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EAN : 9782070766574
143 pages
Gallimard (09/10/2002)
4.39/5   9 notes
Résumé :
Des infirmes, des sensitifs furent
longtemps les plus qualifiés pour voir.
Leur inaptitude aux luttes, aux travaux
les tenait à l'écart, disponibles, pensifs
- c'est pareil. L'heure est venue, au
XXe siècle, où cette élite vulnérable a
éprouvé l'impossibilité d'aller plus loin,
dans une Europe qui semblait aspirer,
elle-même, au suicide. C'est alors qu'un
petit homme s'est avancé à Oxford
(Missis... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Que les choses se lèvent, comme s'il n'y avait pas le livre entre elles et nous, ni l'auteur derrière le livre. Que les choses soient dites, écrites, comme le ferait un petit garçon ! C'est vers ce moment littéraire que courent les cent-cinquante pages brillantes de Pierre Bergounioux. C'est-à-dire jusqu'à Faulkner.
 
D'abord le matin grec où tout a commencé et Homère aveugle. La littérature, la grande, est établie loin du tumulte extérieur, dans la durée immobile, réversible, de la réflexion. C'est à cette condition qu'elle pouvait naître, certes, mais Homère n'a pas fait réflexion qu'une chose qu'on raconte n'est pas la chose qui se vit, et que l'événement que l'on raconte n'est pas la lutte furieuse de soldats dans l'incertitude précipitée du présent. Il décrit des combats qu'il n'a pas faits devant un auditoire qu'il ne peut voir.

Voilà où veut en venir cet essai: la littérature ne s'est pas demandée si la distance temporelle, l'endroit de réflexion, la chambre à soi qu'elle revendique n'affecte pas le monde qu'elle tisse sur le papier. Car elle ne dit pas tant la réalité, l'existence, que l'idée que l'on s'en fait lorsqu'on n'y est pas (plus) impliqué.  

Il ne s'agit pas de contester l'importance du travail des Proust, kafka et Joyce, mais au plan qui occupe ici, l'auteur n'est pas tendre avec ces géants: "...il appartenait à des hommes inaptes aux tâches pratiques, à la guerre, au négoce, à des éléments de minorités inquiètes, persécutées, d'établir la vérité cachée, la signification virtuellement enfouie dans tout évènement, aurait-il échappé de part en part à la compréhension de ceux qui s'y trouvaient impliqués. "

Lorsque les "poitrinaires géniaux qui ont illustré Paris et Prague s'éteignent " (sic), William Faulkner a vint-cinq ans. Il est à l'opposé de l'écrivain européen traditionnel, comme Oxford au Mississipi, univers plein de rudesses et d'imprévus, l'est aux villes européennes où « on ne fait plus qu'intérioriser l'extérieur ». Il a toujours voulu raconter des histoires et la littérature vient en premier pour lui. Son imagination débordante, merveilleuse est servie par la texture d'une réalité extérieure à laquelle se frotter. "Un livre qui devait sortir de là devait pousser à même le tuf, sans terreau profond, continuellement enrichi, où ils plongent, pour nous, leurs racines. Les deux sens du mot culture se confondent, ici."  

Le rapport énergique avec la nature sauvage et féconde ainsi que le partage d'une culture fondamentale - la Bible – permettent à Faulkner d'en tirer les leçons et de transmettre sur papier la vérité immédiate du monde: "...les gens, les choses, lorsque la plume de Faulkner les transpose de l'espace poussiéreux sur la page blanche, conservent leur « naturel », (…). ''' 
 
En face de cela, le grand réalisme  a montré ses limites. L'irréalisme chez Balzac ou Zola réside dans les énumérations fastidieuses d'objets, les détails exhaustifs d'un tapis ou d'une robe. Dans un roman Faulknerien, un piquet de palissade surgit pour servir d'objet de défense ou d'attaque, pour aussitôt retomber dans le néant, et par là ce piquet existe vraiment. La réalité entre dans la littérature en 1929 avec Le Bruit et la Fureur
 
Nous y sommes.

Jusqu'à faulkner situe l'écrivain dans un contexte large, analyse certains fondements de son oeuvre, et éclaire sur un aspect de l'évolution de la littérature. Qu'on apprécie ou pas l'auteur américain importe peu. Je vous invite à y plonger sans complexe, la prose stylée aime parfois à se répéter, mais avec le bonheur de contribuer à la parfaite assimilation du sujet exigeant. 
 
Je me suis permis de beaucoup citer Pierre Bergounioux pour faire comprendre son propos mais aussi par admiration pour l'écriture prégnante et efficace qui le caractérise. J'espère qu'on voudra bien m'excuser ces emprunts destinés avant tout à servir ce bel ouvrage.
 
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Assez brillamment écrit et de façon très concise et claire, Pierre Bergounioux recense l'histoire et l'évolution de la littérature depuis Homère, visionnaire dans sa cécité, qui raconte l'Odyssée avec force détails « jusqu'à Faulkner » par qui le renouveau du récit, épuisé par tous les grands noms du roman, est arrivé.
P. Bergounioux montre que le récit est né du « côté oriental de la méditerranée » (Iliade et Odyssée) qu'il s'inscrit dans l'histoire de l'Europe et ses guerres (Stendhal, Tolstoï), suit le passage d'un monde rural à un monde ouvrier (Zola) et d'affaires (Balzac) et s'épuise dans les salons bourgeois (Proust) ou dans la dépersonnalisation kafkaïenne. de même que la myopie extrême de Joyce participe comme Homère du côté visionnaire de la littérature (Ulysse), le rapproche d'autant des origines puisque le langage est réduit en bribes jusqu'à la transformation hybride de Finnegans Wake.
Il reste que le roman est affaire d'Européens qui ont pris leur distance avec leur propre récit : Stendhal vieillissant regarde de loin Fabrice del Dongo :

"Le monde qui se reflète dans le miroir du roman n'est pas ce qu'il fut quand c'était vraiment lui , au moment réel mais l'image assagie, remaniée, intelligible, littéraire qu'il devient lorsqu'on le considère avec le recul de trente années, dans un bureau silencieux, morne, aux heures prosaïques de la monarchie de Juillet ."

