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Critique de yannlerazer


L'Ablation, est un récit unique en son genre, à deux mains, celles de Tahar Ben Jelloun, mais à deux têtes, puisque le romancier se transforme en écrivain public, ou plutôt en écrivain amical, permettant à un de ses proches à qui il a fallu procéder à l'ablation de la prostate, de tout dire, sans fards, sur les conséquences d'une opération qui bouleverse la vie de ceux qui doivent l'endurer, et qui bouleverse au moins autant, en 130 pages à peine, la conception que l'on peut avoir de la vie avec une sexualité perturbée, voire anéantie.

Car voilà, hommes et femmes qui lirez ce récit, vous comprendrez dès la première phrase, le drame de tout homme attaqué par le cancer de la prostate : « Depuis que je ne baise plus… » C'est dit : il y a très peu de chances de ne pas rester impuissant après l'ablation. Outre la honte première de l'incontinence qui, durant les premiers mois suivants, trempe l'homme dans la gêne de sa pisse dont il ne s'aperçoit qu'il est trop tard que lorsqu'elle a mouillé son pantalon, c'est d'impuissance que l'on parle.

« Voilà, je ne bande plus. Ma verge est morte. (…) Je n'ai plus de sperme. Pas de liquide séminal. (…) le sang qui gonfle le pénis ne passe plus. » Puis, plus loin, un soupir, un cri, un sanglot d'impuissance : « Je ne suis plus un homme ». A la place de son sexe, il n'y a « qu'un trou béant. La déprime commence par ce constat. » Comment font donc les abstinents ? Ils ont la volonté de leur impuissance, ils n'y sont pas contraints par une défaillance technique, une ablation irréversible.

Le « cerveau n'est pas en cause » ; pourtant, avoir un sexualité sans sexe, cela ne peut se produire que grâce au cerveau. Il y a beaucoup de pensées puissantes dans ce récit, fondée sur une certitude énoncée ainsi : « Nous sommes le temps. » Pourtant, l'homme devient impatient, il peut souhaiter mourir, ayant subi l'ablation de sa prostate, mais surtout de la sexualité qui fut la sienne, longtemps, avant l'opération. C'est donc bien au cerveau, organe compliqué de notre être, qui a sa vie propre, savez-vous, qu'il faut confier la reconquête de sa puissance.

Parce que l'abstinent est souvent religieux, l'ami de Tahar Ben Jelloun rencontre un charlatan indien qui déclare, en transe : « Devil Inside ! » C'en est trop, l'amie qui a conduit l'impuissant à l'imposteur subit une ablation elle aussi : celle du carnet d'adresse. Dommage, il ne lui restait que peu d'amis ; les autres : « C'est plus fort qu'eux. Ils projettent leur propre angoisse de la maladie et de la mort. Il faut éviter qu'ils le sachent. Tu pourras mettre dans la confidence une ou deux personnes de confiance, pas plus. » Demandez à un malade de combien d'amis son état a généré une ablation : l'abandon est plus rapide que les métastases.

Ce récit s'adresse à tout homme, à toute femme, pas seulement touché directement ou indirectement par le cancer de la prostate. Il va bien au-delà. Il voit bien plus loin. C'est un livre sur le réapprentissage de la sexualité lorsqu'un événement l'a perturbée. C'est pourquoi, paradoxalement, il y a un grand absent parmi tous les spécialistes rencontrés par l'ami de Tahar Ben Jelloun : le sexologue. En effet, si notre cerveau a une vie propre, sur laquelle il serait vain qu'un être humain puisse penser avoir la puissance de la maîtriser, n'est-ce pas avec ce spécialiste de l'introspection dans les méandres cérébraux de notre sexualité, que l'on peut trouver la réponse à : « Vivre sans bander ? Sans baiser ? » C'est la proposition que l'on pourrait faire à l'ami du romancier, s'il est encore temps. « le temps sera mon ami », dit-il ; oui, mais pourquoi cette alternance soudaine, inquiétante, entre les temps du futur et du conditionnel ? Il y a plusieurs manières de rencontrer le temps. Gageons qu'il ne s'agisse pas de seulement l'arrêter.
Lien : http://tmblr.co/Z4Dxcn1ZfFxn3
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