AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782213632537
306 pages
Fayard (07/03/2007)
3.17/5   3 notes
Résumé :

Cet ouvrage montre brillamment comment en monde juif, depuis les fondations bibliques elles-mêmes, la souffrance, ses représentations et sa ritualisation ont façonné au fil des siècles l'histoire d'un peuple et d'une religion, et plus encore l'idée que ce peuple et cette religion se faisaient de leur histoire, désormais " lacrymale ". Il suit ce parcours jusqu'à ses ultimes métamorphoses et analyse le lien indi... >Voir plus
Que lire après La souffrance comme identitéVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Le livre d'Esther Benbassa par de la volonté « de comprendre comment la souffrance, ses représentations, ses instrumentalisations successives ont pu façonner l'histoire d'un peuple et d'une religion, ou plus encore l'idée que ce peuple et cette religion se faisaient de leur histoire ».

L'identité d'un groupe entremêle constructions sociales, constructions mentales, imaginaires collectifs, actes de foi ou de croyances, rationalisations des vécus et des compréhensions, écritures et réécritures du passé en fonction de choix religieux, scientifiques ou sociaux, de confrontation aux autres, d'inscription dans des lieux et temps concrets. Mémoires et histoires ne se recouvrent pas forcément, surtout lorsque le religieux, l'idéologie, le désir et la peur imprègnent ou dominent les perceptions.

J'utiliserais dans cette note le terme de juif, sans préjuger des débats nécessaires de définition sur la notion de peuple(s), nation(s), religion(s), etc.…De même je choisis la formulation de Raul Hilberg « La destruction des Juifs d'Europe » aux termes « holocauste » ou « shoah » qui m'ont toujours parus inadéquats. J'assume par ailleurs le choix, sans vouloir porter atteinte aux croyances d'éventuel-le-s lecteurs et lectrices, de mettre tous les termes à connotation religieuse en minuscule (bible, écritures, talmud, dieu, croisade, exil, etc.). Je garde par contre la graphie de l'auteure.

Le livre d'Esther Benbassa est divisé en cinq chapitres.

« Souffrir, mourir, ritualiser » traite de la place de la souffrance dans l'éthos juif, dans les constructions bibliques et midrashiques (exégèses rabbiniques des écritures). « Une justification eschatologique et apocalyptique de la souffrance prend forme, soutenue par la croyance en une vie après la mort ».

L'auteur parcourt les mots et ordres religieux pour dégager les sens possibles de la souffrance comme relation au monde, punition ou bénéfice, relation à dieu, en soulignant les différences sensibles entre le catholicisme, l'islam et le judaïsme. Sans oublier que cette construction collective induit que « le ferment de subversion que recèle la souffrance est neutralisé par cette ritualisation qui, par cumul des catastrophes qu'elle englobe, libère en même temps un espace d'espérance ».

Cette plongée dans l'univers proprement religieux est indispensable car elle permet de comprendre comment « liturgie et mémoire se rejoignent pour bâtir une histoire souffrante ». L'auteure souligne par ailleurs que « cette gestion très particulière du souvenir du malheur apparaît d'emblée très différentes de notre attitude contemporaine séculière ».

Le chapitre deux « Fabriquer de l'histoire souffrante » est un parcours historique : première croisade (1096), brulement du talmud vers 1240 à Paris par ordre du roi, expulsion d'Espagne en 1492, accusations de meurtre rituel et autres persécutions. Ces différents événements suscitent des chroniques qui vont devenir, perdurant encore de nos jours, une mémoire de souffrance « dénominateur commun d'un peuple en dispersion », une identité et une cohésion dans l'exil. « La souffrance primait l'histoire » et l'histoire des juifs se mémorisait uniquement comme histoire de malheurs. Il suffit de se pencher sur la réelle histoire des juifs au moyen âge pour montrer le caractère réducteur et mythique de cette translation (autonomie dans les ghettos, privilèges divers, statut social, qui évidemment n'éliminent pas les conséquences des menaces antisémites et des pogroms).

Par ailleurs, l'auteure signale que cette histoire ne nous dit rien sur ce qui faisait la spécificité du judaïsme d'alors, ni sur ses apports effectifs à la civilisation médiévale. Elle décrit les différences entre les mondes ashkénaze et séfarade, laisse une place importante à la littérature qui contribue à tisser génération après génération, cette histoire souffrante, interroge les différents moments proprement mystiques comme ceux de la kabbale. L'auteur ne néglige pas l'histoire des juifs dans l'empire ottoman.

Avec le XIXème siècle, en Europe, il s'agit d'une toute autre histoire, accès à la citoyenneté, sortie des ghettos, développement d'un courant des Lumières (haskala), échec de la Révolution de 1848, laïcisation et occidentalisation.

