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EAN : 9782021495591
96 pages
Seuil (07/01/2022)
4.38/5   733 notes
Résumé :
« Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques-Prévert de Sarcelles. » R. B.

Fabien est un petit garçon heureux qui aime, le football, la poésie et ses copains, jusqu’au jour où ses parents rejoignent la Syrie.

Ce roman poignant et d’une grande humanité raconte le cauchemar éveillé d’un enfant lucide, courageux... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (158) Voir plus Ajouter une critique
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Pas besoin d'un grand livre pour nous faire voir l'horreur, nous déchirer le coeur, nous révolter devant la monstruosité du régime islamique.

Fabien aime Monsieur Tannier, son instituteur, ses grands parents aussi puis le foot (surtout l'équipe de France) et la poésie, celle de Jacques Prevert. Ses parents français reconvertis à l'islam l'emmènent en Syrie où ils lui promettent le paradis pour des musulmans comme eux. Fabien rebaptisé Farid ne voit rien du paradis promis. Lui ce qu'il voit ce sont des hommes qui tuent partout, des femmes pendues, des enfants soldats, les gens crient, ralent, se fâchent tout le temps. Il faut mentir la bas, dire que tout va bien car Allah akbar. Pour protéger ses parents aussi qui déchantent et ne voient pas l'islam comme les endoctrinés de daesh qui transforment le monde en une vaste boucherie. Mais il est trop tard.

C'est un petit livre écrit à hauteur d'enfant extrêmement poignant. Une réalité exacerbée par ce regard d'enfant qui ne comprend pas et reçoit l'horreur comme autant de gifles incompréhensibles quand on est enfant. Alors il se réfugie dans la poésie, il récite, il écrit, Monsieur Tannier serait fier de lui. Quand arrive la coupe du monde, c'est beau de voir cet enfant embrigadé en Syrie se sentir heureux d'être français. Que reste t'il quand tout n'est plus que souffrance et horreur? le rêve, l'imagination, les souvenirs d'un temps où les gens s'aimaient. Puis la poésie. Rachid Benzine l'a dit, comme le monde serait bien plus beau sous l'effigie d'un poétiquement correct.

J'ignorais le degré de monstruosité qui règne auprès de ces radicaux, la perte totale d'humanité est effrayante, la folie des hommes au nom d'une religion me dépassera toujours.
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Élève de CE2, Fabien est un petit garçon heureux de la banlieue parisienne qui adore la poésie. Lorsque, du jour au lendemain, son père lui annonce que toute la famille quitte Sarcelles pour rejoindre l'État islamique en Syrie, sa vie bascule subitement dans l'horreur.

Cette fiction qui s'inspire de faits réels raconte l'histoire de victimes de l'endoctrinement de Daech. Des jeunes familles musulmanes qui tournent le dos à une intégration difficile pour tomber dans le piège du fanatisme religieux. Une fois sur place, la terre promise s'avère surtout une descente aux enfers, faite de violence, de barbarie et de misère.

En prenant un petit Français, rebaptisé Farid dès son arrivée en Syrie, comme narrateur, Rachid Benzine propose un regard à la fois criant de vérité et débordant d'innocence. Embrigadé dans les Lionceaux du Califat, prix au piège au coeur de la barbarie la plus extrême, ce gamin n'est pas seulement victime de Daech, mais également de la décision de ses parents d'aller faire le djihad et victime d'une France qui ne lui offre aucune porte de sortie. le sort de cet innocent venu distiller un brin de poésie en enfer ne peut donc pas laisser indifférent…

Ce récit un brin trop court est celui d'une enfance piétiné, d'une dénonciation du fanatisme religieux, d'un hommage à la poésie et d'une invitation à la tolérance envers ces musulmans trompés par Daech, embarqués malgré eux, puis exclus par la France.

