Claude est une femme parmi d'autres, un mari, une fille née d'un précédent mariage, une jolie maison, un boulot agréable, tout irait bien pour elle si elle ne se posait pas des questions sur son identité et le sens de tout cela. Lorsqu'elle s'installe à la terrasse d'un café parisien, elle s'essaie à une scène semi érotique afin d'attiser le regard de l'homme assis en face. C'est que pour Claude, être une femme n'est pas si simple. Lorsqu'il faut préparer les repas, nettoyer la maison, faire les courses, être la mère, l'amie, l'amante de son mari, elle peine à se retrouver et à être pleinement épanouie. D'une scène aux abords de la séduction devant une tasse de thé, Claude va tester un nouveau genre, c'est comment d'être un homme ?
Un fantasme que j'avoue habiter depuis longtemps en moi pour le simple plaisir d'assembler la partition parfaite d'un homme après avoir vécu dans un corps de femme. L'idéal pour être séduit comme on en rêve, compris comme on l'attend. Pas une mince affaire dans ce monde décalé entre les hommes et les femmes.
On a ici affaire à un roman ultra féministe, la femme est en effet à l'honneur, un vrai déballage qui renverse les clichés, qui bouscule les codes et imagine une femme avec un pénis ou un homme portant un enfant, oui, oui, ça décoiffe, ça détonne. Un roman déroutant, plutôt bien écrit, bien pensé, original et plaisant. La seconde partie m'a beaucoup plus attirée, sous la forme d'un road-movie, Claude va faire la route avec une camionneuse, elle verra du pays et surtout redessinera le monde avec Ricky aussi désopilante que sensible.
Un roman bon chic bon genre, rempli de séduction, d'érotisme et qui donne la part belle à toutes les femmes.
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Tout le monde s’intéresse aux femmes, répond Ricky, c’est ainsi, de tout temps. Les hommes comme les femmes. Les hommes regardent leurs seins, leurs fesses, voudraient toutes les posséder – celles qu’ils trouvent belles, et les autres aussi –, ils voudraient les faire jouir ou pleurer, parce qu’ils en ont besoin pour se sentir puissants. Les femmes aussi regardent les femmes, elles cherchent où se cachent leur beauté, leur jeunesse, comme s’il y avait un secret à dévoiler, comme toi elles les admirent. Faut-il s’en réjouir? Au fond, c’est peut-être une chance d’être du genre qui fascine l’humanité tout entière… Qui voudrait être un homme, à choisir?
« Il y a plus de quarante ans, les Françaises obtenaient enfin le droit à disposer de leur corps. » Le droit à disposer. La proposition claque comme un coup de fouet. Disposer de son corps, par-delà les transformations silencieuses, la pression atmosphérique, la lune, les cycles de la nature, les noyades hormonales, etc. Par-delà les régimes ininterrompus, l’alcanisation, l’oxydation, la constipation, l’ovulation, l’armature des balconnets, les onze centimètres de talon, les pantalons cigarette, les canons ornementaux. Par-delà la carapace diurne, de jour être une guerrière intraitable, un fauve prêt à tous les combats, et quand vient le soir et que les femmes sont dociles, la volte-face nocturne du devoir de douceur. Le droit de passage des hommes et des enfants. L’impératif de jouissance comme degré zéro de l’estime de soi. La femme-réceptacle, la femme-matrice, la jeunesse, l’avenir de l’homme. Des femmes intrépides ont bagarré dur pour qu’elle soit en droit de disposer de son corps. Cette femme lasse et courageuse a soulevé des montagnes d’humanité pour elle. Et pourtant, elle se sent en permanence indisposée – ce qualificatif fangeux que sa mère utilisait pour la dispenser des séances de piscine. Son corps est une zone franche dont les autres jouissent, les hommes qui se rincent l’oeil, les femmes qui la jalousent, tous ceux auprès de qui il faut faire bonne figure, c’est-à-dire tout le monde. Son corps exposé en vitrine dit combien elle vaut. Mais elle ne dispose de rien. »
Une femme célibataire c’est effrayant, se méfier des femmes célibataires, ça cache un loup, nous sommes faites pour vivre en couple, attention encore, ne dépendre d’un homme sous aucun prétexte, ne jamais renoncer à son autonomie, une valise toujours prête sous le lit au cas où. Allez comprendre.
Ne t’arrête jamais de chercher. C’est ce qui fait la beauté de ce monde. Quand on croit en avoir fait le tour, il nous révèle une porte dérobée.
INCIPIT
Elle le voit arriver de loin, par hasard son regard s’est détourné vers la droite et il vient de là, ni grand ni petit, ni jeune ni vieux, rien ne le démarque, lui plutôt qu’un autre, en plus elle ne cherche pas, elle est mariée, ni heureuse ni malheureuse, pas plus de raisons de se plaindre que de se réjouir, on a tous nos problèmes. L’homme n’a rien de notable si ce n’est ce détail, ça l’a toujours fascinée, la ville sème ses obstacles, comment font-ils pour ne pas trébucher, faut-il être passionné… La passion qui possède, voilà qui a de quoi l’intriguer. Elle est si cohérente, ses décisions, ses opinions, tout filtre par le tamis de sa raison, pas trop de place pour la passion, ce n’est pas vraiment par conviction. Donc l’homme avance vers le café où par hasard elle s’est installée. Cela ne lui arrive pas souvent, le hasard, incompatible avec son organisation, et pourtant ce jour-là, entre deux rendez-vous, une heure vacante et une place juste devant pour garer sa voiture, elle s’est dit, pourquoi pas, à l’improviste pour une fois. C’est dire comme sa vie est ennuyeuse. Ras le bol des sandwichs et du quinoa dans des bols plastique. Elle s’est arrêtée pour déjeuner.
