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Aurélien Police (Autre)Gilles Goullet (Traducteur)
EAN : 978B08FF27FP6
144 pages
Le Bélial' (27/08/2020)
3.89/5   235 notes
Résumé :

Collection Une Heure Lumière - 26
Trois tireurs armés jusqu’aux dents, lâchés dans un "environnement" public aléatoire délimité.
Un but : abattre le plus de personnes possible. Une promesse : un énorme paquet de fric pour celui qui quitte les lieux indemne.
Si l’une des "cibles" met hors d’état de nuire l’un des tireurs et survit, une part du pactole lui échoit.
Des règles simplissimes, et des dizaines de drones qui filment le ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (76) Voir plus Ajouter une critique
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Une lecture de 165 pages et premier livre de cet auteur, me concernant.

Jubilatoire et effrayante. Cette dystopie (mais est-ce vraiment une dystopie) nous décrit une Amérique dans un futur proche. Une Amérique aux portes de l'enfer.

Les États-Unis se meurent. La jeunesse a fui, les vieux vivent de plus en plus vieux.
Chacun à peur de l'autre, du voisin, de l'inconnu.
Le pouvoir appartient aux multinationales et le gouvernement ne sert plus à grand chose (une dystopie vraiment ?)
Pourquoi, dans ce cas, ne pas miser sur la peur du peuple, sur le plus grand fléau du pays, les tueries de masse ?
C'est le pari que va faire un riche network. Organiser des tueries de masse, sélectionner des tueurs, choisir un lieu public, filmer le tout et provoquer un bain de sang.
Si vous tombez sous les balles, si vous êtes une victime, ne vous en prenez qu'à vous même, vous n'aviez qu'à porter une arme et savoir l'utiliser.
Des meurtres à la chaîne scénarisés, entrecoupés de pubs vantant l'Amérique profonde et passée.
Une Amérique de terreur, rétrograde, raciste et franchement débile.
Le pire est qu'il n'y a pas besoin de beaucoup d'imagination pour y croire.
Le présent fait peur mais le futur nous fera regretter les jours passés.
Un petit côté "La purge" que ne m'a pas déplu.
Un livre vif, incisif qui passe au vitriol les États-Unis d'aujourd'hui.


L'avez-vous lu ?

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Comment définiriez-vous l'Amérique ?
C'est cette interrogation à laquelle semble répondre la dernière parution en date de l'excellente collection Une Heure-Lumière des éditions du Bélial' avec Vigilance de l'américain Robert Jackson Bennett.
Déjà publié chez Albin Michel Imaginaire en 2018 avec le fantastique (mais longuet) American Elsewhere, l'auteur s'essaye cette fois à la science-fiction politique pour disséquer les rouages de son propre pays et de sa propre culture.

American Nightmare
Nous sommes dans une Amérique en perte de vitesse, une Amérique dépassée par l'avancée technologique d'une Chine désormais toute-puissante, une Amérique qui a vu ses minorités fuirent le pays en quête d'un avenir meilleur, une Amérique vieille, ultra-conservatrice…et terrorisée !
Pour distraire le quidam, Vigilance, une nouvelle émission évènement qui pousse le principe de la télé-réalité dans ses derniers retranchements.
Son responsable, John McDean organise des fusillades dans des environnements contrôlés où il lâche des actifs (comprendre des terroristes triés sur le volet) et filme en direct le massacre tout en plaçant des pubs à tour de bras pour son public affamé et fasciné.
Dès les prémices de cette novella ultra-dense, Robert Jackson Bennett affronte violemment la culture américaine en tirant les fils d'un entrelacs socio-politique aussi complexe que destructeur.
Mais son histoire, elle, est dominée par deux vecteurs principaux : les armes et la peur.

