Pour reprendre une formule en vogue, la pensée de
Pierre Bergounioux est complexe, et je ne suis pas persuadé de l'avoir comprise dans son intégralité. Ce court recueil amer et désabusé m'a pourtant ému, car l'auteur y décrit le monde ancien en train de tirer sa révérence. Ce temps d'avant, c'était aussi le mien à bien des égards. Ce monde ! c'est celui du Pays Vert, du bonheur provincial et du temps immobile ; c'est celui du travail productif et utilitaire, le vrai travail, quoi ! c'est celui de notre vieux pays à la forte identité, au peuple bougon et revêche… En quelques décennies, le voilà balayé au profit d'une société standardisée dominée par des « groupes qui conditionnent la demande à laquelle ils s'offrent à répondre ». Les tendances majeures de ce temps nouveau sont à l'abstraction, à la dématérialisation. le travail y a définitivement perdu sa dimension utilitaire. D'autres groupes, ou les mêmes, ont la mainmise sur nos rêves et nos moments ténus de liberté que l'on s'accorde parfois.
Avec
Pierre Bergounioux, vieux « peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne », le « triste aujourd'hui » prend tout son sens.
Tout comme lui, de toutes les fibres de mon corps, je suis du siècle d'avant. Pour autant, je ne jette pas un regard désabusé, voire méprisant sur cette aube nouvelle. Non ! la mondialisation n'est pas l'horreur absolue. de plus, est-il nécessaire d'idéaliser le passé pour mieux critiquer le présent ? Pour Pierre Bergougnoux, la construction des grandes barres HLM, ces « tours aux allures de boites de Kleenex jetées en plein champs », fait partie de cette volonté de standardisation, de cette généralisation des rapports abstraits propre au monde nouveau. C'est oublier que dans les années soixante, des bidonvilles entouraient les grandes cités urbaines, et qu'à tout prendre, mieux vaut vivre dans une grande boite de Kleenex que dans un baraquement insalubre.
Un texte ardu, remarquablement bien écrit, qui fait bigrement réfléchir.
Un grand merci à Mimimelie pour m'avoir offert ce livre.