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Annette Wieviorka (Autre)Loïc Marcou (Traducteur)
EAN : 9782491287061
264 pages
Signes et balises (10/04/2024)
4.75/5   6 notes
Résumé :
“Louna parle grec avec un fort accent judéo-espagnol, elle commet de nombreuses fautes, qui tantôt me font honte, tantôt me font rire aux éclats. Dans mon cerveau d’enfant, tante Louna ressemble à ces personnages des histoires drôles d’autrefois, l’oncle Ezra, par exemple, qui se trompe de bus car il ne sait pas lire les panneaux en grec. La langue maternelle de tante Louna est bien le judéo-espagnol. À l’époque, j’ignore que c’est la langue de ceux qui ne sont pas ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Sous-titré « Essai de biographie historique », ce méticuleux documentaire est bâti pierre par pierre. Il n'est pas une biographie à proprement parler, ou plutôt il est bien plus que cela. S'il s'attache à retracer la vie de Louna Assaël (1910-1998), il est une vraie mine d'informations sur la vie des juifs de Thessalonique au XXe siècle, et bien plus encore.

Louna est une juive illettrée, de ces anonymes que l'on ne remarque pas, qui ne laissent pas de traces, qui ne font pas de bruit, qui semblent vivre tranquillement leur petite vie. C'est aussi la tante de Rika Benveniste, spécialiste de l'Histoire juive, qui part à sa rencontre après son décès, et va chercher les indices de parcours de Louna ainsi que dans ses souvenirs personnels de nièce, ce qu'elle appelle la « Microhistoire », dans une quête de repères par les lieux que Louna a fréquentés, traversés. Les indices sont maigres, le travail de recherche n'en est que plus conséquent.

Louna est née à Salonique en 1910, ville redevenue Thessalonique en 1912, l'histoire tragique rattrape déjà l'intime. Sa langue maternelle est le judéo-espagnol mais elle parle – mal – le grec. Elle devient couturière avant de se marier en 1931, la même année que le déclenchement d'un pogrom sur Thessalonique. Juive, elle est déportée le 27 mars 1943 à Auschwtiz, elle y arrive le 3 avril où on lui attribue le matricule 40077. Charlotte Delbo se souviendra de l'arrivée de ce convoi. Les chiffres de Rika Benveniste laissent cois : « Des 1 100 000 Juifs qui sont déportés à Aucshwitz, 865 000 sont immédiatement assassinés ; seuls 200 000 franchissent les portes du camp. Pour les personnes qui y sont déportées de toute l'Europe nazie, la mort est la règle et la survie, l'exception ». Un nouveau calvaire commence. Souvent malade, Louna passe 18 mois au sinistre Block 10.

Pendant que Louna souffre, certains médecins jouent un rôle barbare dans le camp, notamment par les stérilisations forcées de femmes, entraînant des séquelles et des traumatismes. Les faits sont dans ce livre patiemment examinés et décrits.

Les indices sur les conditions de détention de Louna sont épars, les informations manquent, encore une fois. le camp d'Auschwitz est évacué en janvier 1945. Louna a déjà rejoint celui de Bergen-Belsen, à 850 kilomètres de là. Puis elle revient en Grèce. Nous sommes alors à l'exacte moitié du récit, tout comme à l'exacte moitié de la vie de Louna.

Une nouvelle vie. Encore. Guerre civile grecque, naissance d'organisations pour l'accueil des anciens déportés grecs appelés otages. Une nouvelle lutte est entamée, pour la restitution des biens des déportés revenus. Louna est sans abri, sans rien, elle est tout d'abord hébergée dans une synagogue, puis un « Dortoir » jusqu'à la fin des années 60 tandis que Thessalonique se développe à une vitesse folle. Un nouveau monde s'installe. Pour Louna, intégration dans un tout nouvel hospice en 1982 et demande de reconnaissance de « Combattante de la Résistance nationale ». Et ces quelque lignes, écrites par d'autres mains mais dictées par Louna, bouleversantes, sur la raison de cette demande. Pour la première fois du récit, Louna semble nous parler, le moment est solennel : « Durant l'occupation de notre patrie par les forces ennemies germano-italo-bulgares, j'ai été emmenée comme otage dans les camps allemands, d'avril 1943 à mai 1945, en raison de mes origines juives. Plus particulièrement : j'ai été arrêtée par les allemands à Thessalonique en mars 1943 et enfermée au camp Baron-Hirsch. Puis j'ai été transférée au camp de Birkenau où je suis restée pendant trois mois environ. D'août 1943 à avril 1944, j'ai été détenue au camp d'Auschwitz. D'avril 1944 à mai 1945, j'ai été internée au camp de Bergen-Belsen, en Allemagne, d'où j'ai été libérée le 2 mai par les forces anglo-américaines. Je suis rentrée dans ma partie en septembre 1945 après avoir été transférée aux quatre coins de l'Europe sous la supervision des Alliés. Je porte sur l'avant-bras gauche le numéro matricule 40077 ».

