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EAN : 9791096562145
70 pages
RN Editions (16/10/2019)
4.5/5   3 notes
Résumé :
Initialement paru en 1933, cet opuscule du philosophe russe pose le problème de la technique, des points de vue métaphysique et sociologique. Il y médite l'apparition de la machine, le développement de la technique et le bouleversement que représente cette révolution dans l'histoire humaine. Il alerte également sur les dangers que recèle cette nouvelle réalité pour l'individu et pour l'âme.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Dans la présentation de cette merveilleuse petite collection d'ouvrages Ars Longa Vita Brevis, l'éditeur R&N indique que les textes éditées dans celle-ci « veulent aller à l'essentiel, servir d'introduction à un thème, à l'oeuvre d'un auteur ou bien encore de fulgurance. » L'ouvrage de Nicolas Bediaeff, L'homme et la technique, s'inscrit pleinement dans cette lignée des courts écrits prophétiques où c'est bien à l'aune de la « fulgurance » que chaque phrase nous apparaît désormais, plus de 80 ans après sa publication originale en 1934. Alliant le talent d'un visionnaire et l'intelligence d'un observateur finement aiguisé, Berdiaeff a perçu avec une extraordinaire acuité l'essentiel des conséquences que le « machinisme » sauvage allait produire.

Berdiaeff est un existentialiste chrétien qui combine en lui-même l'héritage de Kierkegaard et l'intempestivité radicale de Dostoïevski — ce qui le rapproche de fait, comme le suggère Edouard Schaelchli dans sa formidable préface, de « [Charles] Péguy, malgré les traits qui, en lui, font penser à Joseph de Maistre ». Si l'écriture de Berdiaeff, se rapprocherait du premier par son admirable pureté, c'est pourtant bien sur l'oeuvre magistrale du second qu'elle épinglerait sa métaphysique chrétienne. Emplie du regard plein d'espérance que les orthodoxes portent envers l'iconostase — cette porte incarnant symboliquement la frontière du monde divin qui, en imprégnant de milles icônes son mur sacré, rappelle aux hommes ce besoin de communion — Berdiaeff ne propose rien de moins que de conjurer l'apocalypse fatale que le machinisme nous promet, en unifiant les chrétiens autour d'une commune volonté d'exhausser « l'âme humaine au-dessus de toutes les forces sociales et cosmiques qui devront lui-être assujetties ». Ainsi, en ouverture de son ouvrage, Berdiaeff dresse une typologie des différents rapports que les chrétiens russes ont eu avec la Technique : une immense majorité considère encore celle-ci comme l'appendice de l'homme — règne de l'outil fabriqué — elle est avant tout la stricte « affaire des ingénieurs ». La seconde appréhension chrétienne de la technique voit en elle « le triomphe de l'Antéchrist, la Bête monter de l'abîme ». D'un côté l'ignorance du problème, de l'autre la crainte démesurée — dans les deux cas, une préclusion paresseuse qui ignore tout à fait la singularité de la technique moderne. Si Berdiaeff voit dans la seconde option, teintée certes d'un « abus de l'Apocalypse [qui est] plus particulier à l'orthodoxie russe », elle conserve en elle ce principe de la tribulation qui, par sa nature symbolique même, est tout à la fois rempart et promontoire duquel les hommes doivent se hisser pour conjurer le désastre de la civilisation des machines. Berdiaeff se propose à travers cet opuscule, d'explorer à rebours des fantasmes démesurés et du dédain ambiant, cette « monstrueuse perversion, [au sein de laquelle l'homme] devient à nouveau esclave de ce qu'il élabore, esclave de cette machine que la société est devenue et laquelle lui-même dégénère insensiblement ».



