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Critique de audelagandre


« Il est juste que les forts soient frappés. La phrase s'affiche tel un blason en lui. Et elle lui semble parfaitement logique, évidente — appropriée, là encore. Il est juste, oui, précisément parce que c'est plus injuste, plus cruel, et donc plus éloigné de l'entendement des simples mortels, que lui et moi, qui sommes si jeunes, pleins de vie, si forts, nous soyons frappés. Nous plutôt que d'autres, qui ne s'en relèveraient pas. Voilà. Nous sommes attaqués par le monstre le plus immonde que la vie ait pu lâcher sur nous parce que, justement, nous sommes les adversaires les plus valeureux qu'elle ait l'honneur de mettre à l'épreuve. »

Elle c'est Sarah, dite le moineau. Lui c'est Théo, dit le lutin. Ils sont jeunes, heureux, parents d'un petit Simon et ils s'aiment à la folie. Lorsqu'une seconde grossesse arrive, c'est le bonheur absolu. Mais Sarah est de plus en plus souvent très essoufflée… le verdict tombe : une tumeur située entre le coeur et le poumon, inopérable, car mal placée : un cancer du « ris-de veau ». Sarah se bat. Théo la soutient. Malgré des adversaires valeureux, la maladie gagne. Sarah meurt à 42 ans. Elle a perdu le combat, on le sait dès la première page. Mais, elle a le pouvoir d'aller se balader dans ses souvenirs et dans ceux de ses proches, alors elle raconte ses batailles de moineau face au rapace qui lui dévore les entrailles, ses victoires, ses déroutes, et son lien, fort et indélébile qui l'unit à son lutin.

Et là je vous entends dire : « ce livre n'est pas pour moi ! Trop triste, », « Mais bordel, même chez Dickens, ça ne passerait pas ! » Je n'ai pas envie que mon petit coeur de lectrice saigne trop fort, je n'ai pas envie de pleurer sur mon bouquin. On ne va pas se mentir, on se dit tout, n'est-ce pas ? le coeur qui se serre tu vas l'avoir, le roman n'est pas tout à fait une promenade de santé (tu auras noté le ridicule de cette expression ?) On parle quand même d'une jeune femme amoureuse, mère de 2 enfants qui livre une guerre sans merci à son propre corps. Je ne vais pas te dire que tu vas rire aux éclats, mais tu vas sourire, c'est certain. Théo est un homme fait pour la vie, prêt à déplacer des montagnes, paré pour remporter les joutes verbales avec le docteur House qui ne veut pas prononcer les mots magiques qui déclenchent l'espoir. Il est l'homme qui crée des univers qui n'appartiennent qu'à eux, des blagues limites qui ne font rire qu'eux. Il organise, il gère, il est dans l'action permanente, il essaie d'être efficace entre l'hôpital, les deux enfants, la famille et les amis à informer « maladie très grave, cancer, ne pas compter sur une guérison, avancer étape par étape, accouchement prématuré, commencer la chimio; se préparer au pire, tous ensemble. »

Même si certains passages sont éprouvants tant ils permettent de visualiser le drame qui se joue, ce roman est avant tout une ode à la vie. La force des émotions positives, l'amour bien sûr, mais aussi le courage, l'espoir, l'amitié, le respect prennent largement le pas sur le cataclysme annoncé. Il n'y a pas de jérémiades, pas pathos exacerbé, pas de descriptions « hollywoodiennes » destinées à vous arracher des larmes de force. Il y a la transmission d'une urgence de vivre, de ces petits riens qui font le sel de la vie, et surtout, ce qui m'a énormément touchée le respect de l'autre et de ses choix.

Le témoignage de Sarah, ultime geste d'amour envers Théo doit lui permettre de retourner à sa vie en le libérant de son souvenir. Leur histoire baignée par le cinéma, la musique, la jeunesse et deux beaux enfants s'arrête là. « ce que tout le monde veut, dans la vie, c'est laisser une trace, non ? Résister à l'oubli éternel ? Eh bien le scoop, mes amis, le truc pas croyable que je vais vous annoncer ici, dans ces pages et même dès la première, c'est que le but ultime de tout le monde, dans la mort, c'est exactement l'inverse : se faire oublier des vivants. Couper le cordon une bonne fois avec l'avant pour, enfin, accéder à cette absolue félicité, ce repos parfait des sens et de l'esprit dont on nous rebat les oreilles depuis les siècles des siècles. »

C'est ici le premier roman de Thibault Bérard, né en 1980. Il a donc 39 ans. Il a quelques années de plus que Théo au début du livre. Vous me suivez ? Je me dis que pour écrire au roman aussi juste, il faut avoir vécu certains drames… Cette seule pensée m'oppresse quand j'imagine que certaines personnes sont condamnées à plonger dans cet abîme. Alors j'ai une pensée, pour cette jeune femme belle et courageuse, qui la semaine dernière a vu l'enfer s'ouvrir sous ses pieds. Elle aussi est enceinte. Elle aussi a déjà un petit garçon. Elle n'a que 32 ans… Planquée derrière mon écran, j'espère qu'elle lira ce post, et peut-être ce livre. Qu'elle y trouvera du courage, des rires, de l'espoir, l'envie et la force de se battre juste pour contrarier cette prédiction imbécile « il est juste que les forts soient frappés. »

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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