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Critique de Alzie


Alzie
04 février 2022
"Chienne de vie", en français. Sur un ton ou plutôt avec les accents de quelqu'un s'excusant presque d'être devenu ce qu'il est Tonino Benacquista, filial et fraternel, adresse une rare et pudique déclaration d'amour aux siens, à ses profs de français, aux livres et à la littérature, dans un exercice d'autobiographie comme je les aime, mêlant drôlerie, gravité et invention formelle, qui croise le récit d'un déracinement familial et celui de sa success story inattendue d'écrivain, "l'insolente réussite" qui l'oblige à traverser ici le miroir familial. C'est l'histoire de ses parents, Cesare et Elena, Italiens installés en France en 1954 avec quatre enfants nés "là-bas", vue, racontée et imaginée aussi pour ce qu'elle aurait pu être, par lui-même le petit dernier, né à Choisy en 1961. le plus français de tous se fait l'observateur affûté, portraitiste tendre de son attachante fratrie et se penche quelquefois avec humour sur la notion d'atavisme. Son côté paternel Benacquista, ceux qui "tordent le cou des lapins et retournent leur peau comme un gant", son côté maternel Polsinelli, ceux "qui taillent des costumes sur mesure"... "qui piquent et brodent dans leur atelier de couture" (p.112), qui ne quittent jamais leur pays. Chez les Benacquista l'oncle paternel Luigi a réalisé "le rêve américain" de beaucoup d'Italiens en faisant fortune aux États Unis et rendrait plus cruelle encore "l'émigration subie" de son frère cadet Cesare en France. D'où la portée symbolique réparatrice de sa réception d'un César du meilleur scénario par Tonino, évoquée dans les dernières pages de son livre (p.183).

À l'inverse de tant d'écrivains qui s'attardent sur de précoces souvenirs de lecteurs pour raconter leur parcours d'écriture, lui doit d'abord parler de la conquête des mots d'une langue restée en travers de la gorge de ses parents et expose au contraire sa résistance peu commune aux livres, "La lecture n'est pas un refuge mais un fardeau" (p. 47), sa scolarité défaillante entre les livres qui se refusent à lui, ceux qu'il évite de lire, ne lit pas ou ne veut pas lire mais s'autorisant, suprême imposture ou culot, du collège au lycée, faute de lapin et grâce à son imaginaire débordant, à "tordre" en bon Benacquista, le sens des mots et des questions, à "broder" en vrai Polsinelli, ses propres fictions. le cinéma est et restera un attrait pour ce "résistant créatif". Après l'envolée vers la vie d'adulte de son frère aîné et de ses trois soeurs, la solitude béante, le spectacle du désarroi de Cesare et Elena ses parents mais, plus fort que tout le reste, le rêve qui va s'accomplir de vivre de l'écriture. En questionnant le rendez-vous manqué de ses parents avec la France et le sien avec eux, Tonino Benacquista montre de manière bouleversante les deux figures abîmées d'un même couple, qu'un ressentiment mutuel destructeur menant à l'ivrognerie de l'un et à la mélancolie profonde de l'autre rendit négligents du devenir de leurs enfants. Cette traversée du miroir familial, au-delà des souvenirs douloureux qu'elle ravive, prend une forme créative élégante bâtie en courts et stimulants chapitres se suffisant à eux-mêmes, tantôt narratifs, tantôt imaginatifs ou plus méditatifs où s'inscrit l'itinéraire d'un amoureux des arts (le cinéma en particulier) et l'histoire d'une ouverture salvatrice aux livres, le secret d'un passage rituel vers la citadelle littérature dont il faut aller en toute hâte découvrir celle qui lui en remit les clés ("C'est beau un colophon").

"La vie, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit"
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