Le retour des déportés juifs est tellement difficile que beaucoup décident de s'exiler, aux Etats-Unis notamment, mais aussi en Palestine, clandestinement, jusqu'à la création de l'Etat d'Israël en 1948. Car derrière le parcours de Louna, c'est toute l'Histoire du peuple Juif du XXe siècle qui est ici développée. Celle de la ville de Thessalonique également, c'est ce qui donne un caractère universel au récit. Quant à Louna, elle est enterrée en 1998 dans le cimetière juif de Thessalonique. le dernier chapitre du livre est lumineux, comme la chronologie en fin de volume.

Comme toujours aux éditions Signes et Balises, le travail et la présentation sont particulièrement soignés, des photos accompagnent le récit bien qu'aucune de Louna ne soit publiée, l'autrice préférant la laisser dans l'ombre, dans l'intimité, la laisser en paix surtout. Enfin. La très jolie préface est signée Annette Wieviorka, elle est sobrement intitulée « Kaddish pour Louna ». le livre est agrémenté de très nombreuses notes qui constituent une vertigineuse bibliographie. le tout est traduit par Loïc Marcou dont on imagine sans peine les heures passées à retranscrire le texte.

Dans cette quête, Louna est pourtant parfois oubliée pour laisser place à une grande fresque du XXe siècle vue par le prisme des juifs Grecs. Même les incendies ravageurs de la ville de Thessalonique des XIXe et XXe siècles sont ici consignés. Les détails foisonnent, se multiplient, s'enchaînent.

« Louna » est un livre aux multiples facettes. Intimiste, il l'est par la vie de Louna, une juive qui a connu tous les malheurs et drames du XXe siècle. Il apporte un langage universel par l'Histoire des juifs de Thessalonique au XXe siècle, il est même plus global par l'histoire même, mouvementée, de la ville de Thessalonique à cette période. Enfin il est un témoignage sur la barbarie nazie. Il est remarquable par ses longues recherches historiques, précises et minutieuses. Il s'inscrit parfaitement dans le petit mais déjà somptueux catalogue des éditions Signes et Balises, où plusieurs histoires se télescopent quasi à chaque fois, où l'on fait connaissance avec des anonymes au coeur d'un bouleversement mondial. Maison d'édition nécessaire par les contenus, mais aussi toujours par cet esthétisme, cette qualité, y compris dans la fabrication, la couverture à rabats et le papier, ce qui devient de plus en plus rare. « Louna » vient de sortir, précipitez-vous !