La nation du second amendement
Alors que le récit croise l'histoire de John McDean et d'une jeune serveuse noire, Delyna, le lecteur avance dans un futur terrifiant avec, comme background, des incendies et des catastrophes naturelles et un bouleversement total de l'échiquier planétaire.
L'attention se porte pourtant de façon pleine et entière sur une énième Vigilance qui prévoit de lâcher trois tueurs dans un centre commercial, le tout filmé en direct avec une palanquée de pubs pour un public ciblé et manipulé dans ses moindres détails.
Robert Jackson Bennett définit l'Amérique par les armes et la violence.
Mais que cache la possession d'armes et la propension des américains à en raffoler ? Une nation paralysée par la peur, conséquence attendue de la possession individuelle et la possibilité d'être dépossédé.
Pour mouliner le tout, l'orgueil de l'américain moyen, biberonné à l'héroïsme d'antan et à la virilité contrariée, au vigilante et à l'auto-défense.
Ce qui définit en premier lieu l'Amérique de Robert Jackson Bennett, ce sont les armes et la NRA, la gâchette et la pulsion destructrice d'une nation convaincue d'être le sommet. Mais comment être le sommet quand, individuellement, le citoyen américain de base n'est rien, englué dans sa propre routine et sa médiocrité ?

Manipulation de masse
Mais l'autre facette de cette suprématie en naufrage, c'est aussi et toujours l'autre grande conquête américaine : la conquête télévisuelle.
Vigilance exprime la quintessence de la manipulation médiatique et publicitaire où la technologie (deep fakes et autres IA avancés) vient presser le spectateur et le ferrer de façon de plus en plus insidieuse et imparable.
Le contrôle de la société américaine s'avère ici totale, jouant sur les deux mamelles de la culture américaine : le consumérisme et la violence.
Cette novella, aussi courte et percutante soit-elle, tombe parfois malheureusement dans un didactisme qui semble, curieusement, faire écho au besoin de tout décortiquer pour la personne lambda. Cela n'entame en rien le récit et lui donne une résonnance d'autant plus forte.
Robert Jackson Bennett trouve une version bien plus intelligente d'American Nightmare tout en y ajoutant des considérations sociales d'une acuité remarquable.
John McDean incarne d'ailleurs l'évolution ultime du rapace capitaliste à l'américaine, qui choisit sciemment de profiter du malheur et des faiblesses de son propre peuple au lieu de tout mettre en oeuvre pour lutter contre.
Mais, tout comme son peuple, John McDean a ses faiblesses : la soif de pouvoir, la quête de popularité, la luxure… Tout dans le récit de l'américain concoure à éplucher la société dans sa globalité pour en tirer un portrait glaçant.
De l'autre côté, Delyna pourrait faire figure de dernier espoir tout en expliquant que le racisme n'en finit jamais. La rébellion individuelle passe cependant ici par une autre manipulation pour s'en sortir vivant et la prise en conscience collective, arrivée à un tel niveau d'enracinement culturel, semble impossible. À force de matraquer les gens d'images violentes et de glorifier cette même violence, on insensibilise et on drogue le citoyen lambda.
Et que se passe-t-il lorsque vous tentez de sevrer brutalement une personne droguée qui ne ressent plus rien face à l'horreur ?