D'une lucidité confondante, Berdiaeff démontre avec une clairvoyance remarquable que le propre de l'époque moderne réside dans une transmutation du sens de la Technique — qu'il définie comme « la façon d'obtenir un résultat au prix du moindre effort » — qui serait réévaluée par une transposition du domaine de la Finalité dans le coeur même des machines. Dépourvues jusque dans leur trognon infertile de toute téléologie autre que fonctionnelle, l'ordre des machines est celui de la production, de la construction, mais en aucun cas celui de l'édification : « par sa nature même l'outil technique est hétérogène tant à celui qui s'en sert qu'à ce à quoi il sert : il est hétérogène à l'homme, à l'esprit et au sens ». le propre de la civilisation moderne réside pour Berdiaeff dans cette distinction de plus en plus floue qui s'installerait non pas entre les machines et les hommes, mais entre le fonctionnement des machines et celui des hommes. Par une ruse diabolique, la machine instiguerait subrepticement dans l'esprit des hommes que c'est bien à l'incandescente sécheresse de son efficacité que l'homme doit désormais chauffer son esprit moribond. La machine, incapable de dominer spirituellement les hommes, aurait ironiquement centré sa stratégie fatale sur la matérialisation effective et matérielle des miracles jusqu'alors seulement espérés par l'homme — les hommes en serait comme fascinés et, partant de là, commenceraient non pas à cultiver leur propre singularité mais à mimer l'efficacité prodigieuse des machines. Berdiaeff en dénote les premiers symptômes dès la première page de son livre : « la seule foi que l'homme de la civilisation moderne conserve est celle dont il entoure la technique, sa puissance et son progrès infini […] La technique représente le dernier amour de l'homme qui est tout prête, sous l'influence de cet amour, à modifier sa propre image » Une froide guerre intérieure s'installe, entre des machines décapitées de toute symbolique mais diaboliquement performantes et des hommes irrémédiablement empâtés. Ayant échangé leurs anciennes foi humanistes et chrétiennes contre une once métallique d'espérance, l'homme en serait fatalement venu à placer dans la Technique sa dernière chambre des miracles. Cette permutation qui intervertirait une foi gratuite, religieuse et métaphysique, avec une foi commerçante et matérielle qui aurait pour assise première la Technique et ses « miracles » n'est pas innocente. Car la technique, loin d'être uniquement une matérialisation du songes des hommes, selon l'expression d'Hannah Arendt, est avant tout, comme le dira Heidegger « une certaine manière que l'homme a de se tenir dans le monde, de se rapporter à tout ce qui l'entoure, de se représenter le réel, de considérer les choses, de les dévoiler »[1].

La suite de la critique ici : https://lavieencube.com/2022/01/18/autopsie-desastre-technique-berdiaeff/
Lien : https://lavieencube.com/2022..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Notre thèse repose sur la distinction entre l'organisme et l'organisation. L'organisme naît de la vie cosmique et il engendre à son tour ; qui dit naissance dit organisme. L'organisation, par contre, ne naît pas et elle n'engendre pas, elle résultre de l'activité de l'homme. Elle est créée mais elle ne constitue pas une forme suprême de création. L'organisme n'est pas un agrégat comme le mécanisme, il ne se compose pas comme lui d'éléments, il est intégral. En lui le tout est présent dans chacune des parties et il les précèdes toutes. L'organisme diffère du mécanisme en ce qu'il croît et se développe. Il y a en lui conformité au but qui lui est inhérente ; elle lui est donnée par le Créateur ou la nature et elle déterminée par la prédominance du tout sur les parties. L'organisation a une tout autre conformité au but, qui lui est est insérée du dehors par l'organisateur. Le mécanisme est composé en vue d'une fin déterminée, mais il ne naît pas avec une finalité inhérente. Une mécanisme d'horloge, par exemple, fonctionne en parfaite conformité avec le résultat à atteindre, mais cet accord dépend de celui qui l'a créé et remonté. Tout mécanisme possède une force d'intertie qui peut agir sur l'organisateur et même l'assujettit.
(...)
La nouvelle réalité de la nature, que nous découvre la technique contemporaine, n'est nullement un produit de l'évolution [des espèces biologiques], elle est le résultat de l'ingéniosité et de l'activité créatrice de l'homme lui-même, résultat non pas d'un processus organique, mais d'un processus organisateur. Voilà en quoi réside le sens et la portée de toute l'époque technique. La domination de la technique marque avant tout le passage de la vie organique à la vie organisée, le passage de la vie végétale à la constructive.
Du point de vue de la vie organique, la technique correspond à une désincarnation, à une rupture s'effectuant à l'intérieur des corps historiques, à une scission entre la chair et l'esprit. La technique crée un ordre nouveau, elle suscite désormais des corps organisés. Et la nouvelle réalité qui surgit est une création de l'homme, elle résulte de l'irruption de l'esprit dans la nature et de l'insertion de la raison dans les processus cosmiques.