Il marche en lisant. Voilà le détail. Ces gens-là, on en croise parfois, ils ont cette présence absente à la ville, ils trimballent leur bulle de mots et d’imaginaire et à les voir on se sent tellement arrimé, plombé par la gravité, alors qu’eux semblent voler. À pas lents, les yeux sur le livre, indifférent aux voitures, aux passants, aux oiseaux, aux femmes installées aux terrasses des cafés pour profiter du joli jour de fin d’été, en aveugle au milieu des dangers, il lit. Le secret, c’est la lenteur, dans le lent défilé de la forêt urbaine, muni d’un radar il voit au-delà des ombres, il évite les pièges et c’est comme un sixième sens. Elle ne se gêne pas pour l’observer, d’ailleurs ce n’est pas tant lui que son parcours, c’est risqué, ces gens-là sont cinglés, va-t-il lever le nez pour traverser ? Elle pense qu’il est comme les autres, qu’il ne la voit pas, parce qu’elle non plus n’a rien de remarquable, du moins c’est ce qu’elle croit, rien qu’une femme qui fait de son mieux, maman, épouse, collègue, fille, sœur, copine, cousine, voisine, douce, forte, féminine, masculine, autonome, ni soumise ni casse-couilles, intello mais pas trop, mince mais pas maigre, grande gueule pas énervée, sous contrôle permanent, elle n’en peut plus mais elle ne le sait pas encore.
Arrivé à sa hauteur, voilà qu’il s’assied, dos à la rue, une table de l’autre côté de l’allée où va et vient le serveur. C’est étrange, pense-t-elle, moi je m’installe toujours face à la scène pour ne rien rater du spectacle. I want to be part of the show. Lui veut sans doute ne pas être dérangé, d’ailleurs sans relever la tête il a posé son livre sur la table et il continue à lire, jambes croisées, une main dans la poche qu’il sort pour tourner la page, l’autre posée, l’index et le pouce en équerre sur le livre, une brise légère pourrait soulever le feuillet et lui faire perdre quelques précieuses nanosecondes. Elle continue à le regarder du coin de l’œil, puis son steak-frites arrive. Elle n’a pas fait les choses à moitié. Marre du chou et des cranberries. L’espace d’une heure, elle redevient carnivore pollueuse inconséquente et un Coca rouge pour couronner le tout.
Découvrir l'émission : https://www.web-tv-culture.com//emission/ines-benaroya-quadrille-51815.html
J'aimerais bien écrire mais je n'ose pas, je n'y arriverai jamais, je ne sais pas comment faire… Combien de fois entend-on ce genre de commentaires de personnes n'osant pas franchir le cap de l'écriture. Inès Benaroya en a fait partie jusqu'à participer à des ateliers d'écriture. Dès lors, prenant de l'assurance, découvrant des techniques mais surtout laissant libre cours à son imagination, elle met un point final à un premier manuscrit. Ainsi, celle qui jusqu'à présent s'était consacrée à sa vie d'épouse et de mère de famille, avait suivi un beau parcours professionnel dans le marketing, devient romancière. Accueilli positivement chez plusieurs éditeurs, c'est finalement chez Flammarion qu'est publié, avec succès, ce premier titre « Dans la remise ». Suivent « Quelqu'un en vue » et « Bon genre » dans lesquels Inès Benaroya confirme un vrai talent à construire des ambiances, à créer des personnages aux personnalités complexes et aux choix retors, souvent en parallèle à des faits de société.
On retrouve tout cela dans « Quadrille » mais bien plus encore.
Une gentille famille, les Traven, Pierre, Ariane et les enfants, deux ados Jeanne et Guillaume. Tous les quatre partent en vacances sur une ile grecque baignée de soleil. Là, sous le ciel du Péloponnèse, ils font connaissance avec les Sainte Rose, une famille presque comme eux, les parents et deux ados. Mais ils sont tellement plus charismatiques, tellement plus solaires et tellement accueillants et généreux. On partage une grande ville, on part en mer ensemble, on festoie jusqu'à tard dans la nuit en buvant de l'ouzo et en regardant les étoiles. Les deux familles sympathisent, sans doute trop… Et le drame couve, le bleu azuréen va se couvrir de rouge sang.
Cinq ans après, alors que chaque membre de la famille Traven tente de se reconstruire, Ariane, divorcée depuis, raconte. Les souvenirs affleurent par bribes. L'étau se resserre, la plaie est vive. Ariane parviendra-t-elle à sortir la tête de l'eau.
L'intrigue est habilement menée, comme un thriller mais « Quadrille » est avant tout un roman psychologique dans lequel se démènent des anti-héros, chacun avec ses zones d'ombre, ses fragilités, ses trahisons. Un roman suavement pervers qui vous fera réfléchir sur vos prochaines rencontres de vacances !
« Quadrille » le nouveau et très réussi roman d'Inès Benaroya est publié chez Fayard.
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