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« Louna », l'humilité et la grandeur. Un essai de biographie historique nécessaire qui rend hommage à Louna Gattegno, la tante de Rika Benveniste.
Cette dernière rassemble l'épars, lève le voile sur Louna, emblème de l'Histoire des Juifs de Thessalonique. « Kaddish pour Louna » par Annette Wieviorka, est le préambule du déroulé de la vie de Louna. La destinée de cette femme humble, née à Salonique, et qui a toujours vécu dans sa ville natale, sinon les deux années de sa déportation.
La préface ouvre la porte de ce qui advient avec un sentiment historique dont il faut prendre soin. « Louna » prend place. Déportée du camp de transit Baron-Hirsch le 27 mars 1943, quittant Thessalonique pour Auschwitz.
Au « Block 10 », l'horrible, celui où les femmes déportées subissaient des sévices d'expérimentations de stérilisations pour les empêcher de procréer à jamais, parce que juives.
Elle, le matricule 40077, l'après enfermement, visible sur son corps, l'âme lacérée.
Rika Benveniste conte l'épreuve d'Auschwitz, de Bergen-Belsen, et celle de la Thessalonique juive.
Lieu où vécu Louna et les autres juifs pauvres. le feu qui détruit la Salonique, cendres devenues, elle, Louna, sa langue maternelle le judéo-espagnol. « Entre mozotros », « entre -nous ».
Langue fondamentale, déchirante et désespérée, avalée dans les affres des déportations mentales. « Louna, sos-tu », seule survivante, sa famille décimée par la déportation. Couturière devenue, qui ne respecte pas l'interdit de shabbat, pour coudre encore et toujours. Juive pauvre qui fait de nombreuses fautes de langage, parle grec avec maladresse et avec son accent judéo-espagnol. Illettrée, vivant à Thessalonique, avec les invisibles. Survivance et visage baissé, entre la crainte des pogroms et les douleurs abyssales. le lieu de survie ployé sous les diktats, les consignes et les méfiances constantes.
Rika Benveniste est l'armoire d'un monde inoubliable et qui serre le coeur.
Elle marche dans les pas de Louna. Elle collecte les faits, les preuves, les archives administratives et les témoignages. Elle rassemble les photos de Louna et nomme les rappels pavloviens de son enfance au plus proche de Louna, et ceux et celles, les siens, les leurs, et nous.
La thessalonique du XXe siècle, dans toute son idiosyncrasie. Livre de mémoire collective, aux notes précieuses et apprenantes. Ce livre est un outil pour les chercheurs en Histoire, ceux et celles qui veulent comprendre et tout apprendre de ces années lacérées par la haine pour les juifs, un peuple traqué comme une biche dans les bois sombres et assassins.
C'est un essai bouleversant, grave, d'utilité publique.
Louna, héroïne, malgré elle. Comme une azalée blanche qui cherche la lumière, pour demain.
Ce livre-fronton, perfectionniste, d'urgence absolue, accueille le devoir de la parole.
Il est d'une richesse documentaire hors norme.
« Louna Essai de biographie historique » a reçu en Grèce le Grand Prix national de l'essai.
Traduit avec talent par Loïc Marcou. N'oublions pas que Rika Benveniste est née à Thessalonique. Après des études à Jérusalem et à Paris, elle est aujourd'hui professeur médiévale à l'université de Thessalie, à Volos. Ses travaux portent sur les rapports entre juifs et chrétiens, la conversion et l'historiographie juive. Ses travaux sur la Shoah et les premières années de l'après-guerre ont fait l'objet de plusieurs livres.
« Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner». Georges Perec.
« Louna », le pays natal de la douleur.
Publié par les majeures Éditions Signes et Balises.
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J'avais choisi ce livre proposé par Babelio, que je remercie !! parce que Thessalonique est une ville que j'ai visitée, apparemment très, trop rapidement !! et découverte il y a 5 ans, ville carrefour des civilisations et des religions . J'avais en effet vu des restes de synagogues mais pas mis le pied dans le cimetière juif dont il est question dans le livre.
Attirée par le judeo- espagnol parlé par cette Louna, je n'ai pas été déçue par cet essai .. passionnant et d'une richesse incroyable .
je ne suis pas familière des écrits sociologiques , les chiffres et détails m'ont un peu rebutée au début, mais emportée par la qualité de la langue et la multiplicité des témoignages, j'ai été gagnée par le coté humain de ce livre.
J'avoue en outre, que bien que grande lectrice des romans ou recherches ayant trait à la Shoah, je n'avais jamais lu de documents expliquant le retour des déportés dans leur pays et les difficultés quotidiennes auxquelles ils ont été confrontés. J'ai lu et vu des récits mais jamais vraiment compris ce qu'ils avaient vécu après, dans leur vie personnelle ou communautaire, sauf très récemment dans une petit livre « Si maintenant j'oublie mon île » de Serge Airoldi, sur la vie de Mike Brant, né à Chypre et retenu dans un camp aussi glauque que les camps de Pologne !