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Des individus blessés par la machine affirment volontiers que celle-ci dénature l'homme, que c'est elle la grande coupable. Une telle conception n'est pas compatible avec la dignité humaine. Ce n'est pas la machine créée par l'homme qui responsable et c'est faire preuve de mauvaise foi que de rejeter sur elle tous les torts. C'est à l'homme qu'il faut s'en prendre de la terrible hégémonie du machinisme, il a lui-même désagrégé son âme. Le problème doit être transposé de l'extérieur à l'intérieur. Le monde se déshumanise et la machine n'est qu'une projection de ce processus. Nous observons, par exemple, une déshumanisation de la science dans la physique moderne qui étudie des rayons invisibles et des sons imperceptibles, nous entraînant, par ses prodigieuses découvertes, au-delà des limites habituelles de la lumière et du son. C'est ainsi qu'Einstein nous permet de franchir les limites traditionnelles du monde spatial. Les nouvelles découvertes de la physique ont un sens positif et ne sont en rien responsables, elles témoignent au contraire du pouvoir de la connaissance humaine. La déshumanisation est un état de l'esprit humain, elle correspond à son attitude à l'égard de l'homme et de l'univers. Tout nous ramène au problème religieux et philosophique de l'homme.
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L'humanisme européen crut aux principes éternels de la nature humaine. Cette foi lui avait été transmise par le monde gréco-romain. Le christianisme croit que l'homme est la création de Dieu, qu'il porte en lui son image, qu'il est racheté par le Fils de Dieu. Ces deux croyances fortifiaient en l'homme la notion de son universalité. Aujourd'hui cette foi a fléchi. Le monde ne se contente pas de se déchristianiser, mais il se déshumanise aussi. C'est là toute la gravité du problème que soulève la puissance monstrueuse de la technique.
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Bientôt de paisibles savants pourront opérer des bouleversements non seulement d'ordre historique, mais aussi d'ordre cosmique. Une poignée d'hommes, ayant en sa possession le secret des inventions techniques, tiendra en mains le sort de toute l'humanité.
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La culture était pleine de symboles, les images du ciel y apparaissaient sous des formes terrestres, les signes d'un autre monde se reflétaient dans celui-ci. Mais la technique, elle, reste étrangère aux symboles, elle est réaliste, elle ne reflète rien, elle crée une nouvelle réalité, tout en elle est présent. Elle soustrait l'homme aussi bien à la nature qu'à l'au-delà.
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Vidéo de Nicolas Berdiaeff
« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père », déclare le Christ dans l'évangile de Jean. Si les différentes Églises chrétiennes ont fondé des traditions dissemblables, leur dessein est cependant de s'unir en Dieu.
Retraçant l'aventure oecuménique à travers ses grandes figures, dates et étapes, Antoine Arjakovsky montre comment, par-delà la réunion des baptisés, elle permet d'envisager et d'appréhender la nécessaire convergence entre les croyants du monde entier. Prenant appui sur Nicolas Berdiaev, John Milbank, mais aussi Emmanuel Levinas ou Abdennour Bidar, reprenant l'esprit de rapprochement entre les Églises chrétiennes initié en Europe au XXe siècle et de la rencontre interconfessionnelle d'Assise en 1986, il dessine une voie de conciliation entre chrétiens, juifs, musulmans mais aussi hindouistes et bouddhistes, afin de dégager une conception de l'oecuménisme plus juste, plus vraie, plus paisible et plus respectueuse de l'environnement à l'échelle planétaire. Il y parvient en proposant une science nouvelle fondée sur une métaphysique résolument oecuménique.
Une profession de foi en l'espérance.
Fondateur en 2004 à Lviv, en Ukraine, du premier Institut d'études oecuméniques en ex-URSS, directeur de recherche au Collège des Bernardins, enseignant de science oecuménique à l'Institut chrétiens d'Orient et président de l'Association des philosophes chrétiens, Antoine Arjakovsky est l'auteur, entre autres, de Qu'est-ce que l'orthodoxie ?
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