Texte brutal, glaçant et, pour tout dire, épatant, Vigilance épingle la société américaine dans son ensemble, tentant d'en tirer la substantifique moelle socio-politique afin d'expliquer de façon lisible le naufrage qui l'attend. Robert Jackson Bennett constante l'échec d'un peuple, d'une culture et d'une économie fondée sur la peur.
On en ressort sonné et terrifié.
Lien : https://justaword.fr/vigilan..
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Robert Jackson Bennett n'est pas un auteur particulièrement connu en France, même si les éditions Albin Michel ont récemment entreprit de traduire plusieurs de ses oeuvres comme l'horrifique « American Elsewhere » ou encore sa trilogie « Fondateurs » (qui devrait paraître en 2021). En cette rentrée, les éditions du Bélial nous proposent pour leur part de découvrir l'auteur via une novella inédite publiée dans leur excellente collection « Une Heure Lumière ». Collection qui compte désormais une vingtaine de textes signés par les plus grands pontes de l'imaginaire, français ou étrangers, et qui se distingue depuis sa création par la qualité remarquable de ses acquisitions. Et ce n'est certainement pas « Vigilance » qui viendra gâcher le tableau puisque l'ouvrage se hisse à mon humble avis au rang des meilleurs titres publiés par la collection (et ce n'est pas peu dire puisqu'elle comprend, entre autre, des textes admirables signés Ken Liu, Kij Jonhson ou encore Tade Thompson). L'histoire se déroule dans une Amérique en déclin qui, dans un futur relativement proche, a vu sa population vieillir, une partie de son territoire partir en flamme à cause du réchauffement climatique, et la Chine les supplanter totalement à tous les niveaux, notamment économique et scientifique. Dans ces conditions, il n'est guère surprenant de constater que les ventes d'armes à feu aient connu un regain impressionnant, de même que le nombre de fusillades de masse : une Amérique qui a peur est une Amérique qui s'arme. C'est de ce constat qu'est né, chez des pros de la télévision, l'idée de créer un nouveau type d'émission baptisée « Vigilance ». le principe est simple : lâcher dans une zone bondée de monde plusieurs individus armés, les laisser faire un carton ou se faire dégommer… et diffuser le tout sous la forme d'une émission de télé-réalité. Choquant ? Oui, mais visiblement pas suffisamment pour que la réprobation de certains ait raison de la violence et du voyeurisme des autres, puisque l'émission fait un carton a chaque diffusion. Pourquoi ? Parce que les Américains sont convaincus que ce type d'« entraînement » est un mal nécessaire pour les maintenir en état d'alerte, pour qu'ils restent vigilants.

L'idée est particulièrement révoltante, et pourtant, peut-on vraiment affirmer aujourd'hui qu'elle nous surprend ? Ne s'est-on pas déjà acclimaté, volontairement ou non, à regarder ou entendre parler d'émissions dont le ressort principal repose sur le voyeurisme, la manipulation, ou le malmenage (physique ou émotionnel) des candidats ? Robert Jackson Bennett joue évidemment ici sur le sentiment de familiarité qui ne manque pas de naître à l'évocation des différentes phases de l'émission qui abondent déjà sur nos antennes (intervention d'experts, exposition de la vie privée des participants, emballement des réseaux sociaux…) et qui vient renforcer le profond malaise du lecteur. Difficile en effet de rester de marbre à l'évocation de ces individus lambdas sacrifiés sur l'autel de l'audience et de la peur. Homme, femme, enfant : personne n'est épargné, et tout le monde semble accepter ce fait, tant pour eux-mêmes que pour leur proche. Après tout, s'ils sont morts, c'est bien la preuve qu'ils n'étaient pas suffisamment vigilants ! le récit choque à la fois en raison des scènes de violence qu'il met en scène, mais aussi et surtout à cause de ce que ces tueries révèlent de la société américaine. Une société à peine caricaturale, dans laquelle tout le monde a peur que quelqu'un (plus généralement un Noir, un Hispanique ou un Asiatique) ne vienne lui voler tout ce qu'il a, et dans laquelle les armes à feu sont considérées comme un symbole de liberté. le fait que la Californie soit en train de brûler (tiens, tiens…) ou que les jeunes générations soient de plus en plus nombreuses à quitter le pays ne semble visiblement pas les alarmer au point de réagir autrement qu'en se calfeutrant derrière leurs murs et en achetant de quoi les protéger. L'auteur se livre également à une critique acerbe des médias et de la publicité en mettant en lumière les pratiques des chaînes pour garder leurs téléspectateurs happés par leurs émissions, et en pointant du doigt tous les stratagèmes utilisés pour placer des produits partout, et les rendre désirables par le public (alors même qu'ils n'ont, objectivement, aucune utilité).