Lisez également l'excellent « Ce que tient ta main droite t'appartient » de Pascal Manoukian sur le même sujet.
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Fabien a dix ans quand le départ subit de ses parents pour la Syrie l'arrache à son quotidien de Sarcelles. Adieu ses grands-parents, ses copains et le football, son instituteur et la poésie qu'il aime tant : rebaptisé Farid, l'enfant assiste aux rapides déconvenues de ses parents, alors que le paradis escompté s'avère un inextricable enfer. Lorsque le califat de Daech tombe, leur sort reste tout aussi désespéré, l'atrocité de leurs conditions de vie, la terreur et la violence les accompagnant au camp de réfugiés d'Al-Hol.


Le récit est d'abord le constat d'un effroyable piège : leurré par un mirage comme des papillons par la lumière, les parents de Fabien réalisent un peu tard qu'ils ont pris un aller simple pour l'enfer. Désormais prisonniers d'une organisation qui prévient toute déviance par la terreur, depuis l'encouragement à la délation au sein-même des familles jusqu'à l'exécution sommaire et pour l'exemple des candidats à la fuite ou à la désobéissance, eux qui se sont jetés d'eux-mêmes dans la gueule du loup ont pour suprême remord le sort qu'ils ont imposé à leur fils. Ici, le destin est tout tracé : les hommes meurent comme des mouches au combat ; les femmes, veuves à répétition, sont remariées aussitôt pour servir un autre soldat et pour enfanter de futurs combattants ; les enfants sont embrigadés et forcés à tuer dès le plus jeune âge. Et lorsque la défaite de Daech rassemble les survivants en prison, ou, pour les femmes et les enfants, dans des camps de réfugiés, la nasse se resserre de plus belle. Tandis que les plus radicales maintiennent la pression et la terreur parmi ces rescapées indésirables, les enfants meurent dans des conditions misérables, de faim ou de maladie, prisonniers d'une situation sans issue qu'ils n'ont pourtant pas choisie.


Rédigé à hauteur d'enfant avec la sensibilité et l'élégance de plume auxquelles l'auteur nous a accoutumés, mais aussi avec une tendresse et une poésie qui contrastent délibérément et de manière vibrante avec la barbarie, le roman soulève de nombreuses questions. Comment revivre ensemble après la guerre ? Que faire de ces enfants de bourreaux, certains innocents, d'autres dangereusement fanatisés, tous rassemblés dans une promiscuité et des conditions humanitaires catastrophiques, propices à encore davantage de haine et de violence ? Comment déradicaliser les uns, sauver les autres, avant qu'ils ne grandissent comme de véritables bombes humaines ?


Personne ne restera de marbre face au jeune personnage de ce très court livre qui n'aborde l'innommable qu'avec les plus extrêmes délicatesse et retenue. Pour un regard plus décapant sur un sujet du même ordre, l'on pourra poursuivre avec la lecture de Girl d'Edna O'Brien. le sort des fillettes enlevées par Boko Haram au Nigeria et rejetées comme des pestiférées lorsque par miracle elles parviennent, un jour, à s'échapper, est tout aussi révoltant.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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On ouvre ce livre, on prend connaissance de la situation de ce petit bonhomme qui ne demandait qu'à montrer ses poèmes à Monsieur Tannier, son maître, qui ne demandait qu'à grandir, heureux entre ses parents, ses grands-parents, ses amis, un petit être innocent qui découvre l'horreur dans un milieu ou aucun enfant ne devrait se trouver. Mais hélas, le monde est fait pour les adultes, et les adultes gardent parfois une innocence idiote et coupable, celle qui les amène à entrainer des enfants vers la souffrance extrême.

Ce récit, il vous touche en plein coeur, il vous vole votre âme, parce que cette histoire, ce n'est pas de la fiction, c'est le vécu de famille partie pour la Syrie, c'est l'histoire d'une descente aux enfers sans possibilité de retour.

Je crois que je vais vite lite un autre roman pour faire passer le cafard qui s'empare de moi !

Je terminerai ma chronique par ces parole d'Yves Duteil qui résument si bien cette situation et que je dédie à ces enfants suppliciés :

« J'ai vu des enfants s'en aller, sourire aux lèvres et coeur léger
Vers la mort et le paradis, que les adultes avaient promis
Mais quand ils sautaient sur les mine, c'était Mozart qu'on assassine,
Si le bonheur est à ce prix, de quel enfer s'est-il nourri ? »

je sors amère de cette lecture nécessaire.

