Il y a des jours où je me dis que s'émerveiller, à notre époque, est l'un des actes les plus nécessaires.
Ca a quelque chose d'inquiétant d'écrire. C'est comme accepter de voir sous un autre angle, et tôt ou tard de laisser voir, sans trop savoir d'avance où ça peut nous mener tout ça. C'est emprunter les chemins de l'intime, c'est peut-être rendre visible, d'abord à soi, ce qui ne l'était pas...
Sans la vieille Azeba, nous n’aurions sans doute pas survécu, enfants, ma soeur et moi. La haine nous aurait avalées comme tant d’autres. Les caresses d’Azeba, ses bras autour de nous, sa voix chaude, notre seul abri. Le destin a voulu qu’on soit sur sa route. On a marché ensemble. Nos parents étaient déjà morts. Je ne sais
plus leur visage, je n’ai d’eux qu’une image assez floue, deux silhouettes dans un brouillard. Certains de leurs gestes me sont revenus, ça doit être avant que la guerre
nous frappe, des gestes de travail. Mais je ne suis pas sûre si c’est vraiment eux.
Dans mon sommeil, j’entends parfois le rire de ma petite soeur, comme un bruit de cascade dans un pays sec. Et puis il y a des odeurs qui me rendent ma mère. Enfin, je crois. La vieille Azeba, Nil et ma soeur restent le lien le plus fiable. C’est par eux que je me rends au pays de l’enfance et que je tamise les limbes de la mémoire avec
la patience du chercheur d’or.