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EAN : 9782213682273
300 pages
Fayard (01/09/2014)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Depuis trente ans, Pierre Bergounioux construit l'une des œuvres littéraires les plus influentes et les plus singulières de la période contemporaine. Cet ouvrage rassemble entretiens, essais, interventions, dans lesquels il affronte les questions, à la fois personnelles et générales, intimes, sociales et politiques, qui animent sa démarche : sa conception de la littérature, son rapport à l'écriture et à la narration romanesque, sa condition d’écrivain, son origine g... >Voir plus
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 Je suis originaire d'une sous-préfecture du Sud-Ouest. Je n'y peux rien. En 1962 ou 1963, je suis tombé, par le plus grand des hasards, sur l'édition en livre de poche d'un roman de Faulkner intitulé Sanctuaire... J'ai ouvert ce livre où je m'attendais vaguement à ce qu'il soit question de sainteté et ce que je me rappelle, c'est d'avoir été scandalisé par la façon dont l'auteur racontait... J'ai soit quatorze ans, soit treize. C'est important. Si on est en 1962, Faulkner est vivant, en 63, il ne l'est plus. Il serait beau d'avoir ouvert un livre de lui quand il respirait encore du côté d'Oxford, Mississippi. Avec ça, je l'ai dit, j'ai été révolté par cette façon obscure de raconter. Je n'ai pas songé à questionner les adultes autour de moi. Je ne comptais déjà plus sur eux. Ils étaient victimes de l'esprit du lieu, du passé qui s'attardait. C'est une situation angoissante, quand on est soi-même dépourvu du discernement qui permettrait de dissiper les ténébreux mystères auxquels on est confronté. Bref, le livre était infesté de fautes de français. De solécismes, fautes de construction : " Si qu'il était pas mon fils.". Ça m'est resté. J'aurais laissé passer pareille chose dans mes rédactions de Quatrième ou de Troisième... On trouvait aussi des barbarismes, qui sont des atteintes à la forme du mot. Il est question, à un certain moment, d'un petit rigolo orthomatique, c'est-à-dire d'un pistolet automatique. Et je me disais : il est quand même curieux qu'un type écrive aussi mal et qu'il trouve sur la place de Paris, un éditeur, rue Sébastien-Bottin, dans le septième arrondissement, pour laisser passer pareilles énormités, les faire imprimer sous son timbre de la NRF. Une très noble et bouillante pensée m'a traversé la cervelle. J'allais prévenir M.Gallimard que, par inadvertance, sans doute, il mettait en circulation des trucs qui étaient autant d'infractions aux règles de l'expression écrite, aux prescriptions que, lycéen, je tenais pour la loi et les prophètes. Une chose m'a retenu de mettre la main à la plume, comme dit l'épicier, comme dit Flaubert. Quoique je n'eusse pas encore bien mesuré le dénivelé vertigineux qui séparait ma chétive sous-préfecture du foyer des valeurs, de Paris, je soupçonnais que certaines choses, peut-être, m'échappaient, et la lettre vindicative que j'étais pour rédiger en rondes magnifiques est restée dans l'encrier. Mais la rencontre inopinée de ce livre écrit dans une langue fautive et à quoi on ne comprenait à peu près rien, m'a durablement marqué... Du temps a passé, mais je n'ai pas perdu de vue que j'avais ouvert un livre scandaleux sous tous les rapports. Lorsqu'il m'a semblé que j'avais acquis un zeste de maturité, j'y suis revenu. Et ce dont j'avais eu très confusément l'intuition, à savoir, que quelque chose d'essentiel et de méconnu affleurait dans ces pages infâmes, j'en ai eu la confirmation. Telles furent les conditions romanesques, légèrement rocambolesques, dans lesquelles mon petit chemin a croisé la voie royale que Faulkner a percé jusqu'au cœur de notre sens...
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Le monde, du moins en France, existe deux fois, en tant que tel et puis dans le reflet que lui a tendu la littérature. Seulement, ce reflet est déformant, lacunaire. Depuis cinq siècles qu'elle accompagne notre aventure, la littérature n'a retenu des hommes, des endroits, que ceux qui étaient puissants, centraux, dominants, les autres dédaignés, oubliés. Qu'ils appartiennent à la noblesse ou à la bourgeoisie, qu'ils vivent de leurs rentes ou soient pensionnés par le roi, les écrivains, successivement, tendent un complaisant miroir à l'aristocratie de cour, relatent les initiatives des capitaines d'industrie, des financiers, des ambitieux qui sont devenus les nouveaux maîtres, après la Révolution, dans les rues, les bureaux, les boudoirs de la grande ville...

La partie du corps social qui produit, aux champs, à l'usine, à l'écart, est représentée, lorsqu'elle l'est, de façon tronquée, grotesque. Ses simplicités, sa brutalité, ses dialectes servent de repoussoir aux manières de penser, de vouloir, de parler. Ils font rire. Ce sont l' "escholier lymosin" et Pourceaugnac, deux de mes lointains compatriotes, Georges Dandin, les animaux noircis par le soleil que La Bruyère feint de voir, courbés sur le sillon, les paysans rapaces de Balzac, les rustres de Zola.

   Lorsqu'on élève la prétention légèrement criminelle de reprendre son sens des mains de la caste étroite, hautaine qui en a eu le monopole dès l'origine, il faut d'abord se rappeler quelle elle fut et ce qu'elle a dit - quand elle ne l'a pas tu - de ceux en qui nous avons eu nos vies antérieures, été, dans la grande temporalité.

