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Carl Gustaf Bjurström (Traducteur)Lucie Albertini (Traducteur)
EAN : 9782070383382
380 pages
Gallimard (31/03/2001)
3.99/5   57 notes
Résumé :
Lorsque Bergman jette, comme ici, un regard sur sa vie, c'est un homme profondément marqué par une éducation rigide et par une imagination débordante qui parle. Mais c'est surtout un homme de spectacle à la fois directeur de théâtre et réalisateur de films, il a vécu dans la fièvre, entre moments de grâce et échecs. Il s'exprime sans complaisance dans ses jugements, qu'il s'agisse d'inconnus, de vedettes - telles que Laurence Olivier, Greta Garbo ou Herbert von Kara... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Même si les premiers mots du livre sont « Quand je suis né... », ce livre n'est pas une autobiographie, plutôt un livre de souvenirs sans ordre chronologique, égrenés en suivant les tortueux méandres de la mémoire. Sont évoqués l'enfance et l'âge adulte, la vie privée et professionnelle, sans recherche d'exhaustivité mais plutôt dans l'esprit de tirer un lien, de dérouler le fil d'une vie qui, de la naissance au moment où il écrit, a fait l'homme qu'il est, et donc à travers ces mots de comprendre qui il est.

Une large part est faite à l'enfance, ce qui n'est en rien surprenant puisqu'elle a été si traumatisante, qu'en elle se trouvent les clés de ses névroses d'adulte. Elle a commencé par la mort qui l'a frôlé de très près dans les premiers mois de sa vie, cette mort qui sera si souvent présente dans son oeuvre. Puis dans cette famille dont le père est pasteur, il reçut cette éducation luthérienne extrêmement stricte, qui s'apparentait plus à du dressage et s'appuyait sur des concepts de péchés, d'aveu des fautes, de punitions humiliantes, de pardon et de grâce. Il faut dire que la vie de pasteur était difficile. Elle devait être un exemple pour la communauté. Leur maison était ouverte à tous et ils vivaient en permanence sous des regards qui les jugeaient. Ses parents ne s'entendaient pas mais sauvegardaient les apparences.Ils s'imposaient une autodiscipline implacable et attendaient la même chose de leurs enfants chez qui ils combattaient ce qu'ils détestaient en eux-mêmes. La liberté n'existait pas. Quant à l'école qu'il détestait, elle était une institution fondée sur une alliance entre familles et autorités. La méthode consistait à alterner punitions et récompenses en implantant la mauvaise conscience dans les jeunes esprits.

Trois enfants, trois réactions différentes : le frère aîné s'installera dans une révolte permanente que le père s'emploiera à briser, la jeune soeur plus douce, adorée par les parents s'effacera et sombrera dans l'anxiété. Quant à Ingmar, il se sauvera par le mensonge. Il jouera un personnage qui avait peu à voir avec son moi profond. Comme il avait du mal à différencier sa personne de sa création, les dommages qui en découlèrent influencèrent sa vie privée et sa créativité. Réfugié dans son imaginaire, il se construisait des fables qu'il n'arrivait plus à distinguer de la réalité. C'est sur ce terreau fertile que s'est développé son goût pour le cinéma et le théâtre.

Le premier film qu'il voit est une révélation.
"C'est alors que pour moi tout a commencé. J'ai attrapé une fièvre qui dure encore. Les ombres silencieuses tournent leurs pâles visages vers moi, de leurs voix inaudibles elles parlent à mes sentiments les plus secrets. Soixante ans ont passé, rien n'a changé, c'est toujours la même fièvre."
Le cinéma devient une obsession. Pour le punir, on l'enfermait parfois dans une obscure penderie. Il projetait alors sur le mur la lumière d'une lampe de poche qu'il avait cachée là pour conjurer sa peur, s'imaginant au cinéma. Lors d'un Noël, il reçut un cinématographe, ce fût pour lui un enchantement. Enfant sensible et solitaire, il aimait aussi jouer avec le théâtre de poupées de sa soeur, sans aucun désir de compagnie.
Sa passion pour le théâtre et le cinéma l'a aidé à fuir une vie familiale destructrice. C'était un refuge mais aussi un moyen de ne plus seulement subir l'autorité des adultes mais de décider à son tour.
"Mon jeu faisait de moi le maître de la scène, mon imagination la peuplait."
C'était même un moyen de prendre de la distance avec sa vie familiale pour ne pas s'y dissoudre, cette vie qu'il voyait comme une pièce de théâtre dont il était acteur et spectateur, où chacun jouait le rôle qui lui avait été attribué sans penser à le remettre en question.