La destruction des juifs d'Europe par l'état nazi et ses complices dans la plupart des pays, dont le gouvernement de Vichy, modifie profondément les coordonnées : disparition du yiddishland et forcément questionnement pour les survivant-e-s. « Que faisait dieu à Auschwitz ? ». Ce chapitre « Une souffrance sans espérance » discute entre autres de l'unicité de cette destruction face aux autres génocides. Il faudra attendre les années 60 pour un début d'historicisation savante de cette période. « En attendant, l'Holocauste comme religion de la souffrance a bel et bien été adopté par les masses juives ». Un événement sort de l'histoire pour devenir un moment sacré, par définition indiscutable, mémoire absolue, indéfiniment porteur de sens quelque soit la situation concrète sur lequel il est projeté (comme par exemple dans ses transcriptions juives en Palestine ou dans les relations entre Israël et les pays arabes).

Contre cette vision, Esther Benbassa souligne « Pour ne pas oublier, c'est d'histoire que nous aurions besoin, et non d'émotions, toujours fugitives, exigeant sans cesse d'être renouvelées, avec toujours plus d'intensité ». Cela nécessite aussi et surtout de nommer l'innommable.

Les chapitres suivants prolongent la réflexion « Une rédemption laïque ? La Shoah, Israël et les juifs » et « Hors de la souffrance, point de salut ! » sur lesquels je ne m'étends pas, car je suis déjà intervenu, à de nombreuses reprises, en chroniquant des publications. Je partage avec l'auteure bien des appréciations et particulièrement la nécessaire dimension universelle de cette histoire particulière et « la reconnaissance des mémoires meurtries » comme « étape indispensable des identités individuelles et collectives dans nos sociétés de plus en plus sécularisées ».

Et l'auteure de conclure par « le droit à l'oubli ». Nous ne pouvons nous considérer principalement comme victime, la judéité n'est pas réductible à l'antisémitisme, la négritude à l'esclavage, etc.…Une telle vision rétrécit l'horizon, naturalise des inscriptions historiques, enferme dans la négation de soi comme individu-e et comme collectivité. « La victimité n'est pas inscrite dans le code génétique d'un groupe ».

D'où une interrogation pertinente : « Ceux qui, sans répit, veillent sur la mémoire et en fond un devoir sont-ils prêts à lâcher prise pour autoriser l'oubli, qui n'est pas effacement de l'événement, mais seulement sortie de la mémoire, désormais confiée à l'histoire, comme on laissait hier au texte la charge de rappeler, à cadences régulière, les désastres du passé ? »

Penser et réfléchir c'est aussi sortir des sentiers habituels, c'est parfois pour un-e mécréant-e se confronter aux constructions religieuses qui ont tant importées, avant le règne de l'individu citoyen abstraitement égal et la domination de la marchandise.

Mais il ne faut pas se tromper, le ressurgissement de la question religieuse, l'actualité d'un archaïsme, pour utiliser un beau titre d'Alain Birh, est une toute autre question.

