La spécialité de
Pierre Benoit, on le sait, est de surprendre le lecteur. A moins que ce soit évident dans le titre, on ne sait pas au départ où l'auteur va nous mener : en France ? ou dans un pays lointain ? de nos jours où il y a longtemps ?
Pierre Benoit se garde le droit de la surprise. Parfois même il nous déconcerte, parce que la surprise dépasse le cadre spatio-temporel et concerne plutôt un domaine culturel, ou politique ou religieux. Parfois teinté de fantastique ou même d'un érotisme diffus.
«
Fort-de-France » (1933) est un roman surprenant et déconcertant. L'histoire se passe en Martinique, donc a priori à la fois en territoire français et en pays exotique. Une région où les croyances primitives avoisinent avec la vie du XXème siècle. L'auteur semble-t-il n'a jamais mis les pieds en Martinique. Ce qui ne l'empêche pas de donner de belles descriptions de l'île, afin de donner un ton couleur locale, semble-t-il, car ces indications purement topographiques n'influent aucunement sur l'histoire qui aurait pu se passer dans n'importe quelle île pourvue d'un volcan. Cela dit, il le fait bien, qu'il écrive (et décrive) sur pièces, par témoignage, ou par souvenir de voyage dans des pays similaires… On y croit et c'est le principal.
Le roman est également déconcertant par son sujet : A Paris Gilbert Vauquelin, étudiant en géologie (les volcans, particulièrement) a connu Aïssé de Sermaise. Ils se sont plus, et même plus que plus, au point que quand Aïssé doit retourner en Martinique pour raisons familiales, Gilbert prend lui aussi le bateau pour la rejoindre. Sur l'île, la situation n'est pas aussi idyllique qu'on pourrait le penser. Si la famille d'Aïssé descend des anciens colons, et garde encore le contrôle du domaine, la situation a bien changé depuis le temps des flibustiers : en fait Aïssé est sous l'emprise d'un ancien domestique, Timoléon, un mulâtre violent qui la bat et dilapide sa fortune. Gilbert fera tout pour la sortir de ce cauchemar. Il y parviendra, mais à quel prix !
Pierre Benoit nous livre donc un roman situé dans l'Empire colonial (nous sommes encore dans les années 30) mais dont les protagonistes sont essentiellement des européens ou des Békés (blancs ou créoles descendants des premiers colons), les « indigènes » servant de fond d'écran. Ce point de vue « colonialiste » peut choquer, mais à cette époque,
Aimé Césaire n'avait que 20 ans, et le combat des Noirs pour leur reconnaissance (faute de mieux) ne faisait que commencer.
Pierre Benoit n'insiste pas sur les problèmes d'ordre politique ou ethnique. Tout le roman se passe du point de vue de Gilbert, qui ne pense qu'à sauver sa bien-aimée.
En revanche, il retient le symbolisme de la Montagne Pelée, ce volcan qu'il est venu étudier. Elle lui apparait d'abord menaçante, entourée de brumes mystérieuses et porteuses de maléfices, puis, quand elle est dégagée, elle a un aspect plus rassurant, mais en s'approchent, le manque de végétation lui donne à nouveau l'apparence « d'une lionne galeuse tapie pour quelque mauvais coup ». Sa relation avec Aïssé va être un peu similaire, et au final Gilbert devra compter à la fois avec la femme et le volcan.
Pierre Benoit réussit sa gageure : nous surprendre.
Mais on commence à y être habitués…