Bergman portait en lui un perpétuel tumulte. L'anxiété, héritée de ses parents et de leur culpabilisante éducation, est au coeur même de son identité. Mettre en scène, se mettre en scène était une nécessité pour la dominer, une question de survie. Ses ennuis avec le fisc, par exemple, provoquérent en lui une réaction névrotique très forte. Accusé tout en se sentant innocent, au lieu de se défendre, il éprouva le besoin d'être puni pour être vite délivré et pardonné. Hospitalisé car gravement déprimé, sous l'effet des traitements, il découvrit une sérénité factice qui fit disparaître sa souffrance et son angoisse mais aussi sa créativité et sa force motrice. Pour se passer des médicaments, il s'imposa alors un programme strict, il mettait sa vie en scène, la planifiait, découpait son temps en plages horaires soigneusement respectées. L'imprévu l'angoissait d'où un besoin permanent de maîtriser, d'organiser sa vie.

C'est dans l'écriture et le travail calme et ordonné qu'il trouvait un peu de paix. Bien qu'autodidacte, il avait une solide confiance en son talent. C'est le pilier qui étayait les ruines branlantes de son âme. Mais il n'a pas cherché à faire de son propre chaos une histoire, il ne participait pas au drame, il le traduisait, il le matérialisait. Ses propres complications ne devaient pas apparaître directement dans son oeuvre, elles ne pouvaient être qu'une clé pour ouvrir le secret des textes.

Homme de théâtre avant d'être cinéaste, c'est là qu'il a appris le travail précis où chaque geste est pesé, étudié, répété. Pour lui, chaque comédien devait avoir un territoire soigneusement délimité, tout comme devait être prévu le rythme et à partir de là, il pouvait créer et laisser place à son imagination. "La véritable liberté dépend des desseins qu'on a organisés en commun, des rythmes dont on s'est soigneusement pénétrés. le théâtre est l'art de la répétition. Seul peut improviser celui qui s'est bien préparé."

Faire des films était presque une évidence pour Bergman. Son mode de pensée était cinématographique. Ses souvenirs étaient comme autant de petits bouts de films.
" Il existe un projecteur en moi qui fait interminablement passer et repasser dans mon âme des images avec leurs bruits, leurs éclairages, ces images défilent avec toujours la même clarté objective dans une boucle sans fin. Il n'y a que notre propre connaissance pour se déplacer continuellement, impitoyablement et pénétrer toujours plus profondément en direction de la vérité. "

Au cinéma il appliquait la même méthode qu'au théâtre : pas d'improvisation, des semaines de travail ardu et de discipline qui soudain prennaient sens dans de brefs instants où l'inattendu surgit de façon magique.
" Faire un film, c'est pour moi planifier une illusion dans les moindres détails, c'est le reflet d'une réalité qui, au fur et à mesure que s'écoule ma vie, me paraît elle-même de plus en plus illusoire. le film quand il n'est pas un documentaire ,est un rêve...Le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme. "
Magie des images qui s'enchaînent pour restituer le mouvement, la vie.

