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Critique de Cancie


Une carte postale glissée au milieu des traditionnelles cartes de voeux arrive dans la boîte aux lettres de Lélia, mère d'Anne Berest, le lundi 6 janvier 2003. Représentant l'opéra Garnier dans les années 90, la carte anonyme comporte seulement l'adresse de la destinataire et quatre prénoms inscrits d'une écriture maladroite les uns en dessous des autres : Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques. Ce sont les prénoms des grands-parents de Lélia, de sa tante et de son oncle. Tous étaient morts à Auschwitz en 1942 et ressurgissaient ainsi soixante et un an plus tard.
Après s'être interrogés sur l'origine de la carte, les parents d'Anne la rangent dans un tiroir.
Si ces gens étaient ses aïeux, l'auteure, 24 ans à cette date-là, ne connaissait rien d'eux. Occupée par une vie à vivre et d'autres histoires à écrire, elle efface de sa mémoire le souvenir de cette carte postale, tout en se promettant d'interroger plus tard sa mère sur l'histoire de leur famille.
Une quinzaine d'années plus tard, mère à son tour, une phrase de sa fille Clara « Parce qu'on n'aime pas trop les Juifs à l'école » va perturber Anne Berest et sera l'élément déclencheur de l'enquête minutieuse qu'elle va livrer pour retrouver l'auteur de cette carte postale.
C'est avec sa mère qui connaît parfaitement l'histoire de la famille, qui a fait des recherches pendant vingt-cinq ans, qui a donc déjà accumulé une immense documentation et avec l'aide des brouillons de lettres de sa grand-mère ainsi que le début de roman de la soeur de sa grand-mère, Noémie, que l'auteure va, d'une part retracer le destin de cette famille juive mi-russe, mi-polonaise, les Rabinovitch sur quasiment un siècle, depuis 1919 jusqu'à nos jours et d'autre part, en parallèle, écrire le récit de l'enquête.
C'est donc en 1919, pour échapper à la police bolchevique que les Rabinovitch, Ephraïm et Emma quittent en pleine nuit Moscou pour atteindre clandestinement la frontière avec leur nourrisson dans une carriole branlante et s'installer en Lettonie. le nourrisson n'est autre que la grand-mère d'Anne : Myriam qui, en 1923, aura une petite soeur Noémie.
Ils ne pourront rester à Riga, devenant par leur réussite persona non grata. Ils partent alors pour la Palestine où sont déjà établis les parents d'Ephraïm. Ce dernier est engagé à Haïfa dans une entreprise d'électricité mais comprend qu'il ne pourra jamais réaliser ses projets. Naîtra en 1925 Itzhaak surnommé Jacques.
Ils y resteront cependant cinq ans avant d'embarquer pour la France, « ce pays qui a toujours été bon avec eux » et d'emménager à Paris, convaincus que la France est leur salut. Les années passent et les filles font un parcours scolaire remarquable. Mais la guerre est là et des cinq membres de la famille, seule Myriam l'aînée survivra, échappant à la déportation. Elle s'était mariée au début de la guerre avec Vicente, fils du peintre Francis Picabia et Gabriële Buffet.
À noter qu'Anne Berest et sa soeur cadette Claire, ont écrit un livre biographique, Gabriële, sur leur arrière-grand-mère paternelle.
Anne Berest, avec des chapitres courts et un style simple presque journalistique parfois, réussit de façon très émouvante à nous replonger dans ce passé antisémite que l'on voudrait voir définitivement révolu. Que d'errances pour cette famille qui, pourtant n'a qu'un seul souci, s'intégrer là où elle arrive. Ephraïm demandera d'ailleurs sa naturalisation qui, après de longs mois finira par lui être refusée. Une phrase résume bien cette quête de simple bonheur « Mais Ephraïm, l'ingénieur, le progressiste, le cosmopolite, a oublié que celui qui vient d'ailleurs restera pour toujours celui qui vient d'ailleurs. La terrible erreur que commet Ephraïm, c'est de croire qu'il peut installer son bonheur quelque part ». Ce déplacement, cet exil et cette sensation de chercher sa place quelque part tout en se demandant si on va finir par la trouver revêt quasiment un caractère universel tant elle peut s'adresser à chacun de nous.
Mais ce qui à mon sens fait l'originalité de ce livre, somme toute pas vraiment un chef-d'oeuvre de littérature, est de l'avoir écrit sous forme de thriller tragique. Jusqu'à la dernière ligne, il est impossible de savoir qui a rédigé cette carte postale et on ne peut que louer son expéditeur pour l'avoir envoyée puisqu'il a permis à l'auteure de retracer avec maints détails le destin romanesque de ses ancêtres, ses recherches ayant été aussi l'occasion d'une quête initiatique sur la signification du mot « Juif » dans une vie laïque : Qu'est-ce qu'être juif ?
Ce récit familial sidérant, marqué par la Shoah et qui a obtenu le prix Renaudot des lycéens 2021, pose en outre la question de savoir si certains traumatismes graves subis ne seraient pas véhiculés ensuite dans les gènes des descendants et transmis chez les générations suivantes ?
Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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