Bergman écrit avec les yeux et si l'hiver Suédois est un peu long, ses personnages n'en crèvent que mieux cette écran de neige. En une phrase, l'auteur ne dépareil pas du réalisateur !
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Je vais maintenant décrire la querelle qui, bientôt, éclatera entre Anna et Henrik. Exactement ici, dans cette ancienne palmeraie délabrée, devenue, à la suite d’un caprice, une maison de Dieu et qui, à la suite d’un autre caprice, se délabra de nouveau. Il est toujours difficile de retrouver la véritable raison d’un conflit. Il est d’ailleurs rare que l’origine et le déclenchement d’un conflit soient identiques (de même que le lieu du meurtre et le lieu de la découverte du crime). On peut imaginer d’assez nombreuses possibilités, à la fois sans motifs et fondamentales. S’il vous plaît ! Mais deux faits sont clairs. D’abord, nous assistons au premier affrontement déchirant entre nos principaux personnages. Deuxièmement, Luther a raison : un mot qu’on a laissé s’envoler ne se laisse plus jamais rattraper par l’aile. Oui, certains mots sont impossibles à annuler et à pardonner. Et des mots de cette espèce seront échangés au cours de la dispute qui va être décrite. En fait, je ne sais pratiquement rien de ce qui s’est passé ce vendredi après-midi dans l’église en ruine de Forsboda. Je ne me rappelle que quelques mots de ma mère : « Nous nous trouvions pour la première fois dans la chapelle et nous nous sommes disputés. Si je me souviens bien, nous avons mis un terme à la fois à notre amour et à nos fiançailles. Je crois qu’il a fallu ensuite beaucoup de temps avant que nous nous pardonnions. Et je ne suis même pas certaine que nous nous soyons jamais tout à fait pardonné. » (p197)
Musique, crépuscule. Henrik se laisse envahir : tout ça est comme un rêve, en dehors et au-delà de sa terne vie quotidienne. Anna est assise près de la fenêtre, elle ne quitte pas les musiciens des yeux, elle écoute avec une attention soutenue. Son profil se découpe dans la lumière du crépuscule. Maintenant, elle sent qu'on la regarde, elle domine son premier mouvement, mais tout de suite après, elle cède et tourne son regard vers Henrik. Il la regarde gravement, elle a un petit sourire poli, un peu ironique, mais elle devient grave à son tour, en réponse à la gravité de Henrik : oui, je te vois. Je vois.
On s'en va, on prend congé. Henrik s'incline devant les uns et devant les autres et remercie ; un court instant, Anna se trouve en face de lui. Elle se dresse sur la pointe des pieds et vite elle lui chuchote à l'oreille - parfum de ses cheveux, très léger contact.
Anna : Mon nom c'est Anna, et toi, ton nom c'est Henrik, n'est-ce pas?
Elle va, aussitôt, se placer à côté de son père, elle prend son bras, pencher la tête sur son épaule, le tout est un peu théâtral, mais aimable et ça ne manque pas de talent.
(pages 46-47)
Karin Åkerblom referme le livre d'un claquement sec, la pendule au-dessus du canapé sonne justement dix heures, il est temps d'aller se coucher. Et dire que tant de bonnes intentions, dit Svea en rouvrant les yeux et en clignant des paupières sous la lumière du lustre, et dire que tant de bonnes intentions aboutiront à tant de misère. Parce que c'est bien comme ça que ça se termine.
(page 124)
Sourire d'une nuit d'été, extrait 1