Pour celui qui contemple l'univers avec des yeux d'artiste, c'est la grâce qui se lit à travers la beauté, et c'est la beauté qui transparaît sous la grâce.
Jamais la mesure du temps ne porte sur la durée en tant que durée ; on compte seulement un certain nombre d'extrémités d'intervalles ou de moments, c'est-à-dire, en somme, des arrêts virtuels du temps.
On comprend que des concepts fixes puissent être extraits par notre pensée de la réalité mobile ; mais il n'y a aucun moyen de reconstituer, avec la fixité des concepts, la mobilité du réel.
« Désordre » et « néant » désignent donc réellement une présence – la présence d'une chose ou d'un ordre qui ne nous intéresse pas, qui désappointe notre effort ou notre attention ; c'est notre déception qui s'exprime quand nous appelons absence cette présence.
Aucun [des philosophes] n'a cherché au temps des attributs positifs. Ils traitent la succession comme une coexistence manquée, et la durée comme une privation d'éternité.
Les difficultés et contradictions de tout genre auxquelles ont abouti les théories de la personnalité viennent de ce qu'on s'est représenté, d'une part, une série d'états psychologiques distincts, chacun invariable, qui produiraient les variations du moi par leur succession même, et d'autre part un moi, non moins invariable, qui leur servirait de support. Comment cette unité et cette multiplicité pourraient-elles se rejoindre ? comment, ne durant ni l'une ni l'autre – la première parce que le changement est quelque chose qui s'y surajoute, la seconde parce qui elle est faite d'éléments qui ne changent pas – pourraient-elles constituer un moi qui dure ? Mais la vérité est qu'il n'y a ni un substratum rigide immuable ni des états distincts qui y passent comme des acteurs sur une scène. Il y a simplement la mélodie continue de notre vie intérieure, – mélodie qui se poursuit et se poursuivra, indivisible, du commencement à la fin de notre existence consciente. Notre personnalité est cela même.
Homo faber, Homo sapiens, devant l'un et l'autre, qui tendent d'ailleurs à se confondre ensemble, nous nous inclinons. Le seul qui nous soit antipathique est l’Homo loquax, dont la pensée, quand il pense, n'est qu'une réflexion sur sa parole.
Il suit de là qu'un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout le reste relève de l'analyse. Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable. Au contraire, l'analyse est l'opération qui ramène l'objet à des éléments déjà connus, c'est-à- dire communs à cet objet et à d'autres. Analyser consiste donc à exprimer une chose en fonction de ce qui n'est pas elle.
Il n'y aura de nouveauté dans nos actes que grâce à ce que nous aurons trouvé de répétition dans les choses.
Notre personne nous apparaît telle qu'elle est « en soi », dès que nous nous dégageons d'habitudes contractées pour notre plus grande commodité. Mais n'en serait-il pas ainsi pour d'autres réalités, peut-être même pour toutes ?