Cet ouvrage, somme toute modeste, avec moins de 200 pages, est un récit qui parle d'exil, d'Histoire et d'histoire, de famille et de racines, de transmission, au travers de 2 voix principales :
Bouzid, l'Algérien qui rejoint Paris dans les années 60. Martin, un limousin du début du 19e qui arrive à Paris en 1830, lui aussi pour travailler et tenter d'avoir une vie meilleure. Martin suit les traces d'ouvrier de son père dès 14 ans, Bouzid se démène pour échapper à son destin qu'il juge étriqué.
Tous deux seront maçons.
Une troisième voix est celle de l'auteur. Il clarifie – souvent a priori – le texte des 2 autres, mais il reste secondaire, comme un support.
Des préoccupations et sujets communs se répondent d'un chapitre à l'autre, des parallèles inattendus à plus d'un siècle d'écart et pourtant pas si surprenants pour ces deux histoires d'exil : l'alcool, les dangers du chantier, les rivalités de corporations, le poids de la famille, la transmission des valeurs. Et Paris.
Avec Bouzid, on revisite Paris, on la voit avec d'autres yeux et à notre coeur s'accroche un peu de nostalgie partagée.
Avec Martin, l'esprit du 19e est très bien saisi. Un joli vocabulaire, le rythme des phrases est agréable et entrainant. Les vieux métiers, la ville de Paris comme on ne la reverra plus, car Haussmann (dont Martin est d'ailleurs un bras armé) sera passé par là. L'ambiance est bien retranscrite, on s'y voit.
On parle, donc, d'Haussmann et des barricades, de Paris des maisons de bois et de la Banlieue ouvrière, Villemomble, le Raincy, Montreuil…
Dans les 2 récits, la musique de Paris résonne à nos oreilles… Ménilmontant, Place de Grève, Chaussée-d'Antin, Belleville, Place de Clichy, galerie Vivienne…
J'imagine si bien Bouzid racontant son histoire ! Et moi dans la peau de son fils, attentive et souriant aux anecdotes qui se raccrochent parfois à ma propre vie, les petites piques aussi parfois : "Certains parlaient très bien le français. Mieux que toi." Il y a vraiment de la tendresse dans ce texte.
Le passage sur la quête spirituelle de l'auteur, étrange interlude (pp. 148-153), arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, même si ensuite il aidera à un peu mieux comprendre le contexte du discours de son père. J'ai grandi en banlieue parisienne, à une époque où la mixité sociale et la religion des copains n'était même pas un sujet, alors, question de génération, les anecdotes et souvenirs de collège de l'auteur, notamment celui concernant la 1ère guerre du Golfe en 1991, trouvent en moi un certain écho.
Ce Bouzid, je l'aime. A une dizaine d'années près, il a l'âge de mon propre père, immigré lui aussi. Et plusieurs fois dans le texte des passages semblent me parler directement. J'y retrouve cette mentalité commune à une grande majorité des immigrés 1ere génération, centrée sur le travail et les enfants, si différente de celles des 2èmes générations, dont je suis, qui ont pris des directions tellement variées.
J'ai été plus touchée par les chapitres le concernant que par tout le reste. Je pense, à moins que ce ne soit qu'une question de sensibilité, que l'auteur y a mis plus de coeur, plus de lui-même. le récit de Martin est plus factuel.
J'ai aimé l'écriture de cet ouvrage, qui décrit la pauvreté, le dénuement et les âmes en détresse avec une langue riche et ronde, lumineuse. Globalement c'est assez bien construit en ce sens que tout semble à sa place.
Ce n'est pas un livre qu'on dévore. Il se lit facilement et rapidement, mais il se sirote comme un bon sorbet.
Ouvrage reçu dans le cadre de Masse Critique septembre 2018. Merci !
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Livre reçu avec l'opération Masse Critique.
Voici, après celui parut en 2015 sur la période où il était l'un des premiers barbus français, le récit d'Omar Benlaala sur les premières années de son père venu à Paris chercher du travail.
L'auteur narre les souvenirs de son père Bouzid, algérien, venu à Paris dans les années 60 afin de travaille après avoir quitté sa terre natale où il a laissé sa femme et sa famille. Il trouvera des emplois de maçon, métier exercé pour la plupart par les étrangers.
Bouzid est fier de son travail malgré les moments difficiles et les problèmes rencontrés dus à la langue.
Omar Benlaala ne se contente pas d'écrire l'histoire de son père. Un autre personnage rentre dans ce récit. c'est Martin Nadeau, maçon lui aussi. Mais celui-ci est né en 1815 dans la Creuse. Et comme Bouzid, il viendra aussi à Paris.
Quel lien entre ces deux personnages ? le monde ouvrier et toutes les difficultés rencontrées.
