L'argent

À la fin des années 1870, dans le sud de la Suède, la jeune Selma Berg rêve d'aller étudier à l'école des arts et métiers de Stockholm et devenir peintre. Elle n'a encore que seize ans et voit le monde avec naïveté. Elle ne se doute pas que les adultes qui l'entourent ont un tout autre projet pour elle. Orpheline de mère, élevée enfermée, dans un pensionnat, puis placée chez l'oncle pasteur, marié à une femme froide et revêche, elle prend conscience que les cent couronnes économisées ne suffiront pas à prendre son indépendance et à accomplir ses rêves. Elle accepte le mariage avec un très riche propriétaire terrien, gros, laid , et toujours naîve, pense lui imposer ses conditions.
Nous passons ainsi plusieurs années avec Selma, de ses seize ans à ses vingt-trois ans. Elle renoue avec son père, le temps d'une maladie, et avec son cousin Richard, et se lie avec l'épouse de celui-ci Elvira.
Ces différents personnages gravitant autour de Selma (des hommes à l'exception d'Elvira qui apparaît en dernière partie) sont autant de moments d'échanges et de réflexions pour Selma (et sans doute l'auteure) autour des rapports entre les hommes et les femmes, les relations amoureuses, le mariage, le couple. Selma revendique des rapports égalitaires et d'indépendance. Son époux, au demeurant respectueux est riche, très riche et elle bénéficie largement de cette fortune, mais elle ne lui appartient pas. Selma chemine ainsi vers la nécessité de l'indépendance économique, financière de l'épouse, de la femme. Elle bute ainsi contre les murs d'une société figée dans un patriarcat dominant.
Roman initiatique, où la pensée l'emporte sur l'action, à l'écriture alerte, précise. Sa lecture en est aisée car, si l'on sent l'engagement de l'auteure dans le combat pour l'émancipation, elle sait nous faire suivre l'évolution intellectuelle de son héroïne et nous épargner tout manichéisme chez chacun des protagonistes. Les portraits de ces derniers sont particulièrement réussis et puissants. Au cours de cette lecture, j'ai souvent oublié que Victoria Benedictsson s'est tuée en 1888, et que ce roman a été écrit il y a près de 140 ans.
Traduit et publié en France pour la première fois en 2019, il mérite d'être lu, connu et reconnu.