Merci à l'auteur d'avoir eu le courage de publier ce récit.
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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En Syrie, le camp d'Al-Hol accueille, depuis la chute de Daesh, des milliers de familles de djihadistes. Les conditions de vie y sont terribles. Les enfants représentent près des deux tiers de la population du camp (la plupart ont moins de 5 ans).

Fabien/Farid y vit avec sa mère et son petit frère. C'est de ce camp qu'il nous conte son histoire.

Il nous parle de Sarcelles, des copains, du foot et surtout de sa poésie. Il nous parle de la conversion à l'islam de ses parents, de leur fuite vers la Syrie et de leur installation à Raqqah. Il nous parle de l'école coranique, de la première fois qu'il a tenu une arme dans les mains, des exécutions, des enfants-martyres. Il nous parle de ses espoirs de retrouver sa vie d'avant à Sarcelles, de revoir ses grands-parents, et même son ancien instit à qui il n'a pas eu le temps de réciter ses derniers poèmes. Il nous parle de la réalité de la guerre et de ses horreurs, des bombardements, des morts, des blessés, des mutilés. Puis il nous parle du camp d'Al-Hol où il est emprisonné, maltraité, surveillé, battu parce qu'enfant de djihadistes...

Toujours il se raccroche à ses poèmes, qu'il invente et récite, aux autres, pour lui-même, pour ne pas sombrer, pour ne pas tomber, pour garder le moral, pour garder espoir...

Petit roman de 84 pages, il n'en est pas moins poignant et troublant. C'est avec le regard d'un enfant de 10 ans que les faits nous sont racontés. le ton est enfantin mais élaboré, toujours très/trop réaliste. Fabien ne comprend pas tout mais nous, lecteurs, pouvons lire entre les lignes et ce que ce petit garçon vit est terrible. Il nous touche en plein coeur cet enfant qui n'a aucunement sa place dans cette guerre.

Et puis, il y a l'absence d'humanité dans ce camp qui remue beaucoup également. Les conditions de vie déplorables, le manque de soin, le manque d'hygiène, le manque de tout, le surnombre des détenus, les maladies, la violence des gardiens et des interrogatoires, la tension entre les femmes, les dénonciations... tout ça fait penser à d'autres camps quelques décennies en arrière... Qu'autant d'enfants vivent une telle horreur de nos jours, c'est juste impensable...

Difficile de dire qu'on a aimé un tel livre, pourtant et bien que fiction, on ne peut en ressortir indemne. L'histoire est à la fois horriblement poignante et divinement bien écrite.

Un petit roman bouleversant, intense, inoubliable.
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critiques presse (5)
LaCroix
09 septembre 2022
Ce roman délicat est une plongée dans le quotidien des familles de djihadistes partis combattre en Syrie.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeMonde
01 mars 2022
L’écrivain se place à la hauteur du petit Fabien pour évoquer le sort de ceux qui, amenés en Syrie par leurs parents djihadistes, y sont aujourd’hui retenus.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
31 janvier 2022
Un garçon épris de poésie face aux horreurs de Daech. Un roman courageux.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaLibreBelgique
20 janvier 2022
Un enfant aimant la poésie est plongé dans l’horreur. Récit poignant de Rachid Benzine.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Culturebox
19 janvier 2022
Au nom de l’État islamique, certains enfants ont été embrigadés dans l’horreur. Le chercheur et auteur Rachid Benzine s’est penché sur cette question d’actualité dans un roman intitulé "Voyage au bout de l’enfance" aux éditions Seuil.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (64) Voir plus Ajouter une citation
Je me suis mis à vomir. L'émir a pris ma tête dans sa grosse main et il m'a donné une immense claque. Il m'a mis devant tout le groupe de lionceaux et il a ordonné aux autres de me frapper. Ils ont hésité. Et puis un d'abord, puis un autre se sont lancés. Je crois qu'ils avaient autant peur que moi. Alors ils m'ont frappé chacun leur tour mais sans vraiment me faire mal. J'ai cru ce jour-là que j'allais mourir. Alors je récitais dans ma tête à toute vitesse des poèmes que j'avais appris à l'école. Pour mourir dans ce qu'il y a de plus beau. Et j'ai même inventé un poème pendant qu'ils me frappaient. Un poème inspiré par Jacques Prévert :