L'auteur nous promène dans un Paris à reconstruire et tisse le lien entre ces deux mondes : celui du 19ème et des années 60.
Un récit plein de nostalgie, de misère et de courage face aux difficultés.
En même temps, même si les descriptions sont intéressantes, ce récit a un air de déjà lu. Une histoire où l'on ressent les clichés littéraires sur les différences de classe sociale et culturelle qui viennent ternir une belle idée de départ.
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Bouzid, émigré algérien en 1960 et Martin, exilé creusois en 1830, ont des points communs. le premier, ils sont devenus maçons à Paris pour gagner leur vie, pour échapper à ce qui leur était promis, une vie étriquée, miséreuse, repliés sur eux-mêmes. La misère, ils vont la connaître tous les deux ainsi que l'injustice sociale. Ils vont refuser tous les deux ce que la société leur réserve, se battre pour l'accès à l'instruction, à la culture, pour les autres, pour leurs enfants.
Par le biais d'Omar, fils de Bouzid, ce récit à plusieurs voix met en évidence la situation ouvrière, quelque soit l'époque et l'origine, les problématiques des ghettos, de l'éducation, de la langue. Rien n'a changé sous le soleil hélas !
Le récit n'est pas revendicatif ni agressif. Bouzid explique sa trajectoire de vie avec calme et sérénité comme souvent les émigrés de première génération.
J'ai aimé le parallèle fait entre la vie des deux hommes et le ton de l'ouvrage, dire les choses clairement et calmement dans le but de progresser... et de ne pas oublier non plus.
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Un livre bouleversant sur les conditions de vie des travailleurs immigrés dans les années 70 mises en parallèle avec celles des travailleurs de la Creuse ou du Limousin au 19ème siècle.
Ceux qui ont construit les immeubles et monuments de Paris sans jamais pouvoir y habiter.
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[…] le premier des outils, c’est la langue. Je suis bien placé pour le savoir. Toute ma vie, elle m’a empêché d’avancer comme je voulais. Combien de fois je m’énerve parce qu’on ne me comprend pas ? Jusqu’à ce que je me rende compte que c’est peut-être de ma faute, à cause de ma mauvaise pratique du français. Alors, je n’ai pas voulu reproduire les mêmes erreurs avec mes enfants. Ils doivent se faire comprendre et réclamer leurs droits. Réfléchir en profondeur. On réfléchit avec des mots. On rêve avec ! Quand tu n’en as pas beaucoup, ton monde se rétrécit.
« […] les Algériens venaient travailler en France depuis au moins la Seconde Guerre. À ma naissance, mon père n'était pas à Clichy pour visiter les cabarets ! D'ailleurs, on ne parlait pas d'immigration ; on passait d'une région à l'autre, comme les Bretons. D'un coup, on est devenus des étrangers. Et les pires de tous. Mais comment, du jour au lendemain, enlever de la tête d'un jeune homme que son pays de naissance n'est plus son pays, lui dont la grand-mère tatouée au visage était déjà française ? D'un côté, les patrons qui nous courtisaient comme des jeunes vierges ; de l'autre, la population qui nous voyait comme des violeurs : c'était dur à vivre. Le peuple est capricieux et ça, le politicien l'a bien compris. » (p. 110)
« Mon Dieu... Je n'ai pas compris comment tu t'es retrouvé dans ce groupe ! J'avais sacrifié ma vie pour que tu parles un français correct et que tu t'adaptes à cette société, et voilà que tu te transformais en Bédouin ! Pendant que tu prêchais au monde entier, avec moi, le dialogue n'existait plus. J'avais l'impression parfois que tu disais des choses que tu ne comprenais même pas. Tu étais dans les nuages. Ni avec nous, ni avec personne. Même pas avec toi. Comme un étranger. » (p. 173)
On était sacrément perdus, mon fils. Alors, on s'est concentrés sur ce qu'on savait faire de mieux : travailler. On ne cherchait qu'à mettre de l'argent à gauche pour le retour, à remplir la gamelle, et les enveloppes à envoyer au village. Le travail avait bon dos. Il servait d'excuse à notre exil. Pas besoin d'analyser notre malheur.
« Chaque soir, pour une poignée d'âmes, je donne la classe, et m'essaie à la parole publique. Flatté par ma nouvelle fonction, je ne fais pourtant que distribuer les restes d'illustres penseurs, chez qui je m'alimente. Ces derniers devisent sur notre compte avec gravité : nous sommes des martyrs, des saints, des héritiers déchus qu'il faut à tout prix réhabiliter ; il s'agit de nous émanciper, de sortir de notre condition. » (pp. 182-183)
Entretien avec Omar Benlaâla à l'occasion de la publication de son livre -Tu n'habiteras jamais Paris- aux éditions Flammarion.