Tandis que Kafka, Proust et Joyce s'ils participent d'un même renouveau, laissent une impression d'inachevé sur quoi Faulkner va rebondir.
Il ne faut donc pas chercher chez Faulkner une réponse à nos propres expériences mais en nous-mêmes au présent de la lecture. J'ai pensé en lisant ce que Bergounioux dit de Faulkner et de sa façon de concevoir un récit, à un morceau de jazz : les grandes lignes sont là (personnages aux noms parfois malicieusement brouillés, histoire, évolution…), au lecteur de suivre la progression aux accents improvisés (mais très construits), de reconstituer le morceau grâces aux riffs semés par l'auteur. On peut penser à ce fameux « morceau de verre » à travers lequel Quentin (un des fils Compson du Bruit et de la fureur ) semble apercevoir son adversaire lors d'une bagarre pour protéger l'honneur de sa soeur, et qui n'est qu'une façon de voir son propre évanouissement.
De même, selon Bergounioux, ce qui fait de Faulkner un novateur est justement qu'il n'intellectualise pas les choses comme Joyce avec le langage. Son manque relatif de référents culturels le laisse vierge de tout propos et ses personnages parlent comme ses voisins d'Oxford dans le Mississippi et ont les mêmes aspirations que nombre de ses compatriotes paysans qui oeuvrent sur la terre pour faire de l'argent et payer leurs traites et n'ont « pas le temps » de se retourner vers le passé, nostalgique comme Proust l'a génialement fait. C'est de cette urgence qu'est venue la littérature de Faulkner.

"La grande narration a déployé sa syntaxe, réparti successions et simultanéités, placé la fin dans l'axe du début, mis le début en perspective de la fin chez les Grecs, puis escorté la marche du monde occidental à travers les âges avant d'y trouver sa limite dans les années 1920. le chaos reste le chaos, la question sans réponse."
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Le reflet qu'on découvre aux pages des livres, quelque imparfait qu'il soit, peut passer pour la réalité. Lire n'est pas une opération neutre, l'enregistrement passif d'un fait préconstitué. Nous projetons notre expérience dans l'image qui naît des caractères imprimés. Nous contribuons dans une mesure décisive à l'évènement très particulier qui mêle des personnages fictifs aux êtres de chair parmi lesquels nos jours se passent, des objets impalpables à ceux, solides, palpables qui mêlent l'espace. Nous corrigeons à notre insu, les approximations ou les lacunes de la narration. D'une indication succincte, d'un nom, d'une simple initiale, K, nous tirons quelque chose, quelqu'un dont la destinée peut nous intéresser au même degré que celle d'un objet matériel, d'une personne vivante. Le travail irréfléchi, correcteur, créateur de la lecture peut s'accomoder d'un matériau médiocre, rectifier l'imperfection des éléments qui ous sont livrés, sur le papier. Ainsi notre vie s'étendra-t-elle au-delà des limites, situées et datées, où elle est cantonnée. C'est miracle qu'une poignée de mots enfermés dans les pages d'un livre contiennent, comme des graines dans un sachet, la promesse d'univers foisonnants, colorés, si persuasifs et détaillés qu'ils rivalisent avec celui que nous habitons à l'enseigne de la réalité.
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La littérature ne descend pas du ciel. Elle sourd du sol de la vie, de l'activité matérielle, des rapports de production où sont pris, malgré qu'ils en aient, quoi qu'ils en pensent, les solitaires qui écrivent dans leur chambre, la nuit, ou bien aux premières heures du jour, sous la fenêtre d'un bureau.
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La grande narration a déployé sa syntaxe, réparti successions et simultanéités, placé la fin dans l'axe du début, mis le début en perspective de la fin chez les Grecs, puis escorté la marche du monde occidental à travers les âges avant d'y trouver sa limite dans les années 1920. le chaos reste le chaos, la question sans réponse.
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Le monde qui se reflète dans le miroir du roman n'est pas ce qu'il fut quand c'était vraiment lui , au moment réel mais l'image assagie, remaniée, intelligible, littéraire qu'il devient lorsqu'on le considère avec le recul de trente années, dans un bureau silencieux, morne, aux heures prosaïques de la monarchie de Juillet .
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Lecture de Jean-Marie Gleize: une création originale inspirée par
Une série de créations littéraires originales inspirées par les collections de la BIS. Ce cycle est proposé par la Maison des écrivains et de la littérature (Mel) en partenariat avec la BIS. Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé.
Saison 4 / 2020 : Linda Lê, Arno Bertina, Muriel Pic, Jean-Marie Gleize, Jean-Christophe Bailly.
Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne": * saison 1 : Pierre Bergounioux, Marianne Alphant, Arlette Farge et Eugène Durif paru en septembre 2018. * saison 2 : Jacques Rebotier, Marie Cosnay, Claudine Galea et Fanny Taillandier, paru en septembre 2019. * saison 3 : Hubert Haddad, Line Amselem, Christian Prigent, Mona Ozouf, Laure Murat, publication prévue en septembre 2020.
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