"On va faire un tour Bento?" propose
John Berger (écrivain, peintre scénariste et critique d'art anglais du XX° siècle), sur un ton familier, à Bento (Baruch
Spinoza) philosophe hollandais du XVII° siècle.
Cette moto, enfourchée au jour le jour, par
John Berger, "se pilote" comme un "télescope" (dixit l'auteur) celui dont
Spinoza polissait les lentilles, "réduit la distance" et permet d'éprouver des sensations de vitesse.
C'est le rapport au temps (entre autres) que l'auteur étudie dans
le carnet de Bento en imaginant qu'il a retrouvé le fameux carnet d'esquisses du philosophe avec lequel il dialogue.
Dans
le carnet de Bento j'ai vu un dialogue(esthétique,politique,philosophique..) à trois: les croquis (fort expressifs) de
John Berger à la manière de ..(modernisée),des observations de l'auteur (notamment lors de visites dans des musées d'art) et des citations de
Spinoza extraites de
L'éthique ou du
Traité de la réforme de l'entendement.
John Berger, par un effort d'empathie, porte les lunettes de
Spinoza pour mieux capter sa pensée.Qu'aurait-il observé? Qu'en aurait-il conclu?Le rapport au temps c'est aussi l'homme vieillissant alors que l'oeuvre est éternelle(picturale,littéraire,musicale..). Les rapports de l'âme par rapport au corps sont également mis en valeur. Un geste,un mouvement,une expression trahissent la pensée,dévoilent l'âme.
La raison rentre en jeu pour nous laisser percevoir la mort à travers une rigidité cadavérique et non le sommeil.
Le rapport à Dieu (ex: la Nature à la "perfection suprême", la "puissance de Dieu" dont dépendent les choses) est également cerné.
Après lecture, on comprend des bribes du message délivré par
Spinoza: libérateur vis à vis des servitudes,porteur de joie grâce à la béatitude, reconnaissance de Dieu dans la Nature, spécificité de l'être,existence de l'âme..
C'est sur le mode intuitif que navigue
John Berger qui s'interroge aussi sur les tenants et les aboutissants d'un dessin: "rendre visible quelque chose et accompagner l'invisible vers sa destination indéchiffrable". J'avoue ne pas avoir tout saisi, cet essai s'adressant à des disciples de
Spinoza, car j'aurais plutôt vu dans la peinture un décryptage de l'invisible (j'ai d'ailleurs apprécié la fragilité des pétales captant l'instant d'éternité ou la tige mourante semblant assoiffée). A moins que l'indéchiffrable ne soit l'éternité? le divin? Bon,passons.. de plus j'aurais préféré un véritable dialogue entre les mots de
Spinoza et les dessins (sans texte) de
John Berger ou juste de brèves explications (du genre:je peins le portrait d'une disciple de
Spinoza, je peins La crucifixion d'Antenello..avec deux mots sur le comment du pourquoi) pour laisser plus de place au vrai Bento.
La couverture,à elle seule, superbe, incite à pousser la porte mais qu'y trouve-t-on vraiment? Bento ou Berger?
Le carnet de Bento est un livre ardu qu'il faut sans doute approfondir après un premier survol!