En écrivant ce livre, il ne reconnaît pas la personne qu'il était quarante ans plus tôt. Masqué, barricadé, mordant comme un chien s'il se sentait attaqué, n'aimant personne, torturé par le désir, la peur, la mauvaise conscience, possédé par une sexualité effrénée...Comment aurait-il pu aimer quand il se détestait lui-même ? Enfant, sa mère repoussait les élans affectueux du petit garçon qu'elle jugeait malsains. Adolescent, il découvrit la sexualité dans la culpabilité la plus totale et une grande solitude.
" Mon horreur de moi et du simple fait de vivre m'étouffait, le plus étrange, c'est que je n'ai jamais remis en question ma misérable vie, je croyais que cela devait être ainsi. "
Rien de surprenant à ce que sa vie amoureuse soit à l'image de son désordre intérieur. Son affectivité était enfermée à double tour dans une chambre close. Ses sens enregistraient la réalité mais il n'éprouvait pas de sentiments. Les relations trop intenses lui feront toujours peur, trop souvent la curiosité pour la nouveauté se transformera en anxiété. Il préférera toujours la grisaille du quotidien, le calme austère de l'île de Farö à l'exaltation et au changement.

Avec l'âge se tarit l'inspiration et disparaît l'énergie que demande la réalisation d'un film.
"Une mise en scène plonge profondément ses racines à travers le temps et les rêves, dans un lieu particulier de notre âme. Elles reposent, elles mûrissent. Certaines se manifestent, d'autres pas, puis le stock se vide."
L'âge avançant, il apprécia de mener une vie agréable, délivrée de ses déchirants conflits,de voir défiler des journées où ils ne se passaient rien. Une seule passion resta intacte, regarder des films. Soixante ans ont passé, l'excitation est restée la même. "Les ombres bougent, tournent vers lui leurs visages, lui demande d'être attentif à leurs destins."

Sa grande souffrance restera sa vie familiale et ses zones d'ombre. Questions qu'il n'en finit pas de se poser et auxquelles il essaiera de répondre dans le dernier chapitre du livre en s'adressant à sa mère disparue dans une imaginaire rencontre.

" Au lieu de visages, nous a-t-on donné des masques à porter, au lieu de sentiments nous a -t-on inculqué l'hystérie, au lieu de tendresse et de pardon, nous a-t-on abreuvé de honte et de culpabilité? Pourquoi derrière cette façade du prestige social avons nous vécu une aussi effroyable misère? Pourquoi ai-je été incapable de nouer des relations humaines normales?"

Souffrance d'un homme qui tant bien que mal s'est trouvé une réponse: "Ma famille était composée d'êtres de bonne volonté qui ployaient sous un héritage catastrophique d'exigences trop hautes, de mauvaise conscience de culpabilité."

Sa mère aura les derniers mots du livre, extraits de son journal: "Il faudra sans doute se débrouiller tout seul, comme on pourra."



