur, la poésie, enfin quelque chose qui me parle peu importe comment on l'appelle.

« Se faire aimer et voir naître la tendresse d'un arbre qui gouverne avec ses branches.
Je suis l'arbre et la caresse.
Je suis l'oeil de l'arbre dressé dans la nuit où mon corps mendie le toucher d'un regard, le toucher d'une main.
Etre aimé de l'herbe, d'un chameau ou d'une gazelle. Je ne te chasserai pas dans mes territoires. Je te donnerai à boire du fond de ma folie. J'ai du miel au fond des yeux. J'ai de l'huile d'argan dans mes phrases. J'ai des figues dans mes silences éclatés. Viens de la terre ou d'un simple nuage peint. Viens du ventre de la chamelle ou d'un conte dit le soir des dunes. Viens sur la nacelle que j'ai dessinée. La mer sera tendre, faite de sentiers légers et d'écume bleue.
L'insomnie d'hiver me sépare de toi. Ma tête se pose sur une botte de foin. Elle est légère et pâle. J'attends le vent qui l'emportera. Mon rivage n'a pas d'horizon. Il se couche sur la route gardée par les serpents. La douleur regagne un ciel saigné. Elle me libère à l'aube. Des nuages s'agenouillent. Et toutes les images envahissent le lit, laissées par la nuit qui s'est retirée, surprise par un matin d'urgence ».

Merci monsieur Ben Jelloun.
Commenter  J’apprécie          439



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}