Je ne lis que très rarement des biographies, mais celle-ci, parce qu'elle était signée Berberova, justement, m'interpelait. On y apprend bien sûr quelque chose sur le compositeur, membre du Groupe des Cinq (que l'on devrait plutôt traduire par « puissant petit groupe », épithète apposée par Vladimir Stassov), mais qui a aussi pratiqué la médecine, la chimie, la traduction et s'est démené corps et âmes pour fonder une école de médecine pour les femmes - et ce, rappelons-le, en plein 19e siècle. (L'école a ouvert ses portes en 1872.) Il faut bien admettre que la grande force de ce petit roman réside dans le style si particulier de Berberova, qui propose un portraits par petites touches, suggéré plutôt qu'imposé, qui s'attarde sur les émotions plutôt que certains événements.
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Ce livre, je l'ai écrit dans les années 1936-1937, après avoir achevé ma biographie de Tchaïkovski. Cette fois, je n'avais pas les mêmes facilités: dans mon entourage il n'y avait plus personne de vivant qui ait connu Borodine. Il m'a fallu me contenter de documents: lettres, mémoires, journaux, articles publiés entre 1928 et 1934 dans les volumes de la collection Academia ou dans d'autres ouvrages consacrés au groupe des "Cinq", pris ensemble ou séparément. Rien n'a été inventé par moi. Tout a été glané dans les pages de ces précieux volumes. La collection Académia a disparu en 1937, absorbée par la Maison des Editions de l'Etat, et ses créateurs ont été réduits au silence. Les savants qui collaboraient à Académia furent dispersés. Petit à petit, certains furent liquidés.
Le jour où ils s'étaient retrouvés tous les quatre chez Testov : Borodine, Balakirev, Tchaïkovsi et Taneïev [tous compositeurs], il avait entendu les autres parler en professionnels, et pour cause, leur portefeuille dépendait de leur inspiration. Il [Borodine] se sentait parmi eux comme un invité. Mais avec Mendeleïev et Menchoutkhine [chimistes] ce n'était pas différent. Même si ni les uns ni les autres ne s'en doutaient, il le sentait, lui, et cette impression ne pouvait s’effacer.
Ces soirées apportaient à Borodine l’excitation et le bonheur indispensables à son âme, qui en sortait bouleversée. Il rentrait chez lui comme ivre, s’asseyait devant le piano et ne bougeait plus. Dix heures d’affilée, il jouait, réfléchissait, se rappelait.
Attiré par l’art, il désirait la connaissance, une vie pleine dont il était lui-même une parcelle, pleine et belle.
Nina BERBEROVA – Documentaire ultime (France 3, 1992)
Un documentaire en deux parties, intitulées "Le passeport rouge" et "Allègement du destin", réalisé par Dominique Rabourdin. Présence : Jean-José Marchand et Marie-Armelle Deguy.