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L'homme est seul, il fait face à la mer. La plage est de galet et le ciel a le ventre plein de lumières absentes. L'homme est seul, il joue avec la Mort. Il joue aussi sérieusement qu'un enfant lorsqu'il vous parle de ces monstres qui murmurent aux fenêtres du soir. Une femme, une lampe, un tapis en écriture de losanges, des draps teintent l'aplat d'une prairie. La montre est posée sur le bois. Carillon de l'enfance sur le manège de la mémoire. Lanterna magica . La vie est un théâtre d'ombres pour l'enfant qui n'a pas vu l'Amour. Oh ..on lui en a parlé, on l'en a prié, exhorté. On lui a fait réciter la litanie de ses psaumes, on lui a montrer un infini résonner sur son néant. Un autel de devoirs, de sacrifice, de renoncement. L'enfance de Bergman est la clé. La clé de tout ce que ses films, ses pièces, ses textes, et même ses mises en scène contiennent. Ingmar est Alexandre, et Alexandre vit en Ingmar. L'enfant est seul. Avec des émotions, des terreurs, des questions dont personne ne donnera jamais réponse. L'enfant grandi, l'homme se débat. Angoisse, les entrailles se tordent. Il est sur scène. Femmes, enfants, amour, amitié, comédie, silence, famille, hystérie. Il a appris de lui même et par lui même. Solitude. Il joue, recompose, monte, démonte, remonte. Comprendre, comprendre le sens. Alors trouver par le moment précis des absences les traces d'une présence.
Fidélité, attachement, honnête, filiation, folie, vérité, mensonges, un océan de doutes, un puits de questions. Il a écrit les dialogues, fait marcher ses personnages, déchirer les voiles, recouvert les visages, danser avec la lumière , interroger les ombres. L'enfant est seul tapi dans un placard, la lanterne magique pour seul ami, la lumière pour seule voie . C'est ce qu'il verra et non ce qu'il entendra qui lui donnera la clé pour s'enfuir vers la vie. Alors l'enfant tourne, et retourne en lui même. C'est la vérité de l'Amour, et la preuve de son existence par la lumière qui a fait tourner la lanterne magique de Bergman.
C'est un enfant qui crie et qui chuchote, c'est un enfant sur l'échiquier de la vie, c'est un enfant qui réclame et qui ne comprend ni dieu ni diable, et qui au soir de sa vie face à la mère demande par quel mensonge tous ces drames sont advenus. « Tout ce que je veux savoir , c'est pourquoi derrière cette fragile façade du prestige social nous avons vécu une effroyable misère ». Ingmar Bergman n'est pas inaccessible, il est extrêmement touchant. Il n'est en rien énigmatique, il suffit de voir ses images et on comprend. «  « Pourquoi ai-je vécu avec une blessure toujours infectée qui ne s'est jamais refermée et qui me transpercée tout entier ». Pas facile de se démener avec un corps, avec un coeur, lorsque l'âme ne cesse jamais de traverser le fleuve dont les tourments perpétuels annoncent les abysses d'une autre réalité. Tourmenté, en rien difficile. L'oeil de Bergman dans notre oeil est bien plus qu'un regard. « Car toi aussi tu tournes sur l'un de ces manèges
Oui, je t'ai reconnu tournoyant dans ta nuit
Oui, je t'ai reconnu sur ton cheval de neige
Les yeux fixes, les mains folles et le sourire détruit.
Les manèges tournent dans ma mémoire
Au quai du Nord,
Des soies, des velours et des moires... » , manèges, extrait, Juliette.
« Le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme. Une petite misère de notre nerf optique, un choc, vingt-quatre images lumineuses par seconde, entre ces images, le noir, mais notre nerf optique n'enregistre pas le noir. Lorsque je suis à la table de montage et que je passe le film, image après image, je ressens encore la vertigineuse magie de mon enfance : je suis dans la penderie, je tourne lentement la manivelle, l'une après l'autre, je fais passer les images, j'enregistre en moi même les imperceptibles changements, je tourne plus vite la manivelle et voilà un geste.
Qu'elles se taisent ou qu'elles parlent, ces ombres s'adressent directement à la chambre qui est en moi la plus secrète. » Ingmar Bergman.
Tourne la manivelle et la vérité cherra.

Lanterna Magica ,1987, traduit du suédois par C.G Bjurstrom et Lucie Albertini.

https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/laterna-magica-de-ingmar-bergman

Astrid Shriqui Garain
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Merveilleux livre de souvenirs ( plus auto-analyse qu'autobiographie, rien n'est chronologique, mais tout a une logique et tout est réfléchi..) .

Ingmar Bergman n'a, semble-t-il, jamais pu parler à sa mère. Dans le dernier chapitre, l'écoute de l'oratorio de Noël de Bach ( le choral avançait, confiant, dans l'espace de plus en plus sombre : la piété de Bach apaise la douleur que nous inflige notre impiété.) dans une église lui inspire une ultime rencontre imaginaire avec sa mère, morte longtemps auparavant , en rentrant dans le presbytère de l'église qui le retransporte dans son enfance . Il sait que ce n'est pas le bon moment..

"- Je sais que je dérange , que c'est le moment où mère désire être seule, je le sais. Avant le dîner, père se repose et mère lit ou écrit dans son journal, je viens de l'église où j'ai écouté l'oratorio de Noël de Bach, c'était tellement beau, la lumière était belle, je me suis dit tout le temps: aujourd'hui, je vais essayer encore une fois et cette fois ça va réussir."