Les personnages sont au moins aussi perturbants que le scénario dans la mesure où ils font preuve d'un cynisme et d'une cruauté révoltante qui les rendent tous complices des massacres. John McDean, le protagoniste, est le premier et le pire d'entre eux, dans la mesure où sa position au coeur même du dispositif de l'émission le rend impardonnable. Jalousie, luxure, orgueil, colère : le personnage cumule tous les défauts mais l'auteur lui donne suffisamment de profondeur pour qu'à aucun moment celui-ci ne paraisse caricatural. L'aperçu que l'on a d'autres Américains n'aide pas vraiment à relever le niveau : avides de sang, le cerveau totalement rempli de délires patriotiques et militariste, racistes… On est sans arrêt partagé entre deux colères très différentes, l'une née de la vision de ces individus confrontés à un tel déchaînement de violence, l'autre provoquée par le rappel constant que ces gens sont consentants et qu'ils ont, d'une certaine manière, tous signés pour. Seule lueur d'espoir dans ce monde de brute, une barmaid, dont on suit la soirée en même temps que celle du lancement d'une nouvelle Vigilance. L'occasion pour le lecteur de partager le dégoût profond que lui inspire le spectacle aux côtés d'au moins un personnage qui fera preuve d'un courage bien supérieur à tous ses concitoyens, et ce sans aucune arme à feu. La fin, en dépit d'un retournement de situation un peu prévisible, n'en laisse pas moins complètement KO, l'auteur se livrant à un déchaînement de violence inévitable mais néanmoins difficile à encaisser par son ampleur et ses implications.

Robert Jackson Bennett signe avec « Vigilance » un roman coup de poing qui nous dépeint une Amérique futuriste glaçante de familiarité. Avec cruauté et lucidité, l'auteur nous plonge au coeur de la violence de cette société en pleine déliquescence, plus obsédée par l'idée de se protéger d'un péril imaginaire que de se pencher sur les véritables dangers qui causeront leur perte. A lire absolument !
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Longue chronique du blog reproduite ici et à écouter sur la page du podcast (lien en fin de critique)


Que diriez-vous de tueries de masse devenues jeu télévisé ? Loterie improbable au rythme de parution surprise rendant chaque lieu public potentiel terrain de jeu pour le summum de la télé-réalité. de quoi vous tenir aux aguets dans de vraies situations de vie ou de mort, ou d'activer la joie maligne d'y avoir réchappé, votre Schadenfreude, en suivant dans le confort et la sécurité de votre intimité les gesticulations de ceux qui s'y retrouvent participants malgré-eux. Mais puisqu'il s'agit d'un jeu, n'ayez crainte, il y a gros (en dollars) à gagner pour le meilleur tireur ou le citoyen vigilant parvenant à le descendre.


C'est la question que nous pose Robert Jackson Bennett dans une anticipation qui tabasse, portrait d'une Amérique en pleine décrépitude aussi bien morale que structurelle.


L'anticipation est un genre traditionnellement dévolu à la science-fiction, pour ce qui est de la définition de cette dernière, on aurait de quoi s'enliser en arguties quant à Vigilance, mais essayons de le définir à minima :


Le petit Robert (le dictionnaire, pas l'auteur) professe que la SF est un genre littéraire et artistique qui décrit un état futur du monde en extrapolant les données de la science ou de la technologie. Ce même Robert de papier indique que l'anticipation en tant que genre propose des romans évoquant les réalités supposées de l'avenir.

En passant Vigilance aux cribles de ces définitions, nous avons là un livre en avance mais pas trop, si peu d'ailleurs qu'il pourrait craindre d'être datée avant réimpression. Sorti en 2019, dans un monde pré-pandémie paralysante - ce qui lui a sans doute donné quelques sursis quant à la progression de sa prophétie - Vigilance anticipe plusieurs aspects d'un cauchemar technologique mondial et d'un avenir américain chaotique.


