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Critique de fanfanouche24


Un passage dans une librairie extraordinaire du vieux Vannes [Morbihan ], "Le Silence de la mer ", où je serais bien restée des heures à fouiner dans leur fonds littéraire, très engagé et personnalisé... si je n'avais eu une visite non reportable !...

J'ai toutefois pris le temps d'acheter le dernier opus de Jeanne Benameur, parmi mes auteures de prédilection... même si j'ai lu plusieurs fictions autour d'Ellis Island, dont l'excellent texte de Gaëlle Josse, "Le Dernier gardien d'Ellis Island "...je me suis lancée !

"Les émigrants ne cherchent pas à conquérir des territoires. Ils cherchent à conquérir le plus profond d'eux-mêmes parce qu'il n'y a pas d'autre façon de continuer à vivre lorsqu'on quitte tout.
Ils dérangeront le monde où ils posent le pied par cette quête même." (p. 326)

Le titre choisi par Jeanne Benameur est d'une simplicité extrême...et le style de cette auteure nous " prend aux tripes" d'emblée !...Sans oublier la couverture sépia, également sobre, exprimant l'essentiel de cette fiction... !


"Il s'est habitué maintenant aux arrivées à Ellis Island. Il sait que la parole est contenue face aux étrangers,que chacun se blottit encore dans sa langue maternelle comme dans le premier vêtement du monde." (p. 12)


En faisant des recherches, je découvre que l'auteure a débuté son oeuvre par l'écriture de poésie, ainsi qu'un texte-poème de Jeanne Benameur, édité récemment par Bruno Doucey, dont le titre est des plus évocateurs "La Géographie de l'absence"... j'apprends ainsi que notre auteure a aussi vécu le drame de l'exil, le chagrin d'être arraché à son pays. Dans ce cas, elle était une petite fille de cinq ans, devant partir de l'Algérie avec sa famille... entre un père algérien et une maman italienne...Alors, elle sait de quoi elle parle, et nous le sentons très fort au fil de ce texte...; on ressent vivement le choix exigeant de chaque mot...!!

"Comme les grands oiseaux qui vont chercher l'asile propice pour faire leur nid, ils sont partis mais les hommes n'ont pas la liberté des ailes. La nature ne les a pas pourvus pour se déplacer au-dessus des mers et des terres. Il leur faut faire confiance à d'autres hommes pour être transportés.
Et pour être accueillis ? "(p. 27)


Dans cet espace "charnière" d'Ellis Island... nous nous prenons de sympathie avec les différents personnages: le jeune photographe, Andrew Johnson, New-Yorkais, père islandais, mère fière de son ascendance qui a appartenu aux premiers pionniers, refusant toutefois de parler de tous ces migrants; Ce fils,complice de sa grand-mère islandaise,qui tente de comprendre le passé de sa famille, en captant un peu de ces visages croisés, de leur destinée; Donato et sa fille Emilia, lui comédien talentueux,
amoureux des textes anciens; Emilia, dessinatrice et peintre...ils partent pour "tourner" la page, atténuer le chagrin de la mort prématurée de la maman; Esther, l'Arménienne...qui a vu mourir les siens; Gabor, gitan violoniste, orphelin, élevé par son grand-père, espérant aussi une nouvelle existence. Tous ces êtres vont se croiser, s'aider même silencieusement; un regard amical, bienveillant... pour s'insuffler du courage dans ce "no man's land" de l'attente, de l'espoir !

Récit au style magnifique, entre prose et poésie !! On pourrait sans doute être parfois gêné par des phrases très "léchées" aux thèmes identiques... comme des sortes d'incantation, mais cela fait partie intégrante de la musique, du rythme du texte...

"La douleur qui n'est pas écrite n'a pas de forme, elle peut envahir tout l'air et on peut en être envahi simplement en respirant." (p. 54)

Chaque personnage possède un moyen,une passion , un talent particulier pour moins souffrir dans ses deuils et ses manques: que cela soit la lecture , le théâtre, la musique, la peinture, et la tendresse des corps [ thème très présent...pour un oubli de tout, nécessaire, vital et en même temps,dans un instinct de Vie, plus fort que tout ...] dans ce moment charnière, où chacun tente de se projeter dans un Avenir...différent... Ces personnages, tous attachants, qui veulent oublier l'angoisse de leur statut angoissant de migrant...entre deux pays... le leur et celui qu'ils ont choisi pour se reconstruire....recommencer !

"Si jamais personne ici ne veut d'eux, de ce qu'ils sont vraiment, comment vont-ils vivre ? Dans quel regard vont-ils trouver le respect qui donne la force de vivre ?" (p. 147)

Une lecture très forte, exceptionnelle en émotions et questionnements "universels"... qui ne peut que nous interpeller au plus profond de nous mêmes....Je prolongerai cette lecture avec "La géographie de l'absence" , texte que j'ai commandé aussitôt, qui parle aussi d'exil, et de déracinement...
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