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°°° rentrée littéraire 2020 # 35 °°°

On ne dira jamais assez l'importance du choix de l'illustration sur la couverture d'un livre lorsqu'il y en a une. Celle de l'illustratrice libanaise Lamia Ziadé est juste parfaite tant elle incarne le texte puissant de Rachid Benzine, tant elle le prolonge, tant elle aimante et accompagne le lecteur. C'est le cri d'une femme, un cri de liberté poussé lors du Printemps arabe de 2011, un cri qui dit tout ce qu'il a sur le coeur sans chercher à plaire.

La pute qui parle à Dieu et le poète engagé qui aime les hommes. le choix de la narratrice et de son binôme au coeur du roman peuvent sembler très stéréotypés. Ils le sont mais, au-delà de leur marginalité magnifique, ils personnifient audacieusement l'archétype du peuple bafoué par la classe dirigeante dans la Tunisie de Ben Ali, comme des réceptacles de toutes les frustrations du monde arabe. Cela pourrai être très artificiel mais, non, ils sont tellement beaux ces personnages, tellement faits de chair, de sang et d'os qu'ils nous emportent derrière eux.

Après la douceur des mots de Dans les yeux de ma mère, son précédent roman, Rachd Benzine déploie un style explosif pour dire la violence faite aux faibles sur fonds de naissance de la Révolution tunisienne. Dès les premières pages, Nour interpelle le lecteur de façon cru et frontale pour raconter son histoire et celle de la société tunisienne. Nour, dans le texte coranique, c'est la lumière lunaire, celle qui guide les hommes au milieu du désert pour ne pas s'égarer dans le froid et l'obscurité, dans l'attente du jour.

Nour est fille de prostituée, prostituée elle-même, mère d'une fille qu'elle élève avec dignité pour lui éviter un destin similaire, ayant l'intuition profonde que l'éducation libérera un jour la femme. C'est la figure de l'altérité par excellence, le curseur pour juger comment une société traite ses minorités. Sa confession intimiste bascule dans un récit juste sur la place des femmes dans la société tunisienne, harcelée en permanence, soumise au patriarcat et à la misogynie

« Un corps de femme, même le plus beau du monde, c'est toujours une forteresse assiégée. Qu'il soit contraint dans un vêtement à la pudeur pathologique, ou révèle par un déshabillé suggestif. Les hommes l'ont réduit à cela. Une prison qui enferme nos désirs, nos passions, notre fragilité, notre créativité. Qui enferme notre honte. Si souvent. »

La Révolution arabe bouscule les vies, les croyances et les espoirs. Dans ce contexte effervescent, le destin de Nour mais aussi de Slimane, son ami étudiant poète homosexuel, sont sur une ligne de crête, entrainés tous les deux dans cet élan inattendu puis les désillusions qui ont suivi. le lecteur vibre pour eux, crie avec eux, pleure sur la Tunisie qui aspirait à se libérer de la dictature de Ben Ali et se retrouve avec une poussée d'un islamisme violent qui entend prendre la relève de l'oppression. Ce récit terrible plein de rage, d'âme et de coeur touche et révolte en faisant résonner haut la voix des faibles qui espèrent malgré la dureté de la vie.
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La terrible confession d'une prostituée

Dans son second roman, Rachid Benzine explore le printemps arabe à travers le regard d'une prostituée. Louvoyant entre dictature et islamistes, Nour va essayer d'offrir un avenir à sa fille Selma.