   Nous sommes les premiers parce que nous sommes les derniers. La société agraire traditionnelle est morte lorsque nous commencions à respirer. Nous avons bénéficié du premier des biens, qui est le loisir studieux, fréquenté l'école, consulté des livres dont nul, dans nos lignées, ne soupçonnait l'existence, quitté les cantons perdus qui limitaient, depuis la nuit des âges, notre horizon. Nous nous sommes enhardis à balbutier ce qui nous concernait, au lieu d'en abandonner le soin à des tiers qui avaient l'usage du français, du beau langage mais qui, part la force des choses, ne savaient pas de quoi ils parlaient, n'ayant jamais quitté leur bureau, leur salon, les beaux quartiers.

   Nous sommes des tard-venus dans l'univers second, facultatif, limpide, infiniment précieux qui se trouve entre les plats de couverture des livres. Nous avons contre nous le passé, les personnages, les objets, les endroits que la littérature a répertoriés, l'avorton dont les organes phonatoires, comme sur l'image corticale, sont extérieurs au corps. L'histoire du monde, qui est celle de la lutte des classes, condamne en principe les gens de ma sorte au silence ou alors au roman régionaliste, à la célébration mystifiée, désuète, d'un mode de production révolu, avec son folklore, sa fausseté. J'ai une certitude négative ; " Ce n'est pas ça". Quant à savoir ce que c'est, la question est ouverte et le risque de se méprendre vertigineux. 
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Le monde existe par deux fois, dans les choses et dans nos esprits, qui en sont la modalité subjective. La littérature ne figurait pas dans le jeu des possibles que j'ai touché en dotation. Il a fallut attendre l'âge de vingt ans, d'arriver à Paris, pour croiser des gens qui regardait le fait d'écrire et de publier comme un élément, parmi d'autres, de leur style de vie. C'est qu'ils appartenaient, de naissance, à des univers sociaux privilégiés, dominants, dotés d'une légitimité dont la nôtre, à cent-vingt lieues de là, c'est-à-dire avec un ou deux siècles de retard, était dépourvu.
J'ai pris la mesure du dénivelé qui nous séparait de l'expression approchée de l'expérience, en quoi consiste la littérature. Si je voulais combler, dans le temps d'une vie, l'écart que l'histoire, le développement inégal, l'antique opposition entre la grande-ville et l'arrière pays rural avait creusé, je n'avais plus une minute à perdre.
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Gilbert Moreau : Un autre rite, dans votre vie de lecteur, est le "book day". Comment se déroule cette journée ?

Pierre Bergounioux : Depuis une trentaine d'années, nous fixons, mon frère et moi, un jour que nous passerons à écumer les libraires d'ancien et d'occasion d'une région, d'une ville de province,d 'un arrondissement de Paris. Nous avons manqué de livres, au commencement, et dans nos vies antérieures, et cette privation nous a laissé un insatiable appétit de papier.(...) Concrètement, nous partons à la première heure, de préférence le 20 juin, avec de sacs, la liste des boutiques et un plan de la ville. Nous nous interrompons, le soir venu, hagards, fourbus, accablés du poids du vieux papier rapporté de la journée. Nous avons réparé le préjudice dont nous avons été victimes dans la grande temporalité. Nous avons renversé l'axe du temps, offert, magiquement, à nos ancêtres, les biens dont ils avaient été spoliés et c'est pour ça aussi, indépendamment du solstice d'été,que c'est un jour de fête.
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On parle, on écrit toujours pour un tiers. C'est en partie, aux morts que je m'adresse (...) je me souviens jadis avoir cherché l'ouvrage qui dissiperait les énigmes auxquelles je me sentais affronté. C'est lui qu'il me semble rédiger à l'usage de mes petits compatriotes, qui n'en ressentent sans doute pas le besoin. Quant au caractère sacré de l'affaire (...) Les vieux dieux n'ont pas souhaité que nous nous emparions du sens de l'affaire. Les plus anciens écrits sont des contes d'avertissement. C'est l'histoire d'Adam et Eve, le mythe de Prométhée, la fin tragique du chasseur Actéon, qui voulaient savoir et furent châtiés. Quiconque se mêle d'écrire, s'enfonce, qu'il le veuille ou non, dans une zone disputée, dangereuse. je le mesure à l'épouvante vague, à la fatigue contre nature qui m'accompagnent tout le temps que je suis courbé la plume à la main sur mon papier.
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Vidéo de Pierre Bergounioux
Cette semaine, Augustin Trapenard est allé à la rencontre de Pierre Bergounioux à l'occasion de la sortie en poche de son livre "Le Matin des origines" aux éditions Verdier. Ce merveilleux ouvrage célèbre l'ancrage profond dans ses racines, dans les terres du Quercy entre Lot et Corrèze, où l'auteur a grandi, dans la chaleur de la maison rose et au sein des paysages qui ont façonné son être. Ces souvenirs, imprégnés dans sa mémoire, représentent une part essentielle de son identité qui demeure là-bas. À travers ces pages, Pierre Bergounioux évoque avec justesse le lien puissant que la terre tisse avec nos souvenirs et nos émotions, révélant ainsi le pouvoir des lieux familiers pour donner du sens à notre passé et à nos moments les plus heureux. Il était donc évident qu'Augustin Trapenard se déplace au coeur de cette histoire, sur les contreforts du plateau des Millevaches, dans sa maison de Corrèze pour un retour aux origines de la vie et de l'écriture.
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