Si l'histoire n'est pas exactement datée, elle place 2020 comme année charnière catastrophique pour le pays de l'Oncle Sam et se déroule dans cette même décennie, notre future immédiat, finalement - mais sans Covid, ça devait être trop gros même pour un auteur de fiction. Ainsi les USA sont enlisés dans des catastrophes écologiques systémiques voyant l'ouest perpétuellement sous les flammes, ravagé par des incendies incontrôlables (note : la Californie brûle déjà 6 mois par an). Au climato-négationnisme s'ajoute une crise énergétique sans pareil alimentée par la chute du marché des hydrocarbures résultant de politiques mondiales de décarbonation de l'énergie et des moeurs, causant à son tour crises économiques à répétitions dans un pays dont le sang est le pétrole, la démesure la norme. Ce changement de paradigme mondial, auquel les USA résistent, fini par gréver feu la première économie du monde dans sa capacité à répondre aux aspirations de sa jeunesse. le rêve américain descendu en flamme, le pays passe d'aimant à talents et terre d'accueil fantasmée à premier pourvoyeur d'immigrants au monde (pardon, le bon vocable est expatriés pour les pays occidentaux). La Chine passe en première place, l'Europe gratte la seconde, la gifle est puissante dans l'esprit américain façonné autour du mythe de son invincibilité, de sa prévalence morale, guide de droit et de volonté divine. le repli sur soi idéologique est un réflexe, la négation des réalités un sport civilisationnel, le resserrement autour des particularismes nationaux un business.


Et quel pays mieux que les Etats-Unis s'y connait en commerce des passions, des idées formatées et du divertissement analgésique ?


Vigilance exhorte la grandeur de l'Amérique par la consommation de masse, ses symboles (les centres commerciaux démesurés) et son bras armé (un marketing invasif, racoleur, décérébrant et instinctivement percutant). Il replace aussi le culte des armes à feu au centre de l'identité nationale : cet outil de la conquête de l'ouest garant de l'esprit pionnier, celui qui avance et triomphe quelque soit les obstacles. Finalement, le livre entérine le divertissement comme pinacle civilisationnel, autrefois pourvoyeur de soft power à travers le monde désormais baume domestique apaisant d'un orgueil traumatisé.


Et je n'ai parlé là que de contexte. A peine quelques lignes disséminées ça et là par l'auteur et réflexions pleines d'esprit de son protagoniste pour placer les enjeux, qui donnent le ton d'une oeuvre qui s'apprête à foncer dans le vertigineux.


Vigilance suit l'oeuvre de John McDean, architecte de cette nouvelle grande messe télévisuelle qu'est, je le rappelle, le "Vigilance" du titre : une émission de télé-réalité mettant en scène des tueries de masse surprises. Cathartique à l'échelle d'une nation dont le problème des mass shooting est endémique. Un grand souverain à dit : si vous ne pouvez l'empêcher ou l'interdire, autant le réglementer. Cela permet toujours d'en tirer quelques bénéfices. (Il s'agit là des mots du fictionnel seigneur Veterini de la fantasque cité-état d'Ankh-Morpork, nés de l'imaginaire du génial Terry Pratchett, grand dévoyeur de sagesse populaire devant l'éternel).


John McDean, directeur marketing et créateur exécutif, est un prototype de ce que l'humanité produit actuellement en masse et de pire. Humain sans humanité, cynique à la "filsdeputerie" inqualifiable, dont la morgue et un certain culte de la performance permet la propagation du cancer et du malheur en masse. Mais dont la conscience reste vierge parce que lui ne "vend rien", ce sont ses annonceurs qui proposent de la merde et le client qui a le choix de la consommer, omettant confortablement que son boulot consiste à rendre attrayante autant qu'indispensable la merde et d'annihiler le libre arbitre et la volonté du consommateur, passons. Il n'est qu'une victime du système, finalement. Piégé par son génie mis par la force des choses au service d'un mal, nécessaire, pour son enrichissement personnel et le bien de la Nation. Un sale type, c'est sûr.