Commenter  J’apprécie          10
L'IDENTITE JUIVE SE CONSTRUIT AVEC DES LARMES.
L'auteure, sénatrice et directrice d'études à la Sorbonne, nous propose ici un ouvrage érudit : elle reprend l'histoire « lacrymale » du peuple juif qui débute aux croisades, se poursuit par les massacres de Pologne et d'Ukraine par les cosaques (qui ont tué autant de gentils que juifs) puis celle de l'holocauste, mais en notant que l'histoire gomme les siècles où les juifs ont été prospères et intégrés dans leur pays d'accueil, en vivant en bonne intelligence avec les autres religions. Avec H. Graetz, ce sont les historiens allemands du XIXe siècle qui ont façonné l'histoire juive avec une diaspora (contestée par Shlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé ?) et une martyrologie dominante. Pour Esther Benbassa, la souffrance fait la cohésion civile de la nouvelle histoire juive à partir du XIXe siècle.
Certains exégètes ont même été jusqu'à rapprocher l'Holocauste du sacrifice nécessaire pour le salut du monde (comme Jésus) dans une perspective messianique. La chute de Jérusalem et la destruction du temple ne sont-ils pas directement liés au péché des juifs et non à la rebellion contre Rome ? On trouve d'ailleurs dans le Livre de Job : « L'homme est né pour la douleur».
Pour l'auteure, l'absence d'une véritable histoire écrite a joué un rôle primordial dans l'accaparement de l'imaginaire juif par la mémoire de l'histoire souffrante. Or, elle oppose devoir de mémoire et histoire : le devoir de mémoire de la Shoah serait tyrannique, en empêchant l'histoire plurielle des autres génocides (arménien, Indiens d'Amérique etc.) de s'établir durablement, et empêchant d'étudier dans ce triste épisode le contexte, les causes, les effets, pour faire en sorte qu'il ne puisse se reproduire.
En effet, les juifs du XXe siècle, à défaut de religiosité, forment leur identité sur le souvenir des malheurs anciens subis par leurs ancêtres. « La victimité est devenue un des fondements de l'identité collective ». « Au fil des années, prenant appui sur la millénaire histoire de la souffrance juive, c'est l'holocoste lui-même qui finit par se trouver érigé en une nouvelle religion civile sans Dieu, se suffisant à elle-même avec ses rites ses cérémonies ses prêtres ses lieux de pèlerinage et son commandement majeur : le devoir de mémoire ». Or, cette mémoire privilégie l'orthodoxie et le consensus au détriment de la liberté de pensée et de critiquer. Si l'histoire est accessible à tous, la mémoire l'est forcément moins, parce qu'elle appartient d'abord au groupe qui la revendique et qu'elle reste hermétique aux autres, donc elle ne s'insère pas dans une mémoire vraiment collective.
L'issue messianique du sacrifice est la création de l'Eden, l'État d'Israël ; on visite Auschwitz pour rentrer convaincus qu'Israël se doit d'être un État fort, muni d'une armée puissante et d'un patriotisme à toute épreuve ; et convaicu que le message est que tout juif devrait émigrer en Israël, car en filigrane s'impose le fait que le génocide a profondément affecté la confiance des juifs envers leur pays de résidence : « il n'y a pas de sécurité en diaspora ». Ce devoir de mémoire recèle tous les ingrédients susceptibles d'engager à l'enfermement, à l'entre soi défensif, alors que les conclusions universelles à tirer du génocide devraient être la lutte pour la sauvegarde des droits des minorités à travers le monde, le combat partout contre toutes les formes de racisme ainsi que contre toute tendance antidémocratique. Et surtout l'idée que la si la nature humaine est essentiellement mauvaise, elle ne l'est pas seulement à l'égard des juifs. « Leur souffrance les claquemure dans une tour d'ivoire morale ».
Au total, il faut distinguer devoir de mémoire et travail de mémoire ce dernier étant finalement le rôle de l'histoire.
Une thèse remarquablement écrite et bien documentée avec une abondante bibliographie.

Commenter  J’apprécie          80

Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Ceux qui, sans répit, veillent sur la mémoire et en fond un devoir sont-ils prêts à lâcher prise pour autoriser l’oubli, qui n’est pas effacement de l’événement, mais seulement sortie de la mémoire, désormais confiée à l’histoire, comme on laissait hier au texte la charge de rappeler, à cadences régulière, les désastres du passé ?
Commenter  J’apprécie          30
comprendre comment la souffrance, ses représentations, ses instrumentalisations successives ont pu façonner l’histoire d’un peuple et d’une religion, ou plus encore l’idée que ce peuple et cette religion se faisaient de leur histoire
Commenter  J’apprécie          40
Le ferment de subversion que recèle la souffrance est neutralisé par cette ritualisation qui, par cumul des catastrophes qu’elle englobe, libère en même temps un espace d’espérance
Commenter  J’apprécie          40
Pour ne pas oublier, c’est d’histoire que nous aurions besoin, et non d’émotions, toujours fugitives, exigeant sans cesse d’être renouvelées, avec toujours plus d’intensité
Commenter  J’apprécie          20
En attendant, l’Holocauste comme religion de la souffrance a bel et bien été adopté par les masses juives
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Esther Benbassa (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Esther Benbassa
Pour que le débat démocratique puisse avoir lieu, le désembuage idéologique semble devoir passer par une clarification sémantique. Dans un contexte de résurgence de l'antisémitisme et alors qu'il est question de pénaliser l'antisionisme, nous recevons Alain Dieckhoff, directeur du CERI-Sciences Po, et Esther Benbassa, sénatrice EELV.
Pour en savoir plus : https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/antisionisme-critique-de-letat-disrael-de-quoi-parle-t
Abonnez-vous pour retrouver toutes nos vidéos : https://www.youtube.com/channel/UCd5DKToXYTKAQ6khzewww2g
Et retrouvez-nous sur... Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture/
+ Lire la suite
Dans la catégorie : Sociologie des françaisVoir plus
>Groupes sociaux>Groupes raciaux, ethniques, nationaux>Sociologie des français (135)
autres livres classés : mémoireVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (8) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3178 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}