Ca t'apprendra à vivre, un titre qui résonne comme une initiation ou comme une punition. C'est un peu les deux sensations qui me sont venues en refermant ce livre autobiographique.
C'est une
Jeanne Benameur (née d'un père Tunisien et d'une mère Italienne) remplie de l'insouciance d'une enfant de cinq ans qui va quitter sa terre natale d'Algérie pour arriver à La Rochelle et découvrir que la vie n'est pas un long fleuve tranquille.
Première initiation punitive :
« Il n'est pas sûr que parmi les harkis ne s'infiltrent pas les hommes du FLN. C'est notre lot. Nous sommes détestés des deux cotés parce que nous n'appartenons complètement à aucun ».
Première fêlure, il faut choisir un camp, s'opposer à l'autre. Première leçon, ça t'apprendra à vivre, première claque à l'âme, ça t'apprendra à vivre.
La narratrice va perdre son innocence au fur et à mesure que vont tomber les masques familiaux.
De la prison où son père (qu'elle adore) est gardien à la geôle intérieure où elle va se réfugier pour sauver les illusions qu'elle peut encore sauver, il n'y a qu'un pas qu'elle franchit de plus en plus.
« Et je t'entends bâtir une maison dans le sud de la France, à Saint Raphael… oui, une maison de famille… elle vient de sortir de terre, de ta bouche. Je t'écoute. Je te regarde .Tu as l'air modeste de celui qui possède un palace et ne veut pas en faire étalage. Tu continues à parler de « la maison », sans en ouvrir toutes les portes mais on devine.
Je n'ose plus te regarder. Tu mens, papa. Nous n'avons rien. Ni ici ni ailleurs. Nous n'avons que nos mots. Pas de pierres pour faire de vrais murs. Pas d'herbe pour un vrai jardin. Rien. Nous n'avons jamais eu de maison à nous.
Tu continues à mentir et à me tenir la main. Comment peux-tu ? »
Son père, sa mère, son frère et ses soeurs… oh oui si elle avait un marteau, elle re sculpterait le quotidien.
« Maman, je n'en peux plus de t'appeler en silence. Je t'appelle partout et je ne sais même pas que je t'appelle. Je t'appelle du fond de moi. Tu ne peux pas m'entendre »
« Alors tu vas au lit de ma soeur A. et la même chose, tu dis la même chose à son épaule, la même.
J'attends. Je veux une chanson pour moi toute seule.
Tu quittes la chambre.
Aussitôt ma soeur A. se lève, s'habille, elle te rejoint tout de suite.
Moi, j'attends.
Au bout d'un moment des coups résonnent sous le lino de la chambre. Tu as pris ton balai et tu tapes au plafond de la cuisine, juste sous mon lit.
C'est ça ta chanson pour moi toute seule ? Il n'y a pas de paroles. Il faut que je me lève.
Je t'appelle du dedans. Je n'ai pas de balai pour taper contre ton coeur ».
Ca t'apprendra à vivre c'est probablement une partie du journal intime de la petite Jeanne, journal qui fait prendre conscience au père…
« Mon père, en soulevant la table, l'a trouvé.
Quand il me le redonne, il a l'air gêné, si triste. Il dit qu'il ne savait pas que perdre Moussy m'avait fait tant de peine, que s'il avait su…
S'il avait su quoi ?
S'il savait tout ce qu'il y a derrière !
Il me regarde. D'un seul coup, il a les larmes aux yeux.
Ca me fait du bien ».
Quand le coeur et l'âme de l'enfance se fragmentent, on appelle ça grandir, murir, devenir adulte.
Quelques morceaux reviennent de ci de là au cours du parcours, viennent taquiner des plaies plus ou moins cicatrisées.
Apprendre à vivre, quel effrayant concept. Heureux ceux qui n'ont rien appris dans ce domaine et ont gardé leur Regard d'enfant. Je crois que
Jeanne Benameur a réussi malgré tout. En tous cas, elle a réussi à me toucher avec ses maux d'enfant.