La première de ces oeuvres fit même scandale. L'artiste avait eu beau voiler d'un linge, sur le conseil de ses amis, les formes débordantes du personnage principal, on déclara la décence blessée autant que le goût par cette figure si peu académique.
On raconte que Napoléon III, avant l'ouverture de l'Exposition, effleura la toile d'un coup de cravache, dans un geste de mépris. L'impératrice ne fut pas moins choquée. On venait de lui faire admettre avec peine que les percherons de Rosa Bonheur, dans son MARCHÉ AUX CHEVAUX, ne pouvaient avoir la croupe élégante des coursiers andalous. « Est-ce aussi une percheronne?» demanda l'impératrice en s'arrêtant devant la Baigneuse de Courbet.
Son impopularité même servit sa cause. Elle était si bien concertée et entretenue qu'aucun de ses ouvrages ne passa inaperçu pendant trente ans, que le scandale accrut sa réputation et que les proscriptions lui assurèrent des amis et des disciples. Il a été pour nous le « peintre » par excellence, et les plus beaux peintres de notre temps sont sortis de lui ou se sont tournés vers lui : les Manet et les Fantin, les Legros et les Whistler, les Monet et les Renoir, les Carolus Duran et les Ribot, et les Stevens et tant d'autres. Avec Corot et Millet, Courbet est, sans conteste, un des trois grands initiateurs de l'art dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Il avait un appétit énorme et assez grossier de gloire, une soif pantagruélique de réclame. Il fallait à tout prix qu'on parlât de lui ; il surenchérit continuellement sur lui-même pour étonner, cherchant à chaque occasion quelque nouvelle manifestation scandaleuse afin de réveiller l'attention du public, quand, distraite et fatiguée, elle se détournait de lui. Il est le pivot de l'univers, il le dit et il finit par le croire sincèrement, se grisant lui-même de sa propre forfanterie.
L'artiste, avec son optimisme habituel, se consola vite de son échec et s'empressa d'apprendre à sa famille qu'un banquier et un marchand lui faisaient des offres pour LE GUITARRERO. Mais tandis qu'il balançait encore à demander 500 francs de sa toile, les acheteurs s'étaient déjà éclipsés. On reconnaîtra sans peine les traits de Courbet sous l'accoutrement romantique de son personnage. L'oeuvre est très typique des hésitations dé l'artiste à ses débuts.
L'actualité et la tendance sociale de l'art, écrivait-il en propres termes W, sont les choses dont nous nous inquiétons le plus ; ensuite vient la vérité de représentation et l'habileté plus ou moins grande d'exécution matérielle. Nous demandons avant tout autre\\chose l'actualité parce que nous voulons qu'il agisse sur la société et qu'il la pousse au progrès. Nous lui demandons de la vérité parce qu'il faut qu'il soit vivant pour être compris.