Un livre attirant par sa couverture évoquant une liseuse.
Un livre étonnant, qui fait le pari d'une publication papier sur des sujets en évolution, révolution, mutation ... numérique.
Un essai fort documenté qui parvient à rester attrayant, lisible, très clair dans l'exposé. Ce livre, après nous avoir présenté d'autres exemples de mutations numériques dans le domaine culturel, notamment la musique et la presse, a pour ambition de présenter un tableau très complet de la situation du monde des livres à l'heure du numérique.
Pari réussi, bravo à l'auteure
L'auteur, économiste spécialisée dans le domaine des industries culturelles, dresse un tableau plutôt exhaustif de la situation actuelle de la presse et du livre en France alors que le numérique a déjà bouleversé la première et qu'il s'apprête à faire de même avec le second. On pourrait déplorer cependant que Françoise Benhamou ne se hasarde pas ou peu à prévoir l'avenir. Mais qui en est capable aujourd'hui ?
Herbert Simon, prix Nobel d'économie en 1978, mit en évidence le paradoxe qui associe la richesse de l'information à la pauvreté de l'attention : "Ce que l'information consomme est assez évident : elle consomme l'attention de ses destinataires. Par conséquent, l'abondance d'information entraîne la pauvreté de l'attention et le besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des sources d'information."
L'attention est rare et chère, tandis que l'information est prolixe et de moins en moins chère. L'attention est la matière première de l'économie culturelle.
Le numérique entretient un rapport ambivalent au temps. Sur l'étagère virtuelle, la place est infinie. La durée de vie des oeuvres n'a donc pas de terme. C'est le fantasme de la fin de la rareté des espaces de présentation.
Mais le temps du numérique est aussi un temps court. La vie des oeuvres est bornée par l'exigence d'immédiateté, l'impératif de l'urgence, le réflexe du zapping. Le numérique allie le sentiment de l'infini et celui de l'immédiat.
Cette tension entre des contraires se retrouve du côté de la création et de sa relation au marché. L'écriture est lente. La reconnaissance est rarement rapide. Mais le marché appelle l'instantanéité, la rencontre d'une offre et d'une demande en un moment donné.
Passer de la liseuse à la tablette n'est pas indifférent.
La liseuse propose la duplication de l'expérience de lecture du livre papier, tandis que la tablette, qui supplée le jouet au pied du sapin au moment des fêtes, met le texte en concurrence avec le jeu, et le livre avec le journal, dans un contexte où l'inattention prévaut.
Et l'inattention est le nerf de la guerre numérique
Des textes faciles, collages de morceaux choisis sur la Toile, conduisent à interroger les marges du droit d'auteur. J'ai Lu publie "Chers voisins: mots doux & petites querelles de voisinage" qui reprend des messages de Tumblr. Les droits vont aux gestionnaires des sites, les internautes ayant accepté de la abandonner lors de leur inscription. Mais tous les éditeurs ne sont pas aussi scrupuleux. En janvier 2014, Larousse doit arrêter la commercialisation des "Perles des tweets et du Net". L'éditeur avait jugé superflu de contacter les auteurs des messages compilés. L'éditeur s'était pour l'occasion transmué en apprenti pirate, prêt à de petits compromis avec le droit moral dès lors que le texte, disponible sur le Net, n'appartenait plus à personne. L'affaire montrait surtout à quel point les notions d'auteur, d’œuvre, d'originalité prennent l'eau dans la vie numérique.
Les glissements progressifs de l'acte d'achat, de l'unité à l'abonnement et au streaming, à l'oeuvre en d'autres secteurs culturels, pointent aussi du côté du livre. Emportant avec eux de nouveaux modèles économiques où l'accès prévaut sur l'acquisition, ils questionnent toute l'organisation de la chaîne du livre.
Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "