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Critique de Lamifranz


Avec « Axelle » (1928), Pierre Benoit renoue avec l'ambiance allemande (prussienne, même) qui était celle de « Koenigsmark » (1918, exactement 10 ans avant).
Pierre Dumaine, le narrateur, a été fait prisonnier au début de la guerre et envoyé dans un camp aux confins de la Prusse orientale (Pologne occupée). Les conditions d'internement sont difficiles, non pas tant à cause des gardiens, avec qui les soldats fraternisent plus ou moins malgré les mauvais traitements, mais à cause du climat, des maladies et des restrictions. Pierre, germanophone, est envoyé chez un pasteur pour l'aider à préparer ses sermons, puis, comme il est ingénieur électricien de formation, il est affecté à la rénovation du château de Reichendorf. Dans cette vieille bâtisse, vit un vieux général, qui a combattu contre les Français lors de la guerre de 1870, sa nièce Axelle, et deux domestiques. Axelle est fiancée au dernier fils du général, Dietrich, qui est au front. Peu à peu, Pierre s'attire les bonnes grâces du général (notamment en réalisant l'éclairage de reconstitution historiques) et en jouant au kriegspiel, un jeu de stratégie (l'Age of Empires de l'époque), mais Axelle, lointaine et mystérieuse, reste inaccessible. le temps passe sans que pour autant les choses changent. La guerre est omni présente, et les Allemands comprennent que la fin est proche. Axelle semble un peu plus abordable, mais la guerre est la guerre...
Car si, comme souvent chez Pierre Benoit, il y a une intrigue amoureuse compliquée, avec une héroïne aussi belle que mystérieuse, le vrai sujet du roman, ici c'est bien la guerre : nous la vivons en direct, dans le camp des prisonniers, avec Pierre et ses compagnons d'infortune, avec un chef de camp, véritable tortionnaire qui n'hésite pas à exposer au froid des tirailleurs sénégalais, avec en contrepoint des gardiens avec qui on peut jouer aux cartes… La guerre, elle est présente dans le village, où les habitants, au fil du roman passent de l'allégresse à la consternation, comma l'armée allemande petit à petit passe de victoires en défaites. La guerre enfin elle est dans le château, non pas physiquement mais dans l'esprit des habitants : le général vit pour moitié dans ses souvenirs de la guerre de 1870, pour moitié dans la mémoire de ses trois fils morts au combat, et du quatrième actuellement au front. Dietrich, justement, on le voit le temps d'une permission. Et l'on ne peut s'empêcher de penser à « La grande illusion », le chef-d'oeuvre de Jean Renoir.
« Axelle », roman méconnu de Pierre Benoit, est peut-être un des meilleurs, non pas pour les qualités qu'on a déjà relevées dans ses ouvrages précédents, mais pour le regard lucide et pacifique qu'il pose sur le conflit : montrant que la guerre cause des ravages dans les deux camps, qu'elle meurtrit autant les civils que les militaires, qu'elle détruit les corps et les âmes, Pierre Benoit se révèle un militant pacifiste, partisan inconditionnel de la réconciliation franco-allemande « au-dessus de la mêlée » (comma disait Romain Rolland).
Pierre Benoit, dans ce roman, nous émeut bien plus que dans ses romans précédents. Il n'y a pas ici d'exotisme pour diluer les sentiments dans une apparence d'irréalité. Les personnages sont extrêmement vivants et attirent notre sympathie, même les allemands avec qui nous nous surprenons à compatir lorsque on leur ramène leurs morts, ou lorsqu'ils apprennent la capitulation et, pire, la fuite de l'Empereur.
Un très grand roman, qui aurait pu faire l'objet d'un scénario de choix pour un grand cinéaste. La seule adaptation pour l'écran est un film américain de 1931 « Surrender » de William K. Howard. Je ne suis même pas certain qu'il ait été diffusé en France.
Mais si vous vous sentez l'âme cinématographique, je vous promets que vous trouverez dans ce livre de quoi faire un beau film. J'ai parlé de « La grande illusion » de Renoir, j'aurais pu parler aussi du « Silence de la mer » de Melville, où les non-dits tiennent autant de place que les dialogues.
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