Essayer de poser les questions qui le minent :Pourquoi a-t-on fait de mon frère un infirme? Pourquoi ma soeur a-t-elle été réduite à un cri? Pourquoi ai-je vécu avec une blessure toujours infectée qui ne s'est jamais refermée et qui me transperçait tout entier? ..Tout ce que je veux savoir, c'est pourquoi derrière cette fragile façade du prestige social nous avons vécu une aussi effroyable misère. .
Et sa mère lui répond qu'elle est si fatiguée..

Les réponses à ses pourquoi enfantins , il les donne lui-même: "Ce que je vois avec certitude , c'est que ma famille était composée d'êtres de bonne volonté qui ployaient sous un héritage catastrophique d'exigences trop hautes, de mauvaise conscience et de culpabilité."
Sa mère aussi, répond finalement , et cette réponse constitue les dernières phrases de ce livre tourmenté, et intelligent:
Dans son journal , le mois de la naissance de son fils Ernst Ingmar, elle écrit: "Je prie Dieu, sans confiance. Il faudra, sans doute, se débrouiller tout seul, comme on pourra."

Comme on pourra..
Et les trois enfants ont fait comme ils ont pu également, chacun à sa manière:
"Je crois être celui qui s'en est le mieux tiré, avec le moins de dégâts, en me faisant menteur. Je me suis créé un personnage qui avait fort peu à voir avec mon véritable moi. Comme je n'ai pas su séparer ma création et ma personne, les dommages qui en découlèrent eurent longtemps des conséquences à la fois sur ma vie d'adulte et sur ma créativité. Il m'arrive parfois de me consoler en me disant que celui qui a vécu dans le mensonge aime la vérité."

Laterna Magica est un livre touffu , à lire à petite allure sous peine de se perdre dans ce flot de souvenirs personnels et professionnels. Avec beaucoup, pour moi , de références inconnues surtout en matière de mise en scène de théâtre. Mais on ne s'ennuie à aucun instant tant l'écriture est brillante, le récit des échecs et des failles honnête :
"Je veux être embarrassant , irritant et difficile à situer.."

Mais aussi au sujet de son oeuvre:

"Dans sa vieillesse , Euripide , le bâtisseur de pièces, est exilé en Macédoine. Il écrit Les Bacchantes. Pierre après pierre, il assemble furieusement: les contradictions entrent en collision avec les contradictions, l'adoration avec le blasphème, la vie quotidienne avec le rituel. Il en a assez de faire la morale, il se rend compte que la partie avec les dieux est définitivement hors-jeu. Les commentateurs ont parlé de la fatigue du vieux poète. C'est le contraire. La lourde sculpture d'Euripide représente les hommes, les dieux et le monde pris dans un implacable et absurde mouvement sous un ciel vide.
Les Bacchantes témoigne du courage qu'il y a à briser les moules."

Brillant " briseur de moules", analyste fin et très souvent ironique de sa vie - et vie et travail sont chez lui totalement imbriqués-qui redevient un enfant totalement démuni quand rejaillissent les souvenirs et les mystères de malheurs jamais éclaircis, et bien d'autres choses encore , voilà tel que m'apparait après cette lecture Ingmar Bergman, un des rares cinéastes à m'avoir fait pleurer .

Le problème , avec les livres que j'aime, c'est que j'aimerais en recopier beaucoup d'extraits qui m'ont émue ou fait sourire. Car c'est souvent drôle! La rencontre avec Karajan, par exemple qui lui propose de mettre en scène Turandot. Allez, juste un petit peu, en citation.

Et également le début du tournage de Sonate d'automne, ça partait vraiment mal....

