AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Kirzy
05 novembre 2020
°°° rentrée littéraire 2020 # 35 °°°

On ne dira jamais assez l'importance du choix de l'illustration sur la couverture d'un livre lorsqu'il y en a une. Celle de l'illustratrice libanaise Lamia Ziadé est juste parfaite tant elle incarne le texte puissant de Rachid Benzine, tant elle le prolonge, tant elle aimante et accompagne le lecteur. C'est le cri d'une femme, un cri de liberté poussé lors du Printemps arabe de 2011, un cri qui dit tout ce qu'il a sur le coeur sans chercher à plaire.

La pute qui parle à Dieu et le poète engagé qui aime les hommes. le choix de la narratrice et de son binôme au coeur du roman peuvent sembler très stéréotypés. Ils le sont mais, au-delà de leur marginalité magnifique, ils personnifient audacieusement l'archétype du peuple bafoué par la classe dirigeante dans la Tunisie de Ben Ali, comme des réceptacles de toutes les frustrations du monde arabe. Cela pourrai être très artificiel mais, non, ils sont tellement beaux ces personnages, tellement faits de chair, de sang et d'os qu'ils nous emportent derrière eux.

Après la douceur des mots de Dans les yeux de ma mère, son précédent roman, Rachd Benzine déploie un style explosif pour dire la violence faite aux faibles sur fonds de naissance de la Révolution tunisienne. Dès les premières pages, Nour interpelle le lecteur de façon cru et frontale pour raconter son histoire et celle de la société tunisienne. Nour, dans le texte coranique, c'est la lumière lunaire, celle qui guide les hommes au milieu du désert pour ne pas s'égarer dans le froid et l'obscurité, dans l'attente du jour.

Nour est fille de prostituée, prostituée elle-même, mère d'une fille qu'elle élève avec dignité pour lui éviter un destin similaire, ayant l'intuition profonde que l'éducation libérera un jour la femme. C'est la figure de l'altérité par excellence, le curseur pour juger comment une société traite ses minorités. Sa confession intimiste bascule dans un récit juste sur la place des femmes dans la société tunisienne, harcelée en permanence, soumise au patriarcat et à la misogynie

« Un corps de femme, même le plus beau du monde, c'est toujours une forteresse assiégée. Qu'il soit contraint dans un vêtement à la pudeur pathologique, ou révèle par un déshabillé suggestif. Les hommes l'ont réduit à cela. Une prison qui enferme nos désirs, nos passions, notre fragilité, notre créativité. Qui enferme notre honte. Si souvent. »

La Révolution arabe bouscule les vies, les croyances et les espoirs. Dans ce contexte effervescent, le destin de Nour mais aussi de Slimane, son ami étudiant poète homosexuel, sont sur une ligne de crête, entrainés tous les deux dans cet élan inattendu puis les désillusions qui ont suivi. le lecteur vibre pour eux, crie avec eux, pleure sur la Tunisie qui aspirait à se libérer de la dictature de Ben Ali et se retrouve avec une poussée d'un islamisme violent qui entend prendre la relève de l'oppression. Ce récit terrible plein de rage, d'âme et de coeur touche et révolte en faisant résonner haut la voix des faibles qui espèrent malgré la dureté de la vie.
Commenter  J’apprécie          1068



Ont apprécié cette critique (97)voir plus




{* *}