A première vue, rien de commun entre Ainsi parlait ma mère, qui marquait les débuts dans le roman de Rachid Benzine et dressait le portrait sensible de sa mère et cet autre portrait de femme, une prostituée, dans ce second roman intitulé Dans les yeux du ciel. Mais à y regarder de plus près, on y trouvera bien des points communs, à commencer par le courage de ces deux femmes, leur force de caractère et leur lucidité. «Je m'appelle Nour. Chez moi, on est prostituée de mère en fille. Enfin, depuis deux générations. Pas de quoi se vanter d'un savoir-faire ancestral. Mais ça laisse des marques. Sur le corps. Sur la peau. En dedans, quelque part.»
Tout au long du récit, le lecteur est invité suivre son quotidien, à explorer ces marques que le plus vieux métier du monde lui laisse, à comprendre les risques encourus dans un pays soumis à la dictature, puis aux islamistes. Avec Nour, on va ressentir cette amertume «qui donne envie de gerber. D'en finir. Comme ça, d'un claquement de doigts. Disparaître. Un dernier vol plané du haut d'un minaret. Sous les roues d'un char. N'être plus que de la bouillie. Une flaque de chair, de merde, de sang.»
Car la violence est omniprésente, soulignée par un style cru, vrai, direct, ne laissant guère place aux fioritures. Nour a pris soin de situer son studio loin de chez elle pour que personne ne se doute de ses activités. Mais, à l'image des clients qui s'y succèdent, la mise à nu est permanente, nous proposant ainsi un miroir à peine déformé de la société. Il y a là les postes-clé d'un pouvoir qui vacille et les tenants du changement. Une dictature qui s'accroche à ses privilèges, une révolution arabe qui gronde et enfle. Des tensions qui vont rendre la vie de Nour de plus en plus difficile. Outre ses «trois purgations: les conseils beauté des chaînes arabes pour me vider la tête; la prière pour me purger l'âme; la lecture pour ne pas crever. La plupart du temps, des essais philosophiques ou sociologiques. J'en lis chaque phrase comme si toute ma vie en dépendait.» elle va trouver un soutien auprès de Slimane, un homosexuel qui va lui apporter toute son affection. Mais qu'elle va pourtant trahir parce qu'il s'est rapproché de l'un de ses clients. Roué de coups, Slimane va alors s'engager dans la bataille pour un changement de régime, animant notamment un blog vidéo sur le soulèvement «Pour que chacune et chacun ait le courage d'être. Pour dire la liberté aussi. Celle des moeurs. Celle de la pensée surtout.»
On le voit, Rachis Benzine a construit son roman autour d'épisodes qui offrent au lecteur plusieurs niveaux de réflexion. Commençons par la place de la femme, brimée et avilie, harcelée en permanence et prisonnière de moeurs machistes qui rendent tout déplacement dangereux, y compris dans les défilés qui réclament davantage de liberté. le niveau politique est du reste tout aussi passionnant. L'aspiration du peuple à sortir d'un système corrompu qui tente de contrôler les faits et gestes de la population à l'aide d'espions va finir par gagner, mais à quel prix? L'auteur, lucide, montre qu'il ne suffit pas d'abolir un régime pour gagner, que les lendemains de victoire peuvent aussi être très douloureux. La religion et la façon dont l'islam est dévoyé pour en faire un instrument d'oppression est aussi parfaitement analysé ici, montrant notamment combien les homosexuels ont de la peine à se faire accepter dans une telle société.
Disons aussi un mot du niveau économique. Entre la morale et la nécessité de nourrir sa famille, on voit bien que la prostitution constitue pour des familles entières un moyen de survivre. Pour Nour, c'est aussi le moyen de payer des études de sa fille, de sortir de cette spirale infernale.
Un roman fort et dense, un constat lucide qui sonne aussi comme un avertissement. Intelligent et salutaire!


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Lu dans le cadre du Prix du Meilleur Roman Points #pmr2022

« Un roman bouleversant ». C'est peu de le dire.

Nour, la quarantaine, élève seule sa fille Selma et se prostitue pour survivre et pour lui assurer un bel avenir. Sa mère le faisait déjà avant elle.

Dehors, c'est la révolution, le printemps arabe qui fait rage.

A travers les yeux et le corps de Nour, on assiste à cette insurrection populaire, à cet élan des petites gens qui rêvent de lendemains meilleurs. Car la situation du pays est catastrophique. Une culture islamiste, machiste, sexiste et homophobe, des fonctionnaires rongés par la corruption, l'espionnage et la délation à tous les niveaux… Dans ce pays, on peut se faire violer en pleine rue si l'on est une femme ou tabassé à mort si l'on est homosexuel.

Dans ce contexte, on comprend tout l'espoir que les plus démunis et les plus persécutés mettent dans ce «printemps» arabe dans un pays qui ne connaît que l'été ou l'hiver. Nour, à travers son activité, voit passer les hommes du pays, des hommes de tous camps. Elle ne les déteste pas et les prend le plus souvent en pitié. Nour est une femme incroyable, une pute pieuse qui catalyse à elle seule toute la violence et les frustrations d'un pays en mal de liberté.