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Histoire de Bergman racontée par lui-même. Ce qui frappe d'abord est son talent d'écrivain, c'est très bien raconté, avec des allers-retours très judicieux, il n'y a rien d'ennuyeux excepté quelques pages sur la fin. C'est très visuel, de la part d'un grand réalisateur de cinéma cela n'est guère étonnant, et très très cru par moments. Il n'hésite pas à raconter des détails qui rendraient honteux n'importe qui. C'est passionnant de suivre son chemin, ses rapports difficiles avec ses parents. Il a eu beaucoup de femmes et d'enfants, on s'y perd un peu. Il a des remords pudiques et réalise lorsqu'il est âgé combien il a pu être cruel avec ses femmes.
C'est très intéressant de voir aussi qu'il a puisé dans son enfance pour son film « Fanny et Alexandre » et ses désirs de meurtre de son père qui se réalisent dans son film … Il n'y a pas de morale, juste des passions. Une vie bien remplie. Il n'en a fait qu'à sa tête, sauf pour les impôts qui ont bien failli le faire sombrer définitivement dans la dépression. Cet épisode est intéressant car il met en lumière combien cette personne a été conditionnée à obéir avant tout aux règles. Il les a enfreintes à son insu et cela a été terrible pour lui quand la publicité de son manquement a été énorme, à la hauteur de sa popularité artistique. Peut-être que cette épreuve a été un vrai tournant pour lui au fond. Il a réalisé le poids de cette éducation horrible et s'en est bien débarrassé à cette occasion. Il est resté alors avec sa femme de l'époque jusqu'à son décès. Il était avec une personne très perspicace sur ses faiblesses et ne s'en cachait pas. Passionnant.
Lien : http://objectif-livre.over-b..
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Tête à tête fascinant où Bergman revient sur son enfance, sa vie sentimentale et sa carrière non sans quelques digressions superflues (son procès fiscal notamment) mais avec une grande sensibilité et lucidité – quoique parfois teintée de mauvaise foi.

Pas d'analyse de ses oeuvres mais quelques déclarations de guerre, d'amour (à Tarkovski, à Nykvist ou encore à Strindberg) et surtout de vibrantes confessions sur les difficultés du métier de metteur en scène (au théâtre comme au cinéma) et de la vie.

Des mémoires plus thématiques que chronologiques où passé et présent se rejoignent dans 2 merveilleux et poignants chapitres qui rendent hommages à ses parents.

