Tu connais cette blague juive ? Un homme demande à un autre : "Comment ça va ?" L'autre lui répond : "En deux mots ou en trois ?" "Comme tu veux." Alors l'autre dit : "En deux mots : ça va. En trois mots : ça va pas." C'est drôle, non, cette blague ?
Avec un ami il faut tout se raconter le premier soir, dans sa vérité nue, dans son humiliante lumière, pour dire voilà qui je suis, voilà qui tu es, je ne te jugerai jamais, tu ne me jugeras jamais, je t'aime, je prends tout, pour toujours, maintenant commandons un autre verre. L'amitié prend l'autre en charge dans son absolue et sordide entièreté, comme les mères, elle prend en charge le quotidien et l'exceptionnel au coude à coude sans autre transition qu'une reprise de souffle, les amis sont prêts à tout traiter, à vie, la mort, c'est d'accord. Le véritable ami que l'on rencontre ressemble à une déflagration.
On peut couper le souffle, couper court, un brouillard au couteau, les ponts, la chique, le sifflet, les cheveux en quatre, à travers champs, l'herbe sous le pied. Mais on ne coupe pas le coeur, on le brise.
Les couples peuvent être lâches, chaque membre préférant attendre que l'autre déclenche les hostilités, pour ne pas être l'instigateur de la brisure du calme.
Dire que l'on va bien en toutes circonstances, ce n'est pas de l'hypocrisie, ce serait plutôt de la pudeur.
Je suis seule dans une chambre. Depuis combien de temps suis-je là ? Je ne suis plus angoisée, je ne suis plus triste, je ne m'appartiens plus, le monde m'indiffère.
Qu’est-ce qu’être une femme de trente ans aujourd’hui?
Je crois maintenant que nous nous aimions en miroir, nous n'avions pas effacé nos prétentions individuelles au profit de notre amour. L'abandon de soi, celui qui transfigure, je ne l'ai pas trouvé avec lui.
C'est donc cela, la trentaine. Une fêlure sans éclair, un empoisonnement discret, un meurtre sans préméditation? Je m'aperçois que certains mecs d'un soir sont plus jeunes que moi, à présent. Le sexe est plus disponible, l'amour devient fuyant.
Il y a le réfectoire, il y a les chambres, il y a le couloir, il y a la terrasse sur laquelle les gens fument. Tout le monde fume, méthodiquement. On m'a laissé le livre que j'avais dans mon sac en arrivant ici. Mais c'est où ici ? Je fais la queue quatre fois dans la journée pour prendre des médicaments, et cela me rassure. L'ennui n'existe pas, parce qu'il n'y a plus de temps.