Mais un sale type équipé d'une immense connaissance des arcanes de la manipulation des masses, raffinée par des décennies de sophistication des outils de propagande - avec mention spéciale pour les réseaux sociaux et leurs effets de levier inconvenants -, d'une armée de drones intelligents pour cadrer au mieux l'action, de créatures virtuelles en guise de présentateurs, humain factices crées sur mesure pour toucher et engager au mieux l'audience cible et deep fake pour remplacer n'importe quel visage qui ne conviendrait pas à la volée, de candidats tireurs sélectionnés avec soin pour leur efficacité et capacité à provoquer de vraies victimes, de la vraie action, avec rebondissements et effet dramatiques pour légitimer le spectaculaire. Et de l'IA pour rythmer au mieux les annonces publicitaires qui rempliront le temps de cerveau rendu disponible par son oeuvre, actionneront quantité de comportements.


Le récit nous projette dans la réalisation d'un émission, présentation clinique des phases préparatoires puis électrisation constante d'un live démentiel où tout doit être sous contrôle. On se demande ce qu'il pourrait mal se passer. Ce putain de facteur humain peut-être ?

Robert Jackson Bennett offre avec Vigilance une critique féroce des Etats-Unis dans ses fondamentaux et de la pente sur laquelle ils semblent s'emballer. La violence et l'outrance comme moyen politique, comme opinion insensible à la discussion, polarisée parce que manipulée et de plus en plus fragmentée et imperméable à la nuance, le spectacle se substituant perpétuellement au réel. Une Amériques aux milles tensions et aux récits fondateurs aussi inaudibles que dévoyés, aux idéaux gangrenés et confisqués par un système agressif dans sa volonté de se perpétuer. Plus largement, est brossé le procès d'un capitalisme immodéré dénué d'éthique parce qu'handicapante, gourmand en technologies irraisonnées aux effets de court terme bénéfiques - de son point de vue -, mais au sujet desquelles le manque de recul laisse planer son lot de craintes sinistres.


La déshumanisation par l'abrutissement, le contrôle par le divertissement, la manipulation par la peur, l'indolence comme projet de société et les grands récits nationaux chamboulés par une réalité avec laquelle, si il est possible d'être en désaccord, n'en restera pas moins tangible et implacable. Plus qu'un crachat à la face de ses contemporains, Bennett tire la sonnette d'alarme quant aux possibles, pas si délirants que ça, dans le pays de tous les possibles.

Court roman (comme tous ceux que propose l'excellente collection Une heure lumière des Editions le Bélial', sérieusement, ce n'est que le premier de cette collection dont je vais vous parler), Bennett nous abreuve d'un style moderne, rythmé et percutant, incisif et parfois violent, efficace et avare en longues tergiversations (l'opposé de ce que je vous impose, en somme). Aussi percutant que son propos, Vigilance laisse sa marque chez le lecteur, ça je peux vous le garantir.


Un livre à lire d'une traite (160 pages) pour subir au mieux son effet crescendo et l'effondrement final. Sans espoir et définitif, démoralisant comme pouvait l'être "Le troupeau aveugle" de John Brunner, aux éditions Mnémos, dont j'ai déjà parlé il y a quelque temps.

Pardon pour la publicité.

Mais si Vigilance m'a bien appris un truc, c'est que l'économie de l'attention implique que je me batte pour vous garder sur ma chaîne, non ?


Et s'il vous reste un peu de cerveau disponible, pourquoi ne pas l'utiliser à lire ?
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Une Amérique blanche, patriote et xénophobe,
Un mass média sans aucune limite,
Un spectacle pour la bonne cause...

Une Amérique vieillissante, renfermée, puant la suprématie blanche, reste néanmoins vigilante quand à sa liberté fondamentale : se protéger. Contre elle même ?

