Benoit Pierre (1886-1962) - "
Koenigsmark", dans sa réelle édition historique en tant que premier volume publié dans la collection "Livre de Poche" par la LGF, donc premier livre de poche publié en France en 1953, année de ma naissance (pour nous, la génération venue à la lecture par le biais du livre de poche, il est toujours étonnant d'apprendre que cela n'existe que depuis les années 1950) !!!
Une rencontre étonnante, dans une brocante, avec surgissement immédiat d'une foule de souvenirs. Ce livre faisait partie des romans qui peuplaient la maisonnée, ma mère l'ayant probablement acheté à sa sortie : enfant, sa couverture m'intriguait, mais je me doutais qu'il "n'était pas encore pour moi". de la manière dont il nous fut présenté dans certains cours d'histoire du livre, j'étais convaincu que ce roman avait été justement écrit pour inaugurer ce nouveau type de publication de la prose littéraire. Pas du tout ! Il avait été publié dès 1918, et avait déjà connu, paraît-il, un immense succès populaire entre les deux guerres.
En ce qui concerne le roman, je fus étonné de découvrir que le récit rapporté est enchâssé dans des scènes de la guerre de tranchées de la fin 1914 : deux jeunes intellectuels s'y retrouvent, et, sous la mitraille, Raoul Vignerte raconte au narrateur les évènements étranges qu'il vient de vivre à la cour de Lautenbourg. Deuxième surprise, il s'agit de l'un des rarissimes romans français du 20ème siècle prenant essentiellement pour cadre un contexte allemand (certes, en le dévalorisant, mais tout de même). Autre surprise enfin, ce roman dit d'aventure est finalement bien écrit, bien mené, et le suspens dure jusqu'à la fin.
Ce qui m'amène à me documenter un peu sur ce
Pierre Benoit, dont je lus dans mon jeune temps la célèbre "Atlantide". Né en 1886, mort en 1962, ayant connu son premier grand succès en librairie dès 1918 justement avec ce roman "
Koenigsmark", ayant par la suite publié d'autres succès littéraires dont certains furent portés au cinéma, je ne puis que m'étonner de constater une fois de plus que ce nom ne fut jamais, ô grand jamais prononcé dans les cours de littérature dispensés par mes vénérables professeurs, et encore moins par ceux qui dispensèrent leur bouillie post-soixante-huitarde à mes enfants.
Il suffit de creuser un peu la biographie de ce
Pierre Benoit pour comprendre les deux raisons fondamentales de ce traitement par le mépris. Premier péché (véniel), il écrit des romans catalogués "romans d'aventure", qui connaissent de surcroît un grand succès populaire tout simplement parce qu'ils sont bien menés, bien construits, bien écrits : c'est impardonnable aux yeux de nos enseignants de lettres qui se prennent tou(-te)s pour des profs de philo et ne traitent donc que de la littérature "d'idées", en la rendant de surcroît bien chiante même lorsqu'elle ne l'est pas. Il est à leurs yeux impensable de former des jeunes esprits à la lecture de textes récréatifs,
Pierre Benoit ne sera donc pas plus abordé en cours que ne le sont
Alexandre Dumas,
Jules Verne ou Arsène Lupin, sauf dans les banlieues, où l'on descend carrément dans la sous-culture "pour s'adapter au niveau des élèves". Mais l'énorme, l'impardonnable, le capital péché de
Pierre Benoit est encore à venir : il est étiqueté dans les écrivains dits "de droite". Là, ce n'est plus acceptable pour nos enseignants gavés de récits dits "de gauche" même lorsqu'ils ne le sont pas : à la trappe le vilain.
C'est ainsi qu'en lisant
Marcel Proust, en se documentant sur sa vie (ou en découvrant Colette), le lycéen (puis l'étudiant) français tout frais émoulu du lycée (ou de l'université) de la décennie post-soixante-huitarde découvre des noms qui lui sont totalement inconnus :
Léon Daudet, Montesquiou, Mauras, Barrès. Il règne en France, dans ces années-là, un embargo total sur ces noms-là : il est de bon ton d'arborer une mine gênée voire dégoutée pour évoquer
Drieu La Rochelle,
Brasillach et peut-être même Céline, de causer avec des pincettes de l'immense
Paul Claudel (un affreux catholique) ou de Péguy et Valéry (catalogués «réacs»), mais nous fûmes gavés jusqu'à plus soif d'un
Sartre ou d'un
Genêt, sans oublier Saint
Eluard (Camus passait pour un écrivain mineur !!!). Quant aux écrivains des XVII et XVIIIe siècles, seuls sont présentés ceux que nos enseignants peuvent – au mépris ubuesque de toute concordance historique, et sans craindre l'anachronisme – nous présenter comme des précurseurs de la sacro-sainte Révolution Française. Les petits esprits français sont ainsi ancrés dans des ignorances abyssales.
Nos "grands" intellectuels de plateau de télévision s'exposent ainsi à de graves ridicules : dernièrement, l'un d'eux vient de découvrir pour la énième fois que leur idole
Sigmund Freud n'était pas, mais alors vraiment pas un homme de gôôôche. Horreur ! Autre algarade : voilà-t-il pas que le ministère envisageait d'inscrire au programme des lycées un volume des "mémoires de guerre" du Général de Gaulle. Immédiatement, un ramassis de crétins doctrinaires s'éleva pour dénoncer une tentative d'embrigadement des jeunes esprits par ce qu'ils appellent "la droite" ! Que voilà une indignation bien vertueuse de la part de ces gens qui gavent ces mêmes jeunes esprits de textes tous plus "révolutionnaires" l'un que l'autre, qui se servent de leur chaire pour endoctriner des générations entières, qui ne connaissent quasiment rien en dehors de leurs standards estampillés par leurs gourous ! Ces pôvres d'esprit qui ont besoin de cataloguer un texte (et tout le reste) en "droite" et "gauche", tant elles et ils ont peur d'avoir à arbitrer entre un texte mauvais ou bon... C'est ainsi que des pans entiers de la production littéraire sont dissimulés aux jeunes esprits.
Pour en revenir à «
Koenigsmark» de
Pierre Benoît, ça se lit rudement bien, encore aujourd'hui, même si c'est bien loin de constituer une oeuvre majeure : la littérature peut aussi servir de distraction. Il me reste à parcourir les brocantes pour retrouver «L'Atlandide» dans son édition du Livre de Poche des années cinquante…