•°•°•°• A lire tout particulièrement si :
- vous connaissez déjà bien l'oeuvre d'Ingmar Bergman (au risque sinon de passer à côté de pas mal d'éléments) ;
- vous avez lu et adoré les Confessions de Saint Augustin ou l'âge d'homme de Michel Leiris (même rigueur, même implacabilité) ;
- vous trouvez que vous avez une famille difficile et tordue (ça va bien vous faire relativiser) ;
Lien : https://www.instagram.com/bu..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Ingrid Bergman lisait son rôle d'une voix de stentor, avec des gestes et des mines. Tout avait déjà été répété, fixé devant un miroir. Quel choc! Ca m'a déclenché un mal de tête et la scripte s'en est allée dans l'escalier pleurer d'effroi: jamais depuis les années trente, elle n'avait entendu autant de fausses intonations. La vedette avait fait ses propres coupures. Elle refusait de prononcer des mots inconvenants.
L'histoire, expliqua-t-elle, était assez ennuyeuse, il fallait la ragaillardir avec quelques drôleries. Pourquoi es-tu aussi assommant quand tu écris, Ingmar? Toi qui peux être si drôle quand tu veux. Elle écouta le prélude de Chopin qui est un sommet au cours du premier acte du film. Il est d'abord joué par la fille, puis par la mère: mon Dieu, mais est-ce qu'on va jouer cette musique ennuyeuse deux fois! Mais c'est de la folie, Ingmar, le public va s'endormir, tu aurais pu au moins dégoter quelque chose de joli et d'un peu court, ça va être trop ennuyeux, je vais bâiller à en mourir..
Ingrid Bergman joue le rôle d'une pianiste célèbre. Tous les pianistes ont souffert du dos, excepté, peut-être Rubinstein. Un pianiste qui souffre du dos s'allonge volontiers par terre.
Je voulais qu'Ingrid soit couchée par terre, sur le dos, au cours d'une de ses explications. Elle rit: Mais tu es complètement fou, mon bon Ingmar. C'est une scène sérieuse. Je ne peux pas jouer une scène sérieuse en étant couchée par terre. Ca va être ridicule. Le public rira. Déjà qu'il n'y a guère de choses qui fassent rire dans cette lamentable histoire, mais pourquoi faut-il absolument que tu fasses rire les gens au mauvais moment, peux-tu me le dire?
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Aujourd'hui, je comprends l'exaspération de mes parents. Une famille de pasteur vit exposée à la vue de tous...Père et mère qui étaient l'un et l'autre des perfectionnistes, ployaient, c'est sûr, sous cette pression déraisonnable....ils s'imposaient une auto-discipline implacable. Leurs deux fils, chacun à leur façon, représentaient des traits de caractère qu'ils châtiaient sans cesse en eux. Mon frère n'est jamais parvenu à se protéger et à cacher sa révolte. Père pour le briser, a engagé toute la force de sa volonté et il y est presque parvenu. Ma sœur fut ardemment aimée par l'un et l'autre de ses parents. Elle a répondu à cet amour en s'effaçant et en se plongeant dans une douce anxiété.
Je crois être celui qui s'en est le mieux tiré, avec le moins de dégâts, en me faisant menteur. Je me suis créé un personnage qui avait fort peu à voir avec mon véritable moi. Comme je n'ai pas su séparer ma création et ma personne, les dommages qui en découlèrent eurent longtemps des conséquences sur ma vie d'adulte et ma créativité.
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Comme je porte en moi un continuel tumulte qu'il me faut surveiller, l'imprévu, l'imprévisible m'angoisse. Exercer mon métier devient ainsi une pédante organisation de l'indicible. Je transmets, j'organise, je ritualise l'indicible. Certains metteurs en scène matérialisent leur propre chaos et de ce chaos ils créent, dans le meilleur des cas, une représentation. J'ai horreur de cette sorte d'amateurisme. Je ne participe pas au drame, je le traduis, je le matérialise. Ce qui compte le plus pour moi, c'est de ne laisser aucune place à mes propres complications, elles ne peuvent être qu'une clef qui ouvrira les secrets du texte ou l'impulsion qui mettra en branle la créativité des comédiens.
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La plus grande part de notre éducation a été fondée sur des concepts comme le péché, l'aveu de nos fautes, la punition, le pardon et la grâce, qui étaient des agents réels dans la relation parents-enfants et dans notre relation à Dieu. Il existait dans tout cela une logique interne que nous acceptions et que nous nous imaginions comprendre. C'est cela aussi, qui a peut-être contribué à nous faire accepter le nazisme sans réagir. Jamais nous n'avions entendu parler de liberté et nous en connaissions encore moins la saveur. Dans un système hiérarchique toutes les portes sont fermées.
Ainsi les punitions allaient de soi et elles n'étaient jamais mises en question.
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( Ordinairement, je trouve que Turandot est une mauvaise bouillie, difficile à maîtriser et perverse, l'enfant de son époque.) Mais le regard hypnotique et clair du petit homme m'aspirait et je m'entendis dire que c'était pour moi un grand honneur, que j'avais toujours été fasciné par Turandot, que la musique en était énigmatique, qu'elle m'avait toujours subjugué et que je ne pouvais rien imaginer de plus stimulant que de pouvoir collaborer avec Herbert von Karajan.
La date de production fut fixée au printemps 89... Soudain tout devint irréel . La production de Turandot était la seule chose concrète. Je savais que l'homme devant moi avait soixante-quinze ans, moi-même j'en avais dix de moins. Un chef d'orchestre de quatre-vingt-un ans et un metteur en scène de soixante et onze ans allaient donner vie ensemble à cette curiosité momifiée. Ce que ce projet avait de grotesque ne m'effleura pas l'esprit. J'étais irrémédiablement fasciné.
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