Benoist -Mechin a eu un parcours de vie étonnant. Né dans un milieu fortuné, il ne fit pas d'études très poussées. Il acquit cependant en autodidacte une vaste culture personnelle. Il envisagea tout d'abord une carrière artistique qui eût été à sa portée car il avait des dons réels en musique. Mais en raison de la ruine de sa famille, il dut travailler et se consacra au journalisme, domaine dans lequel il manifesta aussi un réel talent. Il commença également une carrière d'historien qu'il poursuivit toute sa vie, et au cours de laquelle il écrivit de très bons ouvrages.'
Bien qu'anglophile dans sa première jeunesse, il développa à partir des années 20 une ne intense admiration pour l'Allemagne, d'abord sentimentale, littéraire et artistique, et une grande sympathie pour le peuple allemand. Au départ c'était l'Allemagne de
Goethe, mais ce fut ensuite l'Allemagne de Hitler. Il sympathisa très vite avec le nazisme, fasciné par la personnalité de Hitler et les Grand-messes de Nuremberg, "le fascisme immense et rouge" comme dirait
Brasillach, un autre de ces intellectuels qui succombèrent à la sympathie pour le nazisme dans les années 30, et basculerent dans la collaboration dans les années 40. Condamné à mort à la Libération, gracié puis libéré, il reprit sa carrière littéraire.
Intellectuellement il s'orienta alors vers le monde arabo-musulman, connut et fréquenta les familles royales et les dirigeants les plus importants, et acquit même une réelle influence dans ces pays.
Compte tenu de l'obscurité relative du personnage aujourd'hui, ce résumé paraît indispensable à la bonne compréhension de ce qui va suivre.
On peut en effet diviser le livre en trois parties, correspondant à chacune de ses "trois vies".
La première, consacrée aux enfances de l'auteur, est à mon sens la plus intéressante.'L'auteur y parle de ses jeunes années avec justesse et émotion, et à travers la sienne, donne une des plus belles descriptions de l'enfance de la littérature, avec parfois des accents proustiens.
Proust, justement, il l'a rencontré et en parle admirablement bien.
Au milieu du récit de ses débuts dans les milieux littéraires, il nous parle aussi de son service militaire, effectué en Allemagne pendant l'occupation française et donne un aperçu instructif de cette période mal connue.
Si le livre s'arrêtait là, ce serait un chef-d'oeuvre
Malheureusement il continue. Et nous le voyons céder de plus en plus à ses mauvais démons et s'enfoncer dans le fascisme en même temps que l'Allemagne, et en grande partie par amour pour elle. Cet amour, je l'ai dit, doit beaucoup à un sentiment esthétique du nazisme, assez courant à l'époque pour aberrant qu'il nous semble aujourd'hui. Sur ce plan esthétique justement, on a encore de beaux passages, par exemple la description des funérailles de Hindenburg à Tannenberg, beaux si l'on oublie le reste et la suite.
Les choses se gâtent et se gâtent de plus en plus, avec l'occupation et le ralliement de la France à la collaboration au niveau le plus élevé. Faisant à un moment partie du gouvernement, il participe en compagnie de Darlan à des négociations avec les Allemands dont l'objet même confine à la trahison, notamment sur la possibilité pour les convois allemands d'utiliser la base française de Bizerte pour ravitailler l'Afrika Korps qui lutte alors contre l'Angleterre en Lybie. Il évoque encore avec émotion ses entrevues avec Hitler et une admiration pour le personnage qu'il n'a apparemment jamais renié.'
Ces passages sont évidemment odieux, ils sont parfois également ridicules, par exemple lorsque l'auteur évoque le transfert des cendres de l'Aiglon aux Invalides en décembre 1940. Il affirme être à l'origine de l'affaire et s'étonne que cela n'est pas permis une franche réconciliation franco-allemande en raison de la mauvaise volonté du peuple français...
On soupçonne malgré tout l'auteur d'exagérer souvent son rôle et l'importance des négociations auxquelles il a participé.
On en arrive ensuite à son procès, et au plaidoyer pro domo qu'il en profite pour présenter. On ne peut certes s'empêcher d'une certaine compassion : le quartier des condamnés à mort, les fers aux pieds..On se permettra cependant de rester dubitatif lorsqu'il nous raconte s'être si bien préparé à la mort en se détachant de la vie terrestre qu'il regretta sa grace , d'autant que cette dernière faisait peu de doute. L'époque n'était plus guère aux exécutions et le Président Auriol n'était pas un fusilleur. de plus il fabule un peu. Je n'ai pas pu trouver les dates et lieu de son incarcération mais on voit mal comment il aurait pu être présent lors des exécutions de Laval à la prison de Fresnes en 1945 et à celle de Bassompierre en 1948 au Fort de Montrouge.
Je m'étendrai moins sur la troisième partie consacrée à ses rapports avec le monde arabe, dont le sujet présente un moindre intérêt pour moi.
J'en dirai cependant qu'elle présente de belles et sensibles de ces pays et de ces peuples, souvent à une époque où ils n'avaient pas sombré dans le chaos actuel
Un livre inégal donc, passionnant par certains côtés, rebutant par d'autres, écrit par un personnage complexe, qu'il faut lire sans toujours croire l'auteur sur parole.