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui dans un soupir
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non à son émir
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les sourates et les mots arabes
Daesh et les lionceaux du califat
Les massacres et les attentats-suicides
Et malgré les menaces de l'émir
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
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Mes poésies ont pris le goût amer de tout ce que j'ai vécu depuis que nous sommes dans le camp d'Al-Hol. Le sentiment d'être abandonné. Voir des enfants innocents mourir tous les jours. Je crois que personne n'est fait pour ça. Alors maintenant mes poésies elles disent la peur, le dégoût, la colère, la faim, les bombardements, la mort de mes copains. Je n'ai pas envie de me souvenir de ces poésies. Mais je n'arrive pas à les oublier. Elles m'habitent comme si elles étaient gravées dans mes souffrances et mes blessures.
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L'émir a pris ma tête dans sa grosse main et il m'a donné une immense claque. Il m'a mis devant tout le groupe de lionceaux et il a ordonné aux autres de me frapper. Ils ont hésité. Et puis un d'abord, puis un autre se sont lancés. Je crois qu'ils avaient autant peur que moi. Alors ils m'ont frappé chacun leur tour mais sans vraiment me faire mal. J'ai cru ce jour-là que j'allais mourir. Alors je récitais dans ma tête à toute vitesse des poèmes que j'avais appris à l'école. Pour mourir dans ce qu'il y a de plus beau. (p.34)
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Et puis on est arrivés en Syrie. Là, ils m’ont dit où on était. Ça s’appelait Raqqah. Papa et maman, ils étaient très excités. Je les avais jamais vus aussi heureux. Ils m’ont dit que c’était le paradis ici. Moi je croyais que le paradis c’était dans le ciel, quand on est mort. Papa s’est habillé avec des vêtements très larges et un turban. Maman a mis un niqab. Tout noir. On voyait que ses yeux. Pour rire, elle me disait que c’était pour me surveiller comme depuis la meurtrière d’un château. (p.12)
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(Les premières pages du livre)
Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques-Prévert de Sarcelles.
Moi, ce que j’aime, c’est la poésie. Mon maître de CE2, monsieur Tannier, il m’encourageait toujours. Il me disait : « Fabien, tu seras un grand poète. Tu as tout pour réussir. Tes résultats scolaires sont excellents et tu as un imaginaire si créatif… » Je sais pas si c’est vrai mais en tout cas monsieur Tannier il y croyait dur comme fer. Et je me souviens très bien du jour où il m’a demandé de bien réviser les poésies que j’ai écrites pour les dire le lendemain à toute la classe. Mon jour de gloire en somme.
Mais ce jour de gloire n’est jamais venu. Parce que le lendemain matin, au moment d’aller à l’école, papa m’a dit : « Aujourd’hui, tu ne vas pas en classe. On part en voyage. » C’est pas que l’idée d’un voyage me déplaisait. Mais c’était le jour où je devais dire mes poèmes. J’ai supplié papa et maman de partir une autre fois. Pendant les vacances scolaires. Les voyages, je vais pas vous mentir, moi j’aime ça. C’est plein de surprises. On voit des choses magnifiques. On apprend beaucoup et on se fait des nouveaux copains. Mais le jour de la poésie… C’était une trahison. Rien n’y a fait. Ni papa ni maman ne m’ont écouté. J’ai caché mes affaires qu’ils avaient préparées pour partir. Mais dans un petit appartement de Sarcelles, y a pas beaucoup d’endroits pour cacher des affaires. Alors ils les ont vite retrouvées. J’ai insisté. Ça a fini par énerver papa. Il m’a traité de kâfir, de « mécréant ». Il m’a dit que j’allais finir en enfer si je refusais de venir. Ça m’a toujours fait peur l’enfer. Une fois, j’ai même dit à maman qu’Allah il était méchant. Parce que quand je fais des bêtises, mes parents ils me punissent mais Allah, si tu fais des bêtises, il te fait brûler en enfer. Et tu souffres beaucoup. Et pour toujours. Alors, j’ai pleuré, j’ai aidé mes parents à charger les bagages dans le taxi, j’ai pris mes poésies et on est partis.