Heureusement, elle a son amoureux Slimane, jeune poète homosexuel qui comme elle vend son corps. Il lui apporte douceur et poésie, dans le contexte ultra-violent qui est le sien.

Un roman féministe et politique « bouleversant », oui, et très fort. J'ai été très émue par ce texte, un peu trop court peut-être mais tellement intense, à la langue crue.

Je n'ai aucune réserve. Ce roman est brillant et me donne envie de découvrir les autres livres de Rachid Benzine.

Foncez !
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J'ai été bluffée par l'écriture de ce roman, qui en fait donne la vision de l'intérieur d'une des révolutions dites du "Printemps arabe"
Celle, décrite ici l'est par les yeux du femme du peuple qui, comme beaucoup d'entre elles n'a pas eu la chance d'être préservée dans son enfance et se retrouve à exercer le plus vieux métier du monde comme sa mère avant elle. Nour, fera tout pour s'installer "a son compte" pour ne pas trop déchoir et dans l'unique but d'offrir des études et un bel avenir à sa propre fille.
La révolution se prépare et se passe sous ses yeux, elle voit passer chez elle des individus qui représentent le présent et l'avenir de cette révolution et mesure la violence, la duplicité de cette société gangrénée par un catéchisme castrateur , et surtout la misogynie qui prend le visage de l'Islam. Son seul ami, poète, rebelle,homosexuel paiera très cher l'intolérance de cette société faite seulement d'interdits.
C'est un livre très dur , très cru, très réaliste, qui ne peut être écrit que par un homme qui a vécu cette période qui n'a été qu'une vaste illusion de liberté.
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Le printemps arabe a fait tomber les tyrans mais un hiver de répression et de régression lui a succédé. La révolution populaire a été confisquée par l'armée et les islamistes : « en pleine révolution, cette société fait un tour complet sur elle-même et plonge dans son passé. Loin de vouloir s'émanciper, elle veut restaurer les tabous archaïques : l'illusion d'une société musulmane idéale est plus forte que les lumières de la modernité » (p97).
Rachid Benzine fait de cet effondrement un roman puissant dans lequel les deux personnages principaux, Nour (Malika) et Slimane, sont éclatants d'humanité. Nour est magnifique : « un corps de femme, même le plus beau du monde, c'est toujours une forteresse assiégée ». Nour est une pute. Dans son studio viennent s'échouer les âmes damnées d'une société pétrie d'hypocrisie, toute la misère sexuelle de ces hommes que la soumission et la frustration ont rendu violents. Nour fait de son mieux : « Rares sont ceux qui m'ont donné le sentiment qu'ils me quittaient vraiment ressourcés. C'est pourtant la fonction première de mon cul ». Slimane, lui, est un poète homosexuel qui n'a d'autre choix que de se prostituer pour survivre – sa verve et sa verge. Sa liberté de ton fera le bonheur de la révolte.
Il faut avoir vécu (pas seulement voyagé) dans un pays arabe pour comprendre à quelle point la société peut imploser à tout moment. le patriarcat, l'injustice et le retour d'idées rétrogrades minent des citoyens avides d'émancipation. La souffrance et l'inquiétude sont palpables. Rachid Benzine en montre parfaitement les symptômes.
Ce roman est aussi une déclaration d'amour à celles qui contiennent le désir des hommes. Ils leur confient leur honte et leur désespoir. Ils les humilient et trouvent dans leur avilissement la source de leur rédemption. Que serions-nous sans les putes et les poètes ? Cela me rappelle la réponse d'un ami psychanalyste à qui j'avais demandé quels étaient ses plus grands concurrents. « Les prostituées » m'avait-il répondu.
Bilan : 🌹🌹
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Dès les premières pages, j'ai pris l'histoire de Nour dans la face. Pute de mère en fille dans un pays musulman, pute et croyante, pute au moment du Printemps arabe.
Un roman puissant qui lit le destin de cette femme et de son ami Slimane, poète homosexuel, à celui du pays.
Ils sont deux symboles face à l'hypocrisie et la violence de la société. Ils sont la colère d'un peuple. Ils seront les victimes de l'illusion de la révolution qui ne fera que remettre les mêmes au pouvoir…
Cru, incisif, ce roman de moins de 150 pages est d'une beauté époustouflante.
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J'aime surtout les livres courts mais denses: les romans de Rachid Benzine sont de ceux-là. Celui-ci lève le voile sur le Maghreb au temps du Printemps arabe: la jeunesse y a cru, et beaucoup de gens du peuple très pauvres mais la Révolution n'a pas eu lieu; on est passé d'une dictature à une autre (pire, je le crains)
Pour survivre et donner une chance à sa fille, Nour se prostitue. La mère de Nour vivait du même "métier" et comme beaucoup d'hommes demandaient à ne pas utiliser de préservatifs, elle est morte de ses nombreux avortements exécutés par Nour à partir de ses huit ans.
Nour elle-même tombe enceinte, Selma sera fille unique (les autres n'ont pas survécu aux aiguilles de Selma.
L'atmosphère est lourde, des jeunes se suicident, se rassemblent dans la rue pour réclamer des libertés. Nour reste distante: elle a peur surtout pour sa fille. Son ami, homosexuel, poète et doux est plus engagé, de plus en plus même.
Aux élections ce sont les islamistes qui gagnent et le recul du peu de libertés est sensible.
Un livre touchant, éclairant et une analyse fine de la situation. Un coup de coeur qui m'a lancée dans la lectures des autres, le dernier étant sur le père immigré.
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Nour est prostituée, comme l'était sa mère. Elle est devenue prostituée à l'âge de douze ans, après le décès de sa mère. Nour est mère à son tour, et jongle entre deux vies.