Une dystopie glaçante, l'auteur distille peu à peu son univers, un jeu de télé réalité "Vigilance" un tuerie de masse like mise en scène par un producteur cynique et sa horde de technologies. Une technologie poussée un cran de celle qui pointe son nez, avec les vidéos fake, les pubs personnalisées...
Plus que les armes, c'est le voyeurisme, c'est l'envers du monde des médias qui nous est montré. Lorsque l'on commence a vouloir plaire à Monsieur tout le monde, faut pas s'étonner de ce que l'on voit à la télé. J'avais trouvé le pitch un peu gros, mais l'auteur justifie son univers habilement.
J'ai beaucoup aimé les intermèdes avec la serveuse, une personne humaine qui va faire la seule chose possible face à ce show télévisé. C'est elle l'héroïne, le final ne faisant que renforcer ce point. Mais sera t-elle assez vigilante ?

Vigilance est cependant très américain, trop américain pour moi, il perd un peu de ce qui fait les classiques : l'universalité. le twist final est bien trop gros, trop peu crédible et c'est dommage de finir ce texte coup de feu par ce hiatus.
Ceci dit, ça se lit tout seul et mis à part ces quelques défauts, quelques jours après lecture, elle reste dans la mémoire et les neurones continuent à réfléchir.

C'est pas tout ça, mais moi, je dois aller m'inscrire au programme Voisins Vigilants...
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
C’est logique, selon McDean, d’un point de vue un peu œdipien : si vos enfants vous évoquent tous vos plus gros échecs, comment ne pas en venir inconsciemment à leur en vouloir, à les détester, à désirer qu’ils soient punis ?
C’est bien ce qui s’est passé : chaque fois que les jeunes générations ont dit : « Ceci est néfaste pour nous », les anciens se sont écriés : « Enfants stupides et ingrats ! Vous trouvez ceci néfaste pour vous ? Puisque c’est comme ça, on va le faire deux fois plus ! »
Ce qu’ils ont fait… Y compris avec ce qui leur était néfaste aussi, ce qui l’était pour tout le monde.
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Vigilance (Robert Jackson Bennett)
Tout tenait au fait que depuis toujours, l’Amérique est une nation qui a peur. Peur de la monarchie. Peur des élites. Peur de perdre ses biens, par le fait du gouvernement ou d’une invasion. Peur qu’un voyou stupide ou un petit malin de la ville trouve un moyen légal ou non de voler ce qu’on a durement gagné à la sueur de son front. Voilà ce qui faisait battre le cœur de l’Amérique : non le sens civique, non l’amour de son pays ou de ses semblables, non le respect de la Constitution… mais la peur. Et là où il y avait peur, il y avait des armes à feu.
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Plus les gens avaient peur, plus ils achetaient d’armes. Plus le nombre d’armes en circulation augmentait, plus les gens les utilisaient les uns contre les autres. Plus elles leur servaient à s’en prendre les uns aux autres, plus ils avaient peur… et plus ils en achetaient.
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Hopper est à la fois très très riche et très très mourant. La raison pour laquelle il lui faut toujours un dollar ou un baril de pétrole de plus dépasse des spécialistes du marketing tels que McDean. Peut-être est-ce juste le capitalisme – toujours en expansion, même dans la mort.
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Peut-être le changement n’est-il pas toujours lent et incrémental vers le meilleur vers le meilleur. Peut-être est-il parfois rapide et pour le pire.
Peut-être les choses ne s’amélioreraient-elles jamais.
Peut-être le présent est-il aussi l’avenir.
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Videos de Robert Jackson Bennett (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Robert Jackson Bennett
Re diffusion "brute" du live instagram à l'occasion de la venue de Robert Jackson Bennett à Paris. Merci aux éditions Albin Michel Imaginaire et Livre de Poche Imaginaire pour cette événement.
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