Les aides, généreuses ou pingres avancées par le gouvernement et la communauté juive du pays semblent si ridicules jusqu'à la prise en compte des souffrances réelles de ces revenants, leur incapacité à «  dire » l'indicible, l'incapacité des habitants de la ville à entendre leur récit, incapacité qu'on retrouve chez nous ici en France également et dans tous les pays,
leur décision de rester chez eux alors qu'il n'y a plus de chez eux, ou de partir avec tous les atermoiements politiques de l'époque !
Je ne peux qu'exprimer mon ressenti, et non faire une analyse de ce texte car Rika Benveniste a réussi à faire taire les chiffres devant la souffrance humaine de Louna, seule et illettrée dans un monde qui n'a plus rien à voir avec son monde d'avant !
Qu'elle en soit remerciée par de nombreux lecteurs que j'encourage à découvrir son ouvrage.
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J'ai été très très touchée par Louna de Rika Benveniste !
Tout d'abord par l'honnêteté intrinsèque du propos . Benveniste se sert de la grande Histoire pour éclairer la petite histoire, mais à aucun moment elle ne prend les devants pour broder sur les sentiments ou sensations de son personnage sauf peut-être à la toute dernière phrase « j'en suis persuadée » comme si tout ce cheminement aux côtés de Louna lui donnait enfin l'autorisation de la comprendre et de parler pour elle.
D'autre part parce que grâce aux recherches de l'autrice, historienne, sur Louna, lointaine tante juive de Thessalonique dont elle ne savait que peu de choses, on apprend sur des pans entiers et ignorés de cette grande Histoire. On ne peut qu'être révoltée par le comportement inique des autorités de Thessalonique avant et après la Shoah … mais aussi émerveillée par l'énergie du Conseil Communautaire qui se bat pour procurer une vie décente aux siens.
La vie de Louna, des quartiers de relégation aux déplacements de population jusqu'aux baraquements des camps de concentration et son retour à Thessalonique m'a fait tristement penser à l'universalité des politiques de ghettoïsation et des cités d'urgence.
La vie de Louna comme couturière, ce que Benveniste explique comme n'étant pas considéré comme un métier mais un artisanat qui exploite des qualités féminines « innées », cette vie laborieuse partagée entre chez elle et les essayages à domicile, puis plus tard dans le livre, son travail sur les uniformes des soldats, (j'ignorais bêtement qu'il y avait des ateliers de couture dans les camps), la fausse normalité d'une activité au service du tortionnaire, ou d'une société essentiellement machiste… Tout ceci m'interpelle, en tant que femme.
Les pages que Rika Benveniste consacre à commenter les rares photos et les tenues toujours impeccables de Louna, montrent l'importance de l'image de soi que celle-ci veut renvoyer et par là même l'abime entre une extrême souffrance intime et une manière de se « corseter » de manière irréprochable pour tenir coute que coute.
Benveniste me touche aussi quand elle semble aussi dire que si une langue disparait (le judéo-espagnol, langue des disparus) restent la cuisine et le souvenir des mets à travers les générations …
En résumé merci ! À Rika Benveniste, aux Editions Signes et Balises, au traducteur Loîc Marcou pour ce livre passionnant, foisonnant, qui mérite de se trouver dans toutes les bibliothèques.
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Louna Gattegno, Louna, témoigne des martyrs des Juifs de Thessalonique en Grèce. A travers Louna nous revivons le martyr de la communauté juive de cette ville grecque, depuis la fin du XIXe siècle et l'antisémitisme d'alors, jusque dans les années 60 et le dévoilement des témoignages de ceux qui sont revenus des camps.

Louna est un récit historique, factuel, ni dans le pathos ni la culpabilisation. Louna précise des détails qui m'étaient inconnus jusqu'alors : le silence de la société aux retours des martyrs, leur combat pour survivre dans leur ville à leur retour, l'antisémitisme d'après guerre de la société, de leurs pairs et de l'administration.

Révoltant, touchant, factuel, d'une grande richesse et d'une précision chirurgicale Louna n'est pas un essai comme les autres. Je me réjouis de le compter dans ma bibliothèque, de pouvoir le consulter pour me rappeler que le martyr des Juifs n'a pas duré de 1939 à 1945 mais dure depuis 150 ans et perdure encore aujourd'hui..
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