Dans un petit studio "de travail", Nour exerce le plus vieux métier du monde. Cette fille de joie reçoit des hommes d'Etat, des hommes d'affaires, des hommes riches. Nour découvre leurs perversités, leurs détresses parfois, leurs faiblesses souvent.

A travers les différents hommes de passage, Nour peut compter sur l'homme de sa vie : Slimane. Prostitué aussi et homosexuel, Slimane est un poète des temps modernes, rempli d'égalité et de justice dans un pays au bord de la révolution.

"Dans les yeux du ciel" est un roman écrit dans un style simple, limpide mais efficace au rythme rapide, avec des phrases et des mots percutantes, brèves. La plume de l'auteur unit le sens de la formule à l'humour avec dextérité malgré une histoire mélancolique et forte de sens.

Rachid Benzine crée un lien entre le destin de Nour, une femme du peuple et la révolution du monde arabe. Nour devient un symbole, un personnage a part entière dans un pays en guerre contre lui même mais toujours sans haine. Rachid Benzine m'a happé malgré la violence du récit.

L'auteur signe un portait de femme tout en émotions, en nuances à travers un texte d'une beauté incroyable qui examine la société et l'intime.

Un roman convaincant car il dénonce une société injuste, patriarcale, très brutale avec les plus faibles. Une histoire qui montre que l'auteur est enfant avouer de la démocratie et de la tolérance.

Un roman fort où il y a tant à dire, qui se termine comme un cri de douleur devant le chaos (comme le souligne cette très belle couverture). Lisez-le !
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Magnifique message que ce roman …
Propos très dure, écriture acérée et revendications de ce printemps arabe qui ne fut que poussière d'espérance.
Magnifique témoignage de ses 2 héros unis pour un monde plus juste.
Difficile après la lecture de ce récit de rester indifférent, une torture des corps et des mots.
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Ce texte est présenté comme roman mais au début, il n'y a pas vraiment de narration. C'est plus un cri, comme sa couverture que je n'aimais pas du tout au premier abord. Puis, on avance finalement ; on suit Nour et à travers elle toute la société de ce pays arabe en pleine révolution. La politique, l'actualité vues de l'intérieur, vues dans les yeux des gens les plus "invisibles", "anonymes", c'est toujours très instructif et intéressant.

Ici, c'est un écrivain qui parle pour une prostituée. J'ai beaucoup aimé qu'un homme parle pour une femme, comme une marque de respect incroyable de l'écrivain pour ces femmes.

Pour le style, c'est difficile à lire, brut, cash et la fin est révoltante, d'une injustice folle ! Un roman marquant, à la couverture finalement parfaite !
Lien : https://lecturesdeflo.fr/202..
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