J'ai découvert un grand auteur,
Pierre Bergounioux, avec son premier livre «
Catherine » écrit en 1954. Il m'a fait très grande impression.
Pierre Bergounioux, c'est tout d'abord et avant tout une plume extraordinaire, mais ne vous méprenez pas, non pas une plume fluide pour un roman fleuve pouvant être lu n'importe où et n'importe quand, non…C'est une plume exigeante, ciselée, travaillée. Une plume qui demande de la concentration, un face à face entre le texte et son lecteur quasi amoureux, patient et attentif. Un peu d'inattention et seule une lueur de soupirail luira dans vos cerveaux embrumés. Un talent d'orfèvre pour façonner et sertir la bassesse humaine, la dépression, les états de décrépitude, l'hypocrisie, la solitude, le dégout de soi. D'une manière si troublante que j'ai lu et relu plusieurs fois de nombreux passages tellement je trouvais sa façon d'exprimer les choses juste et unique, derrière l'apparente complexité des phrases. L'effort de lecture aboutit à l'émerveillement. C'est saisissant.
Nous pourrions qualifier cette écriture de précieuse de prime abord, je préfère la dire précise. Surannée aussi, avec ce charme poétique, polie, élégante, des plumes classiques, des plumes du terroir, celles qui ont une forme de gratitude pour la campagne et la nature, pour l'esprit paysan.
« A sa montre il était trois heures. Les yeux lui piquaient. Dormir à l'ombre, sans plus se soucier de rien, le lourd fardeau basculé dans le champ de maïs, aurait été délicieux. Il fut tenté de fermer les yeux, pour voir, le dos à l'arbre. Contre l'écran rougeâtre de ses paupières, la lumière posait des lunes mauves, dérivantes. Il soupira. Il n'atteindrait jamais les hauteurs ».
L'incipit donne le ton : notre narrateur, complètement ivre, vomit, vautré telle une bête monstrueuse et nauséeuse mû par « un dégout violent, plein de cuir et de sucre ». Abandonné par
Catherine qu'il aime tant, auprès de laquelle il a oublié d'être digne, le narrateur est venu se réfugier dans une petite maison qu'il vient d'hériter en Corrèze, proche du petit bourg où il a été nommé professeur de français. Nous assistons à son chagrin, immense, à sa solitude dans une nature immuable et indifférente à son sort, à ses journées de dépression, ses envies suicidaires, et à sa tentative de reconquérir celle qui l'a quitté. Ce qui va le sortir de sa torpeur et de son enlisement sera l'espoir de cette reconquête et la brutalité du monde qui l'entoure, notamment la bestialité de ses voisins qui dévastent clandestinement son verger dans le but de braconner son bois, transformant le récit en thriller et en chasse à l'homme. Lui qui ne se voit guère plus important que les insectes qu'ils collectionnent, terrés sous les écorces, endormis dans leurs alvéoles de terre ou de bois derrière leur écran de mousse, va se faire félin.
Notre premier contact avec le narrateur fut celui d'une bête monstrueuse et pathétique au début du livre, nous le quittons en être digne et battant par la seule grâce de l'espoir amoureux. Une fin que j'imagine sur grand écran…magistrale.
La façon qu'a
Pierre Bergounioux de saisir le temps qui passe, l'écoulement immuable des saisons, est une merveille qui m'a vraiment touchée : « Il était un peu plus d'une heure. le mur d'en face, l'air de la rue étaient taillés dans une gaze bleue. le matin était fané. Il y avait dans l'après-midi lumineux, une aridité à quoi un coeur sensible pressent la fin lointaine, les grandes lessives de l'automne, l'ombre recueillie de décembre ».
L'égarement du narrateur, au-delà des états d'âme évoqués, se ressent également à la manière dont l'auteur fait alterner le « je » et le « il », et ce, parfois dans un même passage. Comme si celui-ci pensait tout en s'observant, perdant parfois sa capacité à simplement vivre sans penser et analyser sa situation, sans pouvoir être tout simplement ce « je », cessant de vivre pour comprendre en quoi vivre consiste…Une sorte d'hésitation, d'incertitude entre l'un et l'autre, entre le je et le il, entre aile blanche et aile noire…entre ce qui est vu, les apparences, et le vécu.
« Il fit passer le café mais chercha ensuite du sucre, en poudre, dont il lui fallut déchirer l'emballage et concasser le bloc résistant. Il pensait à
Catherine et c'était comme au temps de la vie antérieure, juste avant qu'il ne s'enhardisse, malgré les monstres, la peur, la crainte du sacrilège, à lui dire simplement ceci : qu'il ne concevait pas de durer, sinon près d'elle. J'ai souffert de ce qu'elle n'était pas là à en avoir le souffle coupé. C'était comme vivre loin du soleil, dans la vase, la nuit ».
Cette découverte est un coup de coeur, pour ne pas dire un coup de foudre. Une détonation en période de chasse alors que nous errons pensifs dans les bois. La plume de cet auteur, dont je veux absolument découvrir les autres titres, est saisissante, unique, magnifique. Un immense merci à
Jean-Michel (@jmb33320), je te dois cette découverte littéraire, importante pour moi !