Un drôle de voyage. Et très long. Il a fallu qu’on se cache dans une voiture. Pas seulement moi mais papa et maman aussi. Les gens parlaient arabe ou des langues bizarres. Même papa et maman ne savaient pas toujours quelle langue c’était. Enfin, ils étaient pas sûrs. Mais je crois qu’ils voulaient peut-être pas que je sache. Papa m’a toujours dit que j’étais trop curieux. C’est pas ma faute... J’ai envie de savoir, de comprendre. Allah il a rien contre ça. Je lui ai dit une fois à papa. Il avait l’air furieux. Mais il ne m’a pas grondé.
Et puis on est arrivés en Syrie. Là, ils m’ont dit où on était. Ça s’appelait Raqqah. Papa et maman, ils étaient très excités. Je les avais jamais vus aussi heureux. Ils m’ont dit que c’était le paradis ici. Moi je croyais que le paradis c’était dans le ciel, quand on est mort. Papa s’est habillé avec des vêtements très larges et un turban. Maman a mis un niqab. Tout noir. On voyait que ses yeux. Pour rire, elle me disait que c’était pour me surveiller comme depuis la meurtrière d’un château.
Et puis moi j’ai dû dire que je m’appelais Farid. Fini Fabien. Bonjour Farid. Parce que ça faisait plus sérieux à Raqqah. Mes parents m’ont eu avant de se convertir à l’islam. Alors je m’appelais Fabien, tout simplement. Et pourquoi ils faisaient pas tout ça déjà avant, eux, le turban, le niqab ? Mes parents m’ont dit que c’était parce qu’à Sarcelles on faisait semblant d’être comme les autres. De s’habiller comme eux. D’être amis avec eux. Mais moi j’ai jamais fait semblant. Mes copains c’est vraiment mes copains. Et monsieur Tannier, mon maître d’école, je l’aime vraiment beaucoup. Et tous les autres aussi.
Papa et maman m’ont dit que j’avais une chance extraordinaire de vivre dans l’État islamique. Que tout était fait pour les musulmans et que plus jamais on aurait affaire aux kouffâr. Que c’était une bénédiction d’Allah. Alors j’ai pleuré en me cachant. Parce que moi je voulais lire mes poésies à monsieur Tannier. Et je voulais voir mes copains et mes copines de Sarcelles. M’en fous qu’ils soient kouffâr, moi. Mon copain Ariel il est juif. Il m’a jamais embêté parce que j’étais musulman.
À Raqqah, papa disait souvent : « Regarde tous ces gens qu’Allah a appelés. Ils viennent du monde entier pour Sa gloire. Tu te rends compte de la chance que tu as de faire partie des élus d’Allah ? Si tu étudies bien, tu seras peut-être un jour un grand imam. » « Et peut-être même le calife », a ajouté maman en éclatant de rire. Papa a fait la tête un court instant et puis il a rigolé lui aussi. On était vraiment heureux à ce moment-là.
Pendant des mois ça s’est bien passé. Enfin pas trop mal. Parce que j’ai vite compris que les musulmans du califat c’était pas les mêmes qu’à la maison. Toujours à faire la gueule pour un rien. À rire comme des ânes pour un rien. À parler très fort. À gueuler pour tout. Et surtout pour rien. À faire des reproches pour pas grand-chose. Et côté religion, c’était pas plus joyeux. Rien de ce que je pensais, disais et faisais n’était jamais comme il fallait. C’était compliqué de s’y retrouver. Et puis il était plus question de défendre le peuple qui souffrait de Bachar el-Assad comme m’avaient dit papa et maman. Maintenant, on nous expliquait qu’il fallait combattre le monde entier.
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