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Critique de YvesParis


C'est un beau tollé qu'a provoqué la publication en 2001 de ce dialogue au titre iconoclaste. Il met aux prises deux savants du judaïsme, chercheurs à l'EPHE. Jean-Christophe Attias a fait de la philosophie juive médiévale et moderne le terrain favori de ses recherches érudites. Français, de mère chrétienne, il s'est converti au judaïsme, mais vit sans déchirement sa « francité ». Esther Benbassa, spécialiste des Juifs méditerranéens, a une généalogie plus complexe : née à Istanbul d'un père bulgare et d'une mère grecque, elle se définit comme une « juive du hasard », sans « aucun attachement territorial », « intellectuellement attachée à l'Occident, émotionnellement à Israël et ataviquement à l'Orient ».

La polémique provoquée par cette discussion stimulante vient de la remise en cause de trois fondements du judaïsme. D'abord le culte de la Shoah : « cette histoire, cette mémoire de la souffrance commune soude à défaut d'autre chose les liens d'un judaïsme en perte de sens » (p.109). Ce culte est paradoxalement fort récent ; il date des années 70. Il s'inscrit dans un mouvement plus vaste de survalorisation du statut de la victime. Les auteurs n'ont de cesse de dénoncer cette « passion morbide », ce « culte de la mort », voire cette « christologisation du destin juif ». Et, brisant un tabou, ils remettent en cause la soi-disant unicité de ce génocide qui, enfermant les Juifs dans une absolue singularité, obère leur réceptivité à la douleur de l'Autre : Arméniens, Rwandais, Bosniaques,…

Ensuite, la relation à la terre d'Israël. Benbassa et Attias avaient déjà traité ce thème dans leur précédent ouvrage « Israël imaginaire » (Flammarion, 1998). Israël possède un statut paradoxal. C'est une composante centrale de l'identité religieuse juive ; mais c'est aussi la réalisation d'un projet fondamentalement laïc, le sionisme, qui d'ailleurs a longtemps tourné le dos à une Jérusalem trop religieuse. Israël, quoi qu'en pense le Goush Emoumin, n'est pas la réalisation d'une prophétie biblique. C'est aussi la terre de Juifs non religieux, d'Israéliens arabes. C'est une terre où, paradoxalement, il est plus facile d'être juif qu'en diaspora (les samedis sont chômés, les restaurants cachers) et aussi plus facile d'être laïc (le seul fait d'habiter Israël confère une judéité dont la préservation en diaspora suppose l'observance de certaines pratiques minimales). C'est en somme une terre comme une autre, enrichie par des vagues d'émigrations successives, enrichie par la coexistence de différents « types » de Juifs, (Ashkénazes, Sépharades, Russes) en voie de levantinisation et confrontée au défi de la paix. Aussi, s'interdire, au nom d'une solidarité imaginaire, de critiquer la politique du gouvernement est rendre à Israël un bien mauvais service.

Reste le dernier pilier : la religion. Etre juif aujourd'hui, c'est pratiquer un culte, adhérer à une Loi. L'époque contemporaine enregistre, selon JC Attias, un inquiétant retour du religieux. Ce retour au Talmud, à la Kabbale repose sur une erreur : la croyance en un âge d'or perdu, en une « espèce de romantisme du shtetl, de la bourgade juive d'Europe orientale, avec ses hassidim » (p.183). Ce repli identitaire et victimaire empêche l'émergence d'un judaïsme créatif, ouvert et optimiste que les auteurs appellent de leurs voeux.

Si cette analyse lucide, politiquement incorrecte a suscité un tel débat, c'est que la communauté juive française n'était pas prête à se voir asséner de telles vérités. Les temps sont durs pour elle, du moins le croit-elle : la nouvelle Intifada depuis octobre 2000, l'antisémitisme obtus manifesté par les pays arabes lors de la Conférence de Durban, les attentats terroristes du 11 septembre ont concouru à renforcer leurs craintes. L'ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi, avait même stigmatisé un regain d'antisémitisme que ne corrobore pourtant aucune statistique. Courageusement dénoncer cette « dérive victimaire » constitue tout à la fois une salutaire mise en perspective historique et un crime de lèse-communauté.
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