Maîtres de l'Art Moderne : Rodin

Or, un jour, comme Rodin, devant l'encombrement de son atelier, devenu trop étroit pour toutes les œuvres qui s'y trouvaient, avait pris la décision de déménager, vers le soir, alors que tous étaient exténués de fatigue, les déménageurs d'occasion qui l'aidaient dans ce transfert, sans le prévenir, se chargèrent d'enlever la figure de la Bacchante. Ignorant les conditions du travail et la fragilité de la matière, ils prirent la statue, l'un par la tête, l'autre par les pieds, et toute la terre s'effondra. Une autre figure demi-nature, d'après le même modèle, subit à peu près le même sort. Faute d'avoir pu être moulée à temps, elle sécha et la terre se détacha par fragments.

En fait de grands travaux, durant cette période, il n'est pas très heureux, car aucun des projets auxquels il s'attache ne reçoit d'accomplissement. En 1898, il avait conçu un Monument au Travail. C'est une idée qui avait hanté également, deux de ses vieux camarades, Constantin Meunier et Jules Dalou. Rodin, qui se plaît à rappeler qu'il est, comme les grands imagiers des cathédrales « un artiste » et aussi « un plébéien », avait résolu de glorifier le Travail, qui fut la loi de toute sa vie, en exaltant par sa création, le labeur du peuple.

A ce moment, en I854, on songea à lui faire prendre un métier. Il avait manifesté des goûts précoces pour le dessin. Il raconte que, tout jeune, aussi loin que remontaient ses souvenirs, il dessinait ; ses premiers modèles furent les sacs en papier, fabriqués avec des pages de livres illustrés, dans lesquels l'épicière, chez qui se fournissait sa mère, enveloppait ses pruneaux.

Il passa bientôt dans la classe de dessin d'après la bosse où les élèves modelaient d'après l'antique. C'était la première fois qu'il voyait de la terre glaise. Quelle découverte et quelle joie ! « Il me sembla, disait-il, que je montais au ciel » ; il était dans « le ravissement». Sa vocation de statuaire s'éveillait d'une façon manifeste.

Notre jeune artiste aimait également à rappeler qu'il avait reçu à cette même date, les encouragements et les conseils du sculpteur Klagmann. Jules Klagmann, dont le nom est par trop oublié, est cependant une physionomie originale de son temps, bien qu'il n'occupe qu'une place de second rang dans l'Ecole. Il appartenait, comme Maindron, au petit groupe de statuaires formés en dehors des doctrines académiques